Points de vue

Tribunes - 9 novembre 2018

La tarification à l’activité : le pire des systèmes…

TRIBUNE par Dominique Maigne – … à l’exception de tous les autres, pour reprendre l’aphorisme de Denis Morin, le Président de la sixième chambre de la Cour des comptes, lors des récents Contrepoints de la Santé.

L’auteur de ces lignes qui a successivement connu les trois modes contemporains de financement de l’hospitalisation peut en témoigner : leur fonction répond à l’attente des pouvoirs publics lors de leur mise en place. Tous subissent une obsolescence que nos décideurs sont bien incapables de programmer, préférant les sur-utiliser et bien souvent les dévoyer dans une approche de régulation budgétaire stricte.

Du prix de journée au budget global

Le prix de journée finançait les lits dans une logique d’accroissement capacitaire qui était l’enjeu des « trente glorieuses ».

L’ère de la contrainte budgétaire apparue au tournant des années 80 a engendré le budget global qui était avant tout un financement forfaitaire par subventions, permettant au régulateur de verrouiller les recettes dont Simone Veil avait rappelé « qu’elles étaient aussi les dépenses de la Sécurité sociale ». La dotation globale dont l’erreur de conception venait de sa déconnexion avec les charges réelles des hôpitaux a permis d’engager une réduction historique des durées de séjour, qui était le préalable à toute restructuration du parc hospitalier.

La tarification à l’activité est née des limites et contradictions du budget global : plus on produisait d’activité (sur la base du t0 de l’année 1985…), plus on dépensait, plus on creusait les déficits !

Le saut dans l’eau de la tarification à l’activité

Un ministre médecin (Jean-François Mattei) conseillé par une Direction de l’hospitalisation anticipatrice, dirigée par de grands hospitaliers (Gérard Vincent, Édouard Couty) et de hauts fonctionnaires courageux (Jean Castex, Annie Podeur) a eu le courage selon son expression de « sauter dans la piscine sans connaître la hauteur de l’eau ».

Et du courage, il fallait en avoir pour abandonner le confort rassurant de dotations millimétrées, aux mains exclusives du régulateur national, pour plonger dans un modèle tarifaire, certes médicalisé par près de vingt ans de PMSI, mais ouvert au grand large des producteurs de soins.

Même si la France a été l’un des derniers pays de l’Union européenne à s’y lancer en grandeur réelle, l’œuvre réformatrice était immense et elle a été globalement réussie.

Elle a permis aux hôpitaux publics de reconquérir en moins d’une décennie les parts de marché que le budget global leur avait ravies.

Cette réforme a été conduite par une alliance forte entre directeurs d’hôpitaux et médecins spécialistes de l’information médicale, soutenus par toute la communauté hospitalière.

Le paradoxe est qu’après dix années de mise en œuvre, la T2A est aujourd’hui décriée par ceux auxquels elle s’adressait : les soignants, médecins infirmières, cadres de terrain et l’ensemble de la chaîne de production.

Que s’est-il passé ?

Le virage raté de la qualité et de la pertinence

Cette décennie fut celle de la maîtrise, enfin réussie, des coûts hospitaliers au prix d’une illisibilité des variations tarifaires, et des mécanismes macro-budgétaires de régulation qui ont brouillé le message d’une tarification de quasi-marché.

Plus profondément, la T2A a raté le virage de la qualité et de la pertinence. Elle est devenue progressivement un instrument tarifaire déconnecté des bonnes pratiques, incapable d’intégrer rapidement l’innovation technologique ou organisationnelle.

Son rejet est réactionnel, voire plus émotionnel que véritablement argumenté, hors la problématique des parcours et des « bundle payments » qui sont plus un prolongement et un raffinement de la T2A qu’un enterrement. Toutefois, l’urgence d’un instrument de financement des parcours pointe un chaînon manquant de notre système très éclaté : l’absence d’intégrateur de la chaîne de soins en capacité à intervenir sur l’ensemble des séquences hospitalières comme libérales, voire médico-sociales.

Les options sont sur la table, pas si nombreuses sauf à revenir à une culture de subventions qui peut convenir à certains lobbys, pensant être suffisamment influents pour en tirer un avantage différentiel en économie de rente.

Les enjeux de l’évolution tarifaire

Accroître la part de la dotation du programme d’incitations financières à l’amélioration de la qualité (IFAQ) sera une mesure utile, mais restera par sa construction, qui est celle d’un palmarès multicritères autour de la qualité, marginale en regard des enjeux. Au surplus, l’IFAQ devrait conserver sa logique de tableau d’honneur qui est plus d’encourager un engagement dans la qualité que de sanctionner des résultats.

