Points de vue

Tribunes - 11 février 2022

Vers l’entreprise médicale (Tribune)

Veille acteurs Santé_Vers l'entreprise médicale_Laboratoire Lisa

Tribune de Stéphane Le Bouler, initialement publiée sur le site du Laboratoire d’idées Santé Autonomie (Lisa), dont nous sommes partenaires.

La difficulté d’implanter le discours économique dans le champ de la santé est chose étrange. « La santé n’a pas de prix« . L’adage populaire est bien ancré, chez les professionnels et dans la population… et pas seulement au temps du « Quoi qu’il en coûte…« .

Et pourtant les concepts sont là et sont bien utiles pour penser la production, l’allocation des ressources ou la tarification dans le domaine de la santé.

A quoi s’intéresse en effet l’économiste?

A l’abondance ou à la rareté des ressources. Cela résonne immédiatement avec les préoccupations quant à la disponibilité des compétences soignantes, médicales et paramédicales, au plan global comme sur les territoires.

A la division du travail, autre concept à l’origine de l’économie politique. Dans le champ de la santé, on parlera de spécialisation médicale, toujours plus poussée, de nouveaux métiers, mais aussi de division du travail institutionnelle (médecine de ville, médecine hospitalière, médecine salariée).

Qui dit « division du travail » dit « interdépendances », « besoins de coordination », « coûts de transaction ». La circulation de l’information entre opérateurs et la reconnaissance de la qualité par les usagers deviennent des variables-clés.

La question du prix entre en scène : même si la capacité du prix, établi sur le marché, à révéler la qualité est l’objet d’âpres disputes économiques, on ne fait guère mieux pour rendre compte de la rareté et de la propension à payer. Pour autant que les conditions de la concurrence, non pas pure et parfaite mais raisonnée, soient réunies. Pour autant aussi que l’on raisonne en tenant compte de la solvabilisation par la solidarité nationale mais qu’il s’agisse d’un prix ou d’un tarif fixé par le régulateur, les termes du débat ne sont pas fondamentalement différents.

On a passé en revue ci-dessus quelques-uns des principaux concepts de l’économie politique.

Qui ne voit que cela recouvre quantité de nos débats contemporains dans le champ de la santé ?

Quel est le meilleur modèle de production en situation de ressources rares et d’incertitudes sur la qualité?

D’un côté, on trouve le modèle des producteurs atomisés sur un marché, autrement dit le cabinet médical unipersonnel classique. Il a rendu de fiers services, en particulier au moment où il a fallu répandre les compétences soignantes sur le territoire avec la généralisation de la Sécurité sociale. On connaît aussi ses limites en termes de coordination et lorsque les ressources viennent à manquer.

D’un autre côté, il y a l’hôpital, le modèle de la firme, pour reprendre là encore un concept clé de la science économique. La firme est un mode de coordination alternatif au marché et tire sa supériorité de ce qu’elle limite les coûts de transaction liés à l’acquisition d’informations, à la négociation et à la reconduction des contrats. La firme a la durée et l’organisation pour elle, elle en paie aussi le prix en situation d’innovations. La hiérarchie est présente : c’est une composante de l’organisation.

Dans le cas des hôpitaux publics, celle-ci est duale, administrative et médicale… ce que la science économique ou la science du management ont quelque mal à caractériser. Dans le cas des plus gros hôpitaux, les CHU notamment, on évoquera volontiers le modèle des conglomérats, depuis longtemps révolu dans l’économie ordinaire.

Alors qu’y a-t-il entre les opérateurs atomisés et la firme hôpital ou le conglomérat? Et pour assurer quels besoins collectifs?

Les cabinets regroupés en médecine générale ou spécialisée consistent à partager des charges fixes (locaux, équipements, secrétariat) : ils sont un prolongement de la forme de production atomisée. Il n’y a guère de gains en termes de coordination ; si on y économise des ressources, cela peut aussi se traduire par un éloignement pour les patients.

Les maisons de santé pluri-professionnelles, ou du moins ainsi dénommées, en sont parfois la version moderne, avec les qualités et les défauts des cabinets regroupés. Heureusement, l’innovation et la coordination en sont quand même parfois les maîtres-mots. Un bilan d’ensemble est à faire.

On a aussi les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), très en vogue depuis quelques années, sous l’impulsion et à coup de subventions des pouvoirs publics. On s’attaque là aux défauts de coordination et de circulation de l’information entre les acteurs. On nous dit que les CPTS ont joué un rôle utile dans la mise en place des dispositifs de dépistage, puis de vaccination anti-covid. C’est bien le moins qu’on pouvait attendre de ces dispositifs destinés à booster la coopération. Le compte n’y est pas cependant, le modèle économique n’est pas là. Tout cela ne vit que de subventions publiques et de capitation plus ou moins assumée.

Nous voulons défendre ici un vrai modèle économique intermédiaire entre les acteurs atomisés et la firme-conglomérat hôpital.

L’entreprise médicale que nous appelons de nos vœux :

  • rassemble des métiers différents sur des champs donnés : la santé visuelle, l’enfance, la santé des femmes, la santé mentale…
  • « met le paquet » sur la coordination au service du patient ;
  • est organisée en présentiel et à distance (téléconsultation, télésurveillance) et mobilise tous les outils nécessaires pour correspondre à un vrai progrès en termes de présence des ressources sur le territoire ;
  • bénéficie d’une tarification agile et pertinente, à partir d’une approche documentée à la fois des actes tarifés et des externalités produites (en termes d’accessibilité et de qualité de la prise en charge notamment).

Le médecin assure le leadership au sein de l’entreprise médicale, avec à ses côtés des professionnels paramédicaux, des secrétaires médicales et des administratifs. Pour assumer ce rôle, le médecin doit maîtriser les techniques du management. Il importe donc qu’il soit formé pour cela, en formation initiale ou continue, comme le sont d’autres professions, les pharmaciens par exemple.

Il faut en finir avec les modes organisationnels qui voient se succéder les dispositifs en vogue sur un rythme quinquennal, développés avec force subventions et rarement évalués. Il faut en revenir aux fondamentaux de l’économie (gérer et allouer au mieux des ressources forcément rares) et préférer des organisations et des tarifs agiles, ancrés sur un vrai modèle économique, aux poisons de la bureaucratie.

Merci à François Pelen et à Patrick Gasser pour leur relecture.

 


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