Points de vue

Tribunes - 14 mars 2022

Santé : construire grâce aux erreurs du passé (Tribune)

Veille acteurs de Santé_Santé : construire grâce aux erreurs du passé_Tribune Philippe Leduc

Tribune rédigée par Philippe Leduc, médecin et journaliste santé, initialement publiée sur le site Les Echos.

La France dépense beaucoup pour sa santé. Soignants, cadres et acteurs ne ménagent pas leur peine. Les intentions sont toujours bonnes, ou presque. Et pourtant les difficultés ne cessent de s’accumuler. Cherchez l’erreur. Ou plutôt les erreurs. Les identifier et en comprendre les ressorts et surtout en tenir compte ouvre de nouvelles perspectives.

Dr Philippe Leduc, médecin, journaliste santé et auteur du blog Think Tank Economie santé, groupe Les Echos.
Dr Philippe Leduc, médecin, journaliste santé et auteur du blog Think Tank Economie santé, groupe Les Echos.

Le constat est brutal et bien connu. Les énergies déployées sont importantes. Les résultats sont décevants. La liste est longue. Les passer rapidement en revue éclaire sur le ou les points communs de toutes ces difficultés.

Déserts médicaux qu’on n’arrive pas à juguler, malgré les aides et incitations. Parcours du combattant pour les patients chroniques, polypathologiques ou compliqués qui peinent à s’orienter. Manque de coordination et de coopération entre professionnels et acteurs de santé, entre la ville et l’hôpital, entre le sanitaire et le social. Pertinence des soins défaillante.

Attractivité insuffisante des métiers à l’hôpital, comme en ville pour certaines spécialités et surtout dans le médico-social et les Ehpad. Prévention atomisée, dispersée, pas assez valorisée et donc peu efficace, etc.

Comment expliquer cette étonnante distorsion entre les efforts déployés et les insuffisances constatées ? Même sans noircir le tableau, c’est assez effrayant. Car il serait trop simple d’accuser tel ou tel intervenant, telle ou telle corporation d’incurie ou de mauvaise volonté manifeste et caractérisée. C’est à la fois plus compliqué et en fait plus simple.

Les erreurs les plus criantes

Quelles sont donc ces erreurs ? Les plus criantes ?

Tout d’abord, pour contenir les dépenses de santé, la réduction progressive et drastique et la remontée trop lente au début du siècle du nombre des étudiants en médecine.

Ensuite la précarisation des médecins généralistes et de certaines spécialités médicales cliniques (sans exploration complémentaire) en maintenant un tarif de l’acte particulièrement bas poussant ceux-ci à multiplier les actes sans appréhender assez la globalité de l’individu et son environnement.

Sans oublier la tarification à l’activité (T2A) à l’hôpital qui a eu des effets inflationnistes aggravés par « l’optimisation industrielle du codage ». Dérive qui n’a pas été corrigée à temps. La baisse des tarifs par les pouvoirs publics chaque année pour contrecarrer l’inflation des actes a entrainé une diminution des ressources alors que la charge de travail s’accroissait.

Enfin le cloisonnement des différentes professions de santé freine la nécessaire coordination et coopération, la concurrence prenant parfois le pas sur la collaboration sur un même territoire. Les enseignants ne facilitent cette évolution vers plus de transversalité, arc-boutés qu’ils sont encore trop souvent sur l’excellence de la connaissance médicale faisant fi en quelque sorte de l’application de celle-ci dans la vraie vie pour des malades chroniques et polypathologiques de plus en plus nombreux nécessitant une prise en charge plurielle et organisée. Les formations ne valorisent pas le travail en équipe et le leadership n’est pas assez pris en compte.

Politiques, administratifs, soignants : un trio que ne fonctionne pas

Existe-t-il un point commun à toutes ces erreurs, un mauvais génie qui conduit à la situation actuelle ? Qu’est-ce qui ne marche pas entre les politiques qui font la loi et les règlements, ceux qui sont chargés de les appliquer et les « effecteurs »… c’est-à-dire les soignants. Partant du principe que chacun est de bonne volonté.

En fait cette pierre d’achoppement est double.

D’abord, croire que contourner le problème permettra de le résoudre. Réduire le nombre de médecins pour contenir les dépenses de santé. Instaurer la transparence des tarifs à l’hôpital par la tarification à l’activité ce qui est plutôt une bonne chose, mais sans évaluation régulière et correction. D’une manière générale passer le rabot, c’est-à-dire réduire ou contenir les tarifs sans réforme de fond. Ou encore noyer les soignants sous les procédures dites de qualité, de contrôle ou d’évaluation pourtant indispensables, mais complexes et mal comprises par manque d’appropriation. Tout cela conduit aux difficultés actuelles.

Ensuite quand les mesures sont avancées, les moyens sont d’entrée de jeu insuffisants. Craignant une dérive des comptes les pouvoirs publics sont parcimonieux. Les investissements par exemple pour les CPTS (communautés professionnelles territoriales de santé) ont été insuffisants au départ et ont dû être à plusieurs reprises augmentés. De même pour les assistants médicaux proposés aux médecins libéraux ou bientôt pour le SAS, service d’accès aux soins, pourtant essentiel pour désengorger les urgences hospitalières et renforcer la médecine de proximité.

Ainsi, les relations entre ce trio – les politiques, les administratifs et les soignants – ne fonctionnent pas bien. Par manque de connaissance des métiers et contraintes des uns et des autres et aussi par défaut de confiance. D’où une nouvelle méthode qui se met actuellement en place, mais qu’il faut accélérer. D’abord bien identifier le problème et ne pas essayer de le contourner, mais l’affronter directement. Ensuite, pousser ce trio à la confrontation pour que les échanges soient plus productifs et suivis d’effets mesurables.

Le Président de la République et candidat à sa réélection a dit cette semaine vouloir dans le domaine de la santé « casser toutes les barrières et mettre tout le monde autour de la table« . Oui, toutes et tout le monde.

 


Pour aller plus loin :

Ajouter un commentaire