Points de vue

Tribunes - 9 juin 2022

Médecine préventive ou comment se prémunir d’autres épidémies ! (Tribune)

Léonard Corti, interne d’Anesthésie-réanimation, livre, dans son ouvrage « Dans l’enfer de l’hôpital« , paru en avril 2022 aux éditions Robert Laffont, un témoignage poignant sur son quotidien de jeune interne, en pleine crise de Covid-19. Avec un constat : pour se prémunir sur le long terme des chocs qu’engendrent des épidémies brutales comme celle provoquée par le Sars-Cov-2, il est impératif de transformer le modèle sanitaire français en modèle préventif. À l’heure où le nouvel intitulé du Ministère de Mme Bourguignon, « Ministère de la Santé et de la Prévention », pourrait laisser penser que le virage est enfin en vue, il met toutefois en évidence deux enjeux cruciaux pour qu’il puisse être effectif.

 

Veille acteurs Santé_Léonard Corti, interne d'Anesthésie-réanimation
Léonard Corti, interne d’Anesthésie-réanimation, auteur de l’ouvrage « Dans l’enfer de l’hôpital », éd. Robert Laffont, avril 2022.

En septembre 2020, seulement quelques mois après le début de la pandémie, le rédacteur en chef de la prestigieuse revue The Lancet, Richard Horton, publie un éditorial au titre provocateur : « Covid-19 is not a pandemic« . Son objectif est simple: que les médias arrêtent de comparer l’épidémie provoquée par le SARS-Cov-2 avec la Peste ou encore la Grippe espagnole.

Selon lui, c’est une erreur car la Peste (avant les antibiotiques) tuait indistinctement plus de 90% des personnes infectées, quels que soient leur âge ou leur état de santé préexistant. Le Covid-19 n’a rien à voir car il touche très différemment deux personnes du même âge selon que celles-ci sont porteuses ou non de comorbidités comme l’hypertension artérielle, le diabète ou encore le surpoids.

La syndémie, synergie entre plusieurs épidémies

Richard Horton reprend alors un concept ancien et peu connu en santé publique : la syndémie, ou la synergie entre plusieurs épidémies. La virose émergente provoquant le Covid-19 a « rencontré » d’autres épidémies déjà bien installées dans les sociétés industrialisées et qui ont conduit plus de la moitié des plus de 50 ans à être hypertendus, presque la moitié de la population française à être en surpoids. Sans parler de l’explosion depuis 30 ans des diabètes de type 2 intrinsèquement liée au ras-de-marée de malbouffe qui nous submerge depuis les années 1990.

Veille acteurs Santé_Léonard Corti, Dans l'enfer de l'hôpitalDurant l’hiver 2020-2021, alors que l’intérêt pour le Covid-19 commençait déjà à marquer le pas au profit d’une plus grande attention portée aux conséquences économiques de la crise sanitaire, je raconte dans mon témoignage l’agacement et l’incompréhension qui me saisissaient quand sur le chemin de l’hôpital je voyais des publicités dans la rue pour des chaînes de fast-food ou pour de la nourriture hypercalorique, « trop grasse, trop salée » comme le dit le slogan gouvernemental.

Je n’arrivais pas à comprendre comment une société qui mobilise autant de ressources (une journée de réanimation pour un patient intubé et sédaté coûte en moyenne plus de 19 000 euros) pour prendre en charge des patients présentant des formes gravissimes de détresse respiratoire, le tout en m’enjoignant de monter au front pendant 80 voire 100 heures par semaine, pouvait continuer à proposer à la population le poison même qui a une lourde responsabilité dans la gravité de la crise que nous traversions.

Les deux enjeux du virage vers la médecine préventive

Cette pandémie doit être l’occasion de repenser le modèle sanitaire français et d’enfin l’orienter vers la prévention, pour que la santé ne soit plus vivre avec mais vivre sans pathologies chroniques. Le nouvel intitulé du Ministère de Mme Bourguignon « Ministère de la Santé et de la Prévention » pourrait laisser penser que le virage est en vue. Derrière l’effet d’annonce, se dessinent cependant deux enjeux cruciaux pour que ce tournant de la médecine préventive puisse être effectif.

Tout d’abord, il va falloir intégrer que la culture médicale et sanitaire « à la française » est presque complètement étrangère à cette dimension préventive. Dans mon cursus médical, on ne m’a jamais enseigné comment empêcher les gens de tomber malades mais bien comment les soigner quand ils le sont déjà. Cette révolution culturelle ne devrait pour autant pas être trop difficile à faire, partant du fait que le France a la chance de compter parmi ses scientifiques de grands noms de la santé sociale et de la médecine préventive (entre autres, Dominique Costagliola ou Didier Fassin).

Un courage politique nécessaire

Ensuite, il va falloir une dose immense de courage politique à la nouvelle ministre pour affirmer ce qui suit : les questions sanitaires doivent être présentes dans toutes les politiques publiques. Il ne suffit pas d’avoir un ministère de la prévention, il faut que les ministères des transports, du logement, de l’agriculture, de l’économie, soient tous mis au pli de ce changement de paradigme.

Car il n’y aura pas de prévention des maladies sans évolution de nos modalités de déplacement (limiter la sédentarité c’est promouvoir les transports collectifs, par exemple) ; de l’assainissement de nos logements (peintures, colles dans l’ameublement, isolation, etc.) ; de la qualité de notre alimentation (diminuer drastiquement les produits ultra transformés est un impératif de santé publique depuis trop longtemps ignoré) ; ou encore de la prise en charge des pathologies professionnelles (la médecine du travail est un secteur totalement sinistré alors qu’il devrait être un pilier de la santé des populations).

La médecine préventive est une formidable opportunité de se prémunir sur le long terme des chocs qu’engendrent des épidémies brutales comme celle provoquée par le Covid-19. C’est aussi un moyen d’améliorer le niveau global de santé de la population et donc de réduire de manière pérenne les dépenses de santé car ce qui coûte le plus cher, c’est bien la maladie que l’on soigne, pas celle qu’on prévient.

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Bio express

Après un master en Affaires publiques à Sciences Po Paris, Léonard Corti, 31 ans, s’est orienté vers des études de médecine. En novembre 2019, il intègre en tant qu’interne un département de recherche médicale tout en faisant, en parallèle, des gardes aux urgences de la Pitié-Salpêtrière. En juin 2020, il se réoriente vers l’anesthésie-réanimation. Depuis fin 2020, il est également président du Syndicat des Internes des Hôpitaux de Paris.

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