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Tribunes - 7 juin 2022

Santé et urgences : le temps n’est plus aux demi-mesures (Tribune)

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Tribune rédigée par Philippe Leduc, médecin et journaliste santé, initialement publiée sur le site Les Echos.

La santé est une « urgence » a dit la Première ministre. Le système de santé craque de partout. Bien sûr le Covid a sa part de responsabilité. Mais pas uniquement. Les causes sont plus profondes et anciennes. Le pire, c’est qu’elles sont connues et bien documentées. Réunir une « conférence des parties prenantes » et lancer une « mission flash » sur les urgences comme l’a indiqué le Président de la République, pourquoi pas ! Mais il y a encore plus urgent et cela nécessite une action plus globale.

 

Dr Philippe Leduc, médecin, journaliste santé et auteur du blog Think Tank Economie santé, groupe Les Echos.
Dr Philippe Leduc, médecin, journaliste santé et auteur du blog Think Tank Economie santé, groupe Les Echos.

Le temps n’est plus aux demi-mesures car les mesures qu’il faut prendre sont très bien connues. Mais elles sont difficiles à appliquer car elles remettent en cause bien des habitudes, des modes de pensée archaïques et des prés carrés. Et elles concernent non pas tel ou tel secteur – l’hôpital, les soins de ville, le médicosocial ou encore les urgences – mais l’ensemble du système de santé.

Toucher à un pan de cette structure impose d’agir sur tous les autres, d’où la difficulté et la complexité. Et il ne faut pas lâcher la proie pour l’ombre. Ne pas déverser des milliards d’euros sans une vision structurante et d’avenir.

Une opportunité est apparue. La situation est tellement grave que les esprits sont prêts à engager de profondes réformes, à condition que tous les acteurs et professionnels soient concernés, impliqués et impactés. En quelque sorte que cette politique urgente et structurante soit guidée par la transparence et une forme d’équité. Il y aura des changements de périmètres mais le travail ne manque pas et tous les soignants s’y retrouveront en améliorant leurs conditions de travail, plus proches de leurs compétences.

Dix mesures à fortement renforcer et accélérer

Voici dix mesures volontairement simples et ponctuelles et certes non exclusives qui pourraient donner le répit nécessaire et montrer la détermination des pouvoirs publics et l’attention qu’ils portent aux soignants, tout en menant dans le même temps les réformes de fond, en fait déjà engagées mais encalminées et qu’il faut fortement renforcer et accélérer.

Déserts médicaux

Donner du temps médical aux médecins de ville est une évidence. La création des assistants médicaux est une bonne chose, il convient maintenant de réduire fortement les freins à leur recrutement. C’est un formidable moyen pour augmenter le nombre de patients suivis par les médecins généralistes et mieux les orienter dans le système de santé.

Autre urgence : confier encore davantage de nouvelles missions aux autres professionnels de santé, en particulier les pharmaciens et les infirmiers. Le sujet est mûr. Sans oublier la promesse du Président de la République lors de sa conférence de presse de candidat : actionner le conventionnement sélectif des médecins par l’Assurance maladie dans les quelques zones encore sur dotées.

Urgences

En amont des hôpitaux, le constat est bien connu : moins de la moitié des médecins effectuent des gardes. Eh bien, rémunérons franchement mieux ces gardes en tenant compte des spécificités locales. Autre demi-mesure qu’il faut contourner, celle qui concerne la rémunération des médecins de ville dans le judicieux système d’accès aux soins (SAS). Là aussi une motivation par le financement est nécessaire.

En aval, il serait temps de s’assurer que tous les services d’urgence disposent d’un « bed manager » qui dirige les patients dans l’ensemble des services d’un hôpital. C’était l’emblématique revendication des hospitaliers à Orléans.

Accès aux soins pour tous

La création des CPTS (communauté professionnelle territoriale de santé) est la solution mais là aussi il faut y mettre les moyens. Depuis leur création, les budgets affectés sont régulièrement augmentés. Que de temps perdu !

Attractivité des métiers à l’hôpital

Chaque hôpital est différent. Certains manquent de médecins, d’autre d’infirmières. Là, c’est le logement qui pose problème, ailleurs c’est le transport. La solution : donner des marges de manœuvre aux directions pour affronter ces difficultés avec les moyens financiers nécessaires. Ce qui devrait accélérer la fin programmée des intérimaires qualifiés de « mercenaires ».

Sens à l’hôpital

Retrouver le sens de sa mission passe bien sûr le sentiment qu’on peut bien faire son travail. Donc par un nombre suffisant de soignants. Reconnaissons cette nécessité par la définition de ratios de soignants par malade, à défaut de les atteindre immédiatement.

Personnes âgées fragiles

Le repérage des fragilités est là essentiel pour éviter le passage par les urgences qui est bien souvent une catastrophe. Mais peu est fait. Après la canicule de 2003, des actions ont été entreprises. Mais c’est aujourd’hui notoirement insuffisant.

Les collectivités territoriales qui réclament d’être davantage associées aux actions de  santé sur leur territoire doivent être clairement mobilisées, quitte à adapter la législation et en leur en donnant les moyens. C’est un énorme gisement de bien-être et de d’économie.

Prevention 

Là aussi il y a urgence et les solutions sont connues. Le meilleur moyen de soulager le système de santé, c’est de réduire le nombre des maladies et accroître l’espérance de vie en bonne santé. Des mesures peuvent être efficaces rapidement. Tabac, alcool, activité physique, dépistage, consultations de prévention…

Démographie des soignants

Augmenter encore le nombre des étudiants en médecine et des autres filières de santé sans craindre une pléthore dans quinze ou vingt ans. On manque de soignants et pourtant encore cette année à Parcoursup, les études de santé sont plébiscitées. 30% des lycéens souhaitent poursuivre des études dans la santé ou le social. 10% ont émis parmi les 13 souhaits possibles celui d’une formation pour devenir infirmier. Le Parcours accès spécifique santé (PASS) est l’un des choix de plus de 650 000 futurs bacheliers.

Financement

Reprendre une partie de la dette Covid du système de santé pour le transférer à l’État (où la dette « roule ») ce qui allégera la dette sociale et permettra de décaler le remboursement de celle-ci pour transférer une partie des sommes collectées par la Cades* (17 Md€ récoltés chaque année) vers le système de santé et la cinquième branche « Autonomie » de la sécurité sociale. Sans brader la logique d’un retour vertueux à l’équilibre, mais en y mettant les moyens.

Données de santé

Elles sont essentielles pour améliorer la santé des Français. Et cela parfois très rapidement en connaissant mieux les résultats des actions menées. Or la stratégie des pouvoirs publics n’est pas claire. Un recueil et une exploitation plus performants doivent être mieux définis.

On l’a compris pour sortir rapidement de cette situation délabrée, l’action ne peut se limiter à une cartographie des difficultés et à un partage des bonnes pratiques. Elle doit d’emblée être globale et financée, et surtout volontariste et tous azimuts. Enfin s’inscrire dans l’immédiateté et le long terme.

 


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