Points de vue

Les Contrepoints de la Santé - 30 juin 2022

Ce que dit le Covid-19 de notre société (Débat)

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Le 29 juin 2022, les Contrepoints de la santé se sont concentrés sur la pandémie de Covid-19 qui n’en finit pas de nous bousculer. Que dit le Covid-19 de notre société et quelles conséquences pour notre vie en société et notre santé ? L’État et le “quoi qu’il en coûte“ en sortira-t-il grandi ou abîmé ? Aujourd’hui, les Français comprennent-ils mieux le rôle et les missions de l’État en matière de santé et de prévention en particulier ? La solidarité l’a t-elle emporté sur l’individualisme, ou l’inverse ? Le point avec Jean François Delfraissy, président du Conseil scientifique Covid-19 et président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), Gérard Raymond, patient et surtout président de France Assos Santé, et Gaëtan Casanova, médecin et président de l’InterSyndicale Nationale des Internes (Isni).

 

Lorsque l’on se penche sur la diminution de la durée de vie liée au Covid, « on est frappé par le fait que la France est à -0,4 à peu près au même niveau que l’Allemagne », « l’Italie et l’Espagne sont à -0,9 », « l’Angleterre est à -1,3 », tandis que les Etats-Unis, « pays de l’innovation, des vaccins et du seul traitement antiviral qui est à notre disposition », est à « -2,1 », énumère Jean-François Delfraissy. Outre-Atlantique, « il y a eu bien sûr l’épisode Trump mais pas que », explique-t-il pour tenter de comprendre ce chiffre, tout en évoquant également le non accès aux soins de la population hispanique, population la plus précaire en ce moment aux USA.

Durant cette pandémie, les inégalités sanitaires et sociales ont été très marquées. En France, en particulier lors de la première vague qui a été la plus sévère, « les conditions sociétales font qu’il était plus difficile de rester confiné dans une pièce, dans la banlieue nord de Marseille que dans un 5 pièces dans le 7e arrondissement à Paris », synthétise le Pr Delfraissy. Des inégalités se sont également révélées au niveau scolaire ou encore, professionnel, entre les Français qui ont télétravaillé et ceux qui ont été mobilisés dans les magasins, à l’usine, etc… entre ceux qui ont pu partir à la campagne pour pouvoir mieux vivre le confinement…

 

 

Pour autant, « il y a quand même eu un très gros effort de la part de l’ensemble de notre société, des soignants, de tous les acteurs » pour « aller vers les populations les plus fragiles » et leur faciliter l’accès à la vaccination et à l’innovation et, ainsi, maintenir une disparité « relativement faible » entre les populations les plus précaires et la population générale dans notre pays, poursuit le Pr Delfraissy. Et de saluer notre système de santé, « qui coûte cher » mais qui a su faire face à la crise, un point « sur lequel on insiste pas assez ».

 

Une perte de confiance

Du côté des usagers du système de santé, le « constat est partagé », évoque Gérard Raymond, pointant un « déni de démocratie en santé au moment du premier du premier confinement » : la « démocratie en santé qui se mettait péniblement en place a été totalement balayée ». Personne n’a « rien demandé aux citoyens, aux patients, aux usagers de la santé et encore moins aux structures représentatives de ces usagers de la santé, que ce soit les CDU dans les établissements, les CRSA, la structure que je représente (France Assos Santé, NDLR)… »

Ensuite, « effectivement, il y a eu un ressaisissement ». Et, « comme le dit le professeur Delfraissy, se sont développées des actions de solidarité, d’aller vers« , en particulier vers les plus défavorisés. « Aujourd’hui, je pense que cela est perçu par les usagers de santé », même s’il persiste « une rupture de confiance » vis-à-vis du pouvoir et, notamment, « du pouvoir sanitaire », estime Gérard Raymond.