Les indicateurs de processus et résultat intermédiaire des soins, de sécurité et d’alerte, et bientôt peut être de résultat, sont le nœud gordien de toute trajectoire tarifaire.

Mais il ne faut pas en attendre une réponse magique. Tout d’abord ils sont longs et complexes à produire si on veut qu’ils soient reconnus et appropriés par les professionnels comme la HAS sait le faire. Mais surtout, ils n’ont qu’une capacité médiocre à ajuster le financement de dotations construites sur des paniers de critères multiples.

Trop ciblés sur une procédure ou un acte, ils sont peu « budgetaro-sensibles ». Trop macro, au risque de nombreux redressements et ajustements statistiques, ils perdent leur sens pour les professionnels de terrain et restent confinés dans la sphère des spécialistes capables d’entrer dans leur algorithme.

L’expérience acquise dans la décennie 2007/2018 qui fut celle aussi de l’arrivée de dotations ciblées sur les missions de recherche, d’enseignement, d’innovation et d’intérêt général a montré les limites d’une régulation budgétaire par indicateurs qui fonctionne de façon intelligible lorsque la mesure est simple, claire et reconnue par les professionnels : le point Merri (enseignement recherche) assis sur les publications scientifiques ou le financement d’actes hors nomenclature, mais qui se perd dans des méandres technocratiques dès lors que la dotation finance de multiples missions et répond à des objectifs multiples, comme les missions d’intérêt général.

La voie étroite du réaménagement tarifaire par la qualité et la pertinence

Une voie étroite, parce que toujours différée depuis que l’on a pris conscience que la T2A avait fait l’impasse sur la qualité existe cependant. Elle consister à injecter la qualité et la pertinence directement dans le modèle tarifaire, en priorisant évidemment la lutte contre les gaspillages ou les actes notoirement non pertinents. À moyen terme, il s’agit d’aménager les tarifs actuellement calés sur des moyennes de coûts observés qui embarquent les écarts de pratiques, en leur retranchant les actes, examens et procédures notoirement inutiles, sur la base des chantiers sur la pertinence que la Stratégie nationale de santé a ouverts. Ce sera long et difficile, mais cette entreprise est nécessaire, surtout si l’on veut par ailleurs mieux prendre en charge les innovations.

On peut aussi attendre de la future certification médicalisée la capacité à apprécier la qualité et la pertinence des parcours intra -établissements, ou GHT dans le public , et d’en tirer des conséquences sur le financement des GHS concernés.

Enfin, on doit assumer une gestion plus stringente des autorisations qui doivent effectivement interdire, c’est-à-dire non financer, les activités qui se situent en dehors du périmètre autorisé pour chaque établissement. Un amendement déposé par Olivier Veran dans le PLFSS en cours d’examen va dans ce sens, mais il faut étendre la démarche en définissant, de façon stricte, par spécialités notamment interventionnelles, un pack d’actes correspondant aux compétences et capacités technologiques reconnues dans chaque niveau d’autorisation.

Ne pas réinventer l’eau tiède ni bricoler

Dans l’attente, une pratique de la tarification alignée sur la qualité peut s’organiser autour des indicateurs. La boîte à outils existe déjà autour des contrats qui encadrent les établissements « atypiques », mais elle est peu utilisée hors des cas très manifestes de refus de se conformer à un chemin de retour à la moyenne. Il faudrait rendre ces outils utilisables en routine en adossant les indicateurs aux tarifs qui les concernent et en assumant des baisses tarifaires sur les établissements qui ont, sur une pratique donnée, des taux de recours excessifs, ou des niveaux médiocres d’indicateurs. Il ne faut pas avoir peur de manier l’instrument tarifaire dès lors que la transparence est partagée.

L’objectif est de réconcilier la tarification avec le couple qualité/pertinence en les considérant comme des déterminants intrinsèques de la construction tarifaire, et de donner aux professionnels des signaux clairs sur la trajectoire vertueuse combinant qualité des soins et optimisation des coûts. Comme d’habitude le monde anglo-saxon et les pays du nord de l’Europe ont pris une longueur d’avance, et c’est une opportunité à saisir.

Plutôt que de réinventer l’eau tiède, habitude bien française, ou de bricoler en ordre dispersé, autre travers de notre culture administrative, l’urgence est aujourd’hui d’encourager les professionnels gestionnaires et soignants à rejoindre ce mouvement, via des communautés d’acteurs comme ICHOM (International Consortium for Health outcomes and measurement) et à diffuser le plus largement possible les systèmes d’information qui permettent de piloter l’efficience clinique par les coûts et les pratiques reconnues.

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