Points de vue

Tribunes - 21 février 2022

Formations en santé : 20 propositions pour parachever les transformations (Tribune)

Formations en santé : 20 propositions pour parachever les transformations

Tribune d’Emmanuel Touzé, initialement publiée sur le site du Laboratoire d’idées Santé Autonomie (Lisa), dont nous sommes partenaires.

Les études de santé constituent un chantier permanent de réformes, avec des accélérations parfois, comme lors du quinquennat qui s’achève. C’est aussi un espace de débat incertain : tout le monde est concerné par l’enjeu (bénéficier des meilleurs soins, quel que soit le lieu où l’on se trouve) mais la discussion est bien souvent laissée aux spécialistes.

Lisa ouvre ici un cycle de propositions, avec cette note de portée générale, qui sera suivie d’autres articles sur les pratiques avancées, les formations et l’accès direct, l’hyperspécialisation et l’attractivité des carrières hospitalières.

Enjeux

La réflexion sur la formation des futurs professionnels de santé nécessite de bien appréhender l’organisation actuelle et projetée de notre système de soins et de santé, les grandes évolutions épidémiologiques, l’évolution rapide des connaissances et les innovations (technologiques, cliniques et organisationnelles). En effet, les formations doivent constamment s’adapter et se réformer pour répondre aux défis d’aujourd’hui et de demain et être en synergie avec l’exercice professionnel et les aspirations des professionnels et des usagers.

Cette réflexion implique nécessairement de définir les rôles et compétences des professionnels qui vont travailler et coopérer dans ce système. Réciproquement, les formations configurent pour une part le système de santé et il s’agit donc là d’une dimension essentielle de son évolution, trop souvent disjointe.

Les formations en santé sont actuellement essentiellement construites profession par profession, laissant peu de place aux coopérations. L’évolution du système de santé et les attentes des usagers imposeraient pourtant de repenser pour partie nos formations de façon pluri-professionnelle et d’évaluer nos besoins en professionnels à former par grandes filières de soins (ex : soins primaires, santé bucco-dentaire, soins de recours, urgences et soins critiques, santé de la femme, santé de l’enfant, santé mentale, grand âge, …).

Ainsi, les principaux enjeux de la formation pour les prochaines années sont qualitatifs (mieux définir les compétences et leur répartition entre les professions) et quantitatifs (mieux définir les besoins en professionnels à former, globalement et territoire par territoire). L’organisation territoriale des formations a aussi un fort impact sur la répartition des professionnels en exercice.

Le système de formation doit aussi faciliter les évolutions de carrière avec une montée en compétences de l’ensemble des professionnels, mais également permettre des évolutions vers des métiers moins en prise directe avec les soins, en milieu ou en fin de carrière.

Ce qui a déjà été réalisé

Sur la base de travaux antérieurs, notamment ceux de la Grande conférence de santé de 2016, de nombreuses réformes ont déjà été entreprises. La Loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé a supprimé le numerus clausus et diversifié les modalités d’accès aux études médicales (MMOP), réformé le 2ème cycle et l’accès au 3ème cycle des études de médecine dans le sens d’une meilleure prise en compte des compétences et permis de renforcer l’universitarisation des professions paramédicales par le biais d’expérimentations. D’autres évolutions sont en projet (3ème cycle des études d’odontologie, de pharmacie, évolution des études en maïeutique…).

Au-delà des numerus clausus médicaux, une réflexion est en cours sur l’ensemble de la politique de régulation quantitative des effectifs en formation. La crise Covid a servi ici de révélateur.

Toutes les filières de formation sont en cours de réforme, même si c’est la filière médicale qui a été la plus concernée et est classiquement la plus visible.

Globalement, ces réformes tentent de concilier les attentes des professionnels, des étudiants et des formateurs et in fine, celles du système de soins. Cependant, malgré la volonté d’aller vite, ces réformes permettent surtout de s’adapter aux évolutions déjà entamées depuis plusieurs années, et ne sont pas totalement anticipatrices des évolutions souhaitées de notre système. C’est pourquoi, il est intéressant de reprendre une approche plus globale, centrée sur les besoins et sur les compétences nécessaires pour répondre à ces besoins.

La réforme du 2ème cycle des études médicales et des modalités d’accès au 3ème cycle a été très attendue par les étudiants et le corps enseignant. Il y a eu d’énormes efforts de refonte du programme des connaissances, des modalités d’enseignement et d’encadrement en stage ainsi que des modalités d’évaluation et d’appariement entre les résultats des étudiants et les choix offerts pour le 3ème cycle.

La volonté d’un apprentissage plus adapté aux attentes du métier et des usagers reste néanmoins parasitée par un classement « couperet » qui maintient un niveau de stress élevé chez les étudiants et entraine des apprentissages strictement orientés sur ce qui sera évalué. Les effets de la régulation territoriale pour l’accès au 3ème cycle sont manifestes mais hétérogènes sur le territoire national. En moyenne, 5 % des internes changent de spécialité en cours de formation par le dispositif de droit au remords, et certaines disciplines sont plus particulièrement concernées.

Ce qu’il reste à faire

En l’absence d’une approche globale et cohérente entre toutes les formations, les réformes risquent essentiellement de servir des intérêts disciplinaires, au détriment d’une approche centrée sur les besoins. C’est pourquoi il est indispensable de partir des attentes du système de santé pour repenser nos formations.

Il faut allier les exigences en connaissances scientifiques et médicales et le caractère professionnalisant des formations, tout en intégrant la régulation du système de soins, des relations interprofessionnelles et des attentes des usagers. Les étudiants doivent continuer de s’emparer des enjeux de santé publique pour assumer pleinement leur responsabilité sociale.

Cette vision doit être très prospective compte tenu de la durée de certaines formations, et la flexibilité des parcours, notamment dans les formations les plus courtes, peut redonner de l’agilité pour s’adapter au fur et à mesure. Il ne s’agit pas nécessairement de créer de nouvelles professions de soignants, mais plutôt de permettre un meilleur partage des champs d’action, de développer des pratiques avancées et de renforcer les coopérations entres les professionnels soignants.

Les liens entre formation et démographie des professions de santé sont forts. Les professionnels ont en effet tendance à s’installer dans les territoires où ils ont été formés. D’autres dispositifs sont néanmoins nécessaires pour assurer une répartition homogène de ces professionnels sur le territoire.

Les nouvelles organisations des soins primaires semblent avoir des effets positifs en renforçant l’attractivité de la médecine générale et en favorisant l’installation des professionnels dans les zones organisées autour de maisons de santé pluri-professionnelles, notamment si elles sont universitaires (MSP-U) et de CPTS. Cependant, tout reste à faire pour les spécialistes. Or, les médecins généralistes ne s’installent pas lorsque le tissu de spécialistes de 1er recours n’existe pas.

Propositions concrètes

A) Evaluation des besoins et régulation

1. Intégrer plus largement les responsables des formations au sein des instances et organismes en charge des réflexions sur le système et les besoins de santé (HCAAM, DREES, …) et réciproquement, mieux intégrer des experts du système de santé (y compris les usagers) dans la conception des formations ;

2. Créer une instance nationale pluridisciplinaire chargée de mieux définir (ou redéfinir) les champs de compétence et de coopération des différents professionnels de santé, en fonction des besoins actuels et futurs, et dans une approche par grands champs de santé ou filières de soins ;

3. Supprimer les quotas dans les formations paramédicales, comme on l’a fait avec la suppression du numerus clausus pour les formations médicales et pharmaceutiques et bâtir une régulation concertée Etat-régions sur une base pluriannuelle, permettant à celles-ci de déterminer leurs capacités d’accueil en fonction des besoins identifiés sur le territoire ;

4. Renforcer les moyens des observatoires régionaux de la démographie des professionnels de santé pour la détermination des besoins. Des indicateurs et des outils de pilotage doivent être rendus disponibles, en lien avec l’Observatoire national de la démographie des professions de santé et d’autres organismes susceptibles de contribuer. Le dialogue avec les Conférences régionales de la santé et de l’autonomie (CRSA) doit aussi être renforcé ;

5. Aligner progressivement les effectifs d’étudiants en 3ème cycle des études médicales au sein de chaque région sur les besoins exprimés au moment de la conférence nationale, en cohérence avec les admissions en 1er et 2ème cycles ;

6. Proposer un quota « territorial » de places de spécialités en 3ème cycle. Les étudiants choisissant ces places s’engageraient à s’installer au sein de la région de formation d’internat, dans une zone sous-dense, que ce soit en établissement de santé ou en MSP et pour une durée minimum[1].

B) Evolution des métiers et des carrières

7. Développer de façon massive les parcours de promotion professionnelle à tous les niveaux de formation ;

8. Faciliter la montée en compétences des professionnels paramédicaux vers des pratiques avancées ou d’autres métiers (spécialisations, nouvelles technologies, enseignement universitaire, etc.) ;

9. Développer de nouvelles pratiques avancées ou spécialisées uniquement en fonction des besoins de santé (ne pas cloisonner) et permettre l’accès à l’exercice en pratique avancée dès la fin de la formation initiale, en renforçant le temps d’apprentissage en stage sur les deux années de formation master ;

10. Développer les passerelles entre les formations médicales et paramédicales (dans les deux sens) ;

11. Valoriser l’exercice en zone sous-dense pour l’accès aux formations nécessaires aux évolutions de carrière.

C) Organisation des formations

12. Impliquer plus fortement les usagers dans les formations en santé et mieux former nos étudiants à la démocratie sanitaire ;

13. Inciter les universités à organiser des pôles santé incluant les UFR santé et l’ensemble des formations paramédicales du territoire ;

14. Finaliser l’intégration universitaire des formations en maïeutique et paramédicales (une échéance à 5 ans pourrait être prévue pour une intégration complète) ;

15. Organiser la simulation à l’échelle de chaque territoire et pour l’ensemble des formations en santé ;

16. Renforcer les mutualisations d’enseignements (théoriques et stages) entre les filières santé en formation initiale et continue ;

17. Faire aboutir la réforme de l’accès aux études en santé en renforçant la diversification des parcours d’accès et en définissant mieux les compétences attendues pour la réussite dans les études en santé ; faciliter par ailleurs les réorientations tardives vers les études en santé.

18. Faire aboutir la réforme du 2ème cycle des études médicales dans une véritable approche par compétence. Envisager une réforme du 1er cycle des études médicales, dans une approche par compétence, pour mieux répondre aux attendus du 2ème cycle ;

19. Développer des enseignements spécifiques à l’exercice en zone sous-dense, en particulier en renforçant les compétences dans certains domaines spécialisés de 1er recours nécessaires à l’exercice de la médecine générale (en 2ème cycle, mais aussi en 3ème cycle, par exemple sous la forme d’options au sein du DES de médecine générale ; l’accès à l’option étant assujetti à un exercice en zone sous-dense pour une durée minimum). Assouplir les conditions de droit au remords au cours du 3ème cycle des études médicales pour répondre à des besoins de santé, tout en prenant mieux en compte les flux entrants et sortants dans la répartition territoriale des postes offerts chaque année ;

20. Augmenter les capacités d’encadrement des territoires sous-denses en professionnels de santé, en créant des « antennes » territoriales universitaires de formations en santé (autour des instituts paramédicaux, des établissements de santé hors CHU et des CPTS). Créer un label universitaire pour les CPTS et renforcer l’universitarisation des établissements hors CHU.

Il s’agit là de créer des territoires universitaires de santé.

Cette note a bénéficié des contributions de Stéphane Le Bouler, Jean Sibilia, Benoît Schlemmer

 


[1] Ce dispositif pourrait être accompagné d’aides financières pour l’installation. Il serait différent du contrat d’engagement de service public (CESP), qui pour l’instant n’impose pas d’installation dans la région de formation, qui peut être rompu par remboursement des indemnités perçues, et permet parfois des installations dans des métropoles ou en proximité selon la définition des zones prioritaires.

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