À cela s’ajoute une « peur », celle d’être moins bien soigné, en particulier avec l’essor de la crise à l’hôpital, quand bien même une « confiance dans les individus » perdure : confiance en son médecin, en son pharmacien…

Gérard Raymond appelle ainsi, à l’heure des « 20 ans de la loi Kouchner« , à un nouvel élan de la démocratie en santé, une plus grande participation de l’ensemble « des citoyens, des élus, des professionnels » dans la recherche de solutions et l’organisation des soins dans les territoires.

 

Une absence de cohérence des discours

Pour le président de France Assos Santé, « l’État a pris les bonnes décisions » face à l’essor de la pandémie de Covid, pour « protéger l’ensemble de nos concitoyens les plus fragiles, etc » : « nous sommes le seul pays au monde qui avons permis à chacun d’entre nous de pouvoir nous arrêter de travailler en téléchargeant un arrêt de travail et d’être payé », constate-t-il. L’État a « fait le boulot ». Sa « communication » n’a toutefois pas été à la hauteur, selon lui…

Un point partagé par Gaëtan Casanova, président de l’Isni, qui regrette, durant cette crise, non « les mesures » adoptées, en soi, mais l’absence de cohérence du discours, c’est-à-dire de « cohérence entre le message délivré et les mesures prises ». Cela a laissé « une marque indélébile dans l’esprit des Français ». Exemple : le discours selon lequel le virus « est très dangereux » mais que l’on peut « quand même aller au restaurant », en enlevant le masque à l’entrée mais en le remettant « entre l’entrée et le plat »… ou encore, selon lequel le fait d’être « collé-serré dans les transports en commun le matin pour aller travailler » est « acceptable ». Même si cela « a duré très peu de temps », c’était « un élément, je crois d’incohérence assez forte », relève-t-il.

Dans une « ère de communication et d’information extrêmement rapides », « sur des prises de décisions aussi importantes », il « aurait peut-être fallu prendre un temps de réflexion plus important » et consulter « l’ensemble de la société civile et des acteurs », estime Gérard Raymond.

 

Un système de santé « extrêmement blessé »

Autre observation consécutive à la crise Covid, de l’aveu de Gaëtan Casanova : la solidité du système de santé. « Il a eu une capacité à s’adapter à la situation absolument hallucinante que personne n’imaginait », assure-t-il. Pour autant, s’il est fort, « il est terriblement blessé ». Ce qui implique de « saisir la problématique immédiatement« , au risque de courir droit à « la catastrophe ».

Sur ces différents points, le Pr Jean-François Delfraissy, médecin et spécialiste des maladies émergentes, « regrette » de ne pas « avoir mieux porté » l’aspect de la démocratie en santé durant cette crise. Sur les autres volets, et notamment le volet politique, il « est facile de refaire l’histoire » aujourd’hui…, note-t-il. « Arrêtons de penser uniquement à mars et avril 2020. On est en juin 2022. Qui aurait pensé, moi le premier d’ailleurs, qu’on serait encore avec le variant Omicron BA5 là maintenant ? On pensait qu’on allait vers une crise de un an peut-être mais mais pas à 2 ans et demi. »

 

L’échec des politiques « zéro Covid » 

Et de rappeler qu’à l’échelle internationale, 3 grands types de réponses ont été apportées face à la pandémie :

– celle des démocraties européennes, où la démocratie a, à certains moments, « été touchée » avec « un certain nombre de restrictions » vis-à-vis des libertés individuelles, « mais pour mieux aller vers une vision de liberté collective »

– celle, plus extrême, de pays comme les USA, pays de l’innovation pourtant marqué par une grande disparité dans l’accès aux soins

– celle de grands pays non démocratiques comme la Chine et la Russie. « On nous laisse entendre en ce moment que cela aurait pu être un élément de réponse dans nos démocraties » qui, « fragiles », « ne seraient pas capables de répondre dans de bonnes conditions » et pourraient s’inspirer d’autres modèles plus autoritaires…, déplore le Pr Delfraissy. La politique « zéro Covid » de ces pays est pourtant « un échec total » en « termes de mortalité, de morbidité, d’accès aux droits humains », il « faut le dