Tribune initialement publiée sur le site du Laboratoire d’idées Santé Autonomie (Lisa), dont nous sommes partenaires.
La problématique de l’hyperspécialisation amène à se questionner sur l’organisation de la formation, en l’occurrence celle des médecins et des chirurgiens. En effet, on peut observer que, dans les grands centres hospitaliers universitaires, l’hyperspécialisation est très développée, dès l’internat. Ce phénomène a d’ailleurs été favorisé par l’allongement des durées de formation, obtenu par plusieurs disciplines majeures et… réclamé par d’autres.
Dès lors, la mobilité des étudiants (hyperspécialisés) est contrainte par la possibilité de retrouver un poste leur permettant d’exercer à ce niveau de spécialisation, dans d’autres lieux que le CHU.
Il est dès lors difficile d’imaginer une mobilité des spécialistes dans certains centres hospitaliers périphériques, dans lesquels le plateau technique n’est pas au niveau espéré et où la présence d’autres spécialités connexes, indispensables à la qualité du parcours de soins, n’est pas garantie. Il est plus probable que ceux-ci préféreront s’orienter vers des pôles des groupements hospitaliers territoriaux (GHT) ou certaines cliniques privées, de taille critique appropriée et avec des moyens humains et matériels nécessaires à l’exercice de leur métier, en cohérence avec le niveau de formation dont ils ont bénéficié.
Offre de soins très spécialisés dans les territoires
Une réflexion sans tabous sur la répartition de l’offre de soins très spécialisés dans les territoires doit donc être menée, en tenant compte, bien entendu, à la fois des besoins de la population mais aussi de l’évolution du niveau de formation des professionnels et de leurs attentes en matière d’exercice.
Concernant la réforme du troisième cycle des études médicales, il paraît important de respecter une formation « spécialiste généraliste » dans une proportion suffisante. Tout en reconnaissant encore une fois que ce processus d’hyperspécialisation est inéluctable, cela revient à ne pas la laisser prospérer avant le post-internat. En théorie, ce devrait d’ailleurs déjà être le cas.
Dans les textes, c’est bien ce qui est sous-entendu mais cela n’est pas réalisé et n’apparaît pas réalisable tant que l’essentiel du 3ème cycle se déroule dans les CHU. Il serait ainsi opportun d’ouvrir de plus en plus de terrains de stages d’interne en « périphérie », dans les établissements publics, ESPIC et privés…
Une solution peut aussi être d’élargir le dispositif des assistants partagés et de l’ouvrir davantage au secteur privé, libéral, etc., avec l’implication des collectivités territoriales.
Améliorer l’articulation entre le deuxième et le troisième cycle
En outre, il est important de proposer un cadre visant à inciter les étudiants à rester dans les territoires où ils suivront leur formation, notamment pratique. Cela nécessiterait de délocaliser dans une plus large proportion les stages de second cycle, à distance des CHU et des facultés mais également d’améliorer l’articulation entre le deuxième et le troisième cycle et de valoriser réellement les étudiants ayant un parcours défini dans les territoires (points de parcours).
Pour l’heure, l’organisation des études médicales et notamment le remplacement de l’examen classant national par un système d’appariement national, qui maintient les étudiants dans une logique performative, ne facilite pas le développement d’initiatives de la part des facultés et continue de négliger la nécessaire articulation, à l’échelle loco-régionale, tant quantitative que fonctionnelle, entre 2ème et 3ème cycles.
Il faut aussi poser la question du nombre de médecins hyperspécialisés à former pour un territoire donné, sujet aujourd’hui à la main des étudiants eux-mêmes, les ARS et les universités manquant d’outils pour évaluer précisément les besoins en hyperspécialistes, les professionnels de terrain n’étant pas, de leur côté, partie à la décision. D’où un système très peu régulé.
Articulation avec les soins de premiers recours
L’organisation de l’offre de soins (y compris hyperspécialisés) est néanmoins l’une des principales prérogatives des ARS. La régulation par les autorisations donne en effet du pouvoir à celles-ci, mais cela ne représente en fait qu’une partie assez faible des sur-spécialisations, qui sont de plus en plus développées dans chacune des disciplines.
Une autre gamme de solutions consiste à concentrer la technicité médicale dans des grands centres de santé, sans pour autant réserver l’hyperspécialisation à un statut hospitalo-universitaire. Une concentration des moyens sur des sites pertinents est certainement préférable à la dilution que nous pouvons encore observer et qui débouche parfois sur une dégradation de la qualité des soins proposés aux usagers. La proximité crée souvent un faux sentiment de sécurité.
A l’évidence, cette réflexion ne peut être menée que si le premier recours est garanti partout et si l’articulation avec les professionnels de premier recours est optimisée, afin d’éviter les retards de diagnostic et les défauts de suivi.
Enfin, il convient de renforcer les initiatives tendant à « universitariser » les territoires, c’est-à-dire à déployer les ressources de la faculté et de l’université hors du champ hospitalo-universitaire classique et à développer la maîtrise de stage dans la sphère libérale, de façon à dynamiser le compagnonnage, indispensable pour assurer une formation de qualité en dehors des CHU dans le champ des soins de 1er recours, en lien avec les soins primaires.
Cette note a bénéficié des contributions de Franck Devulder, Patrick Dehail, Patrick Gasser et Emmanuel Touzé.
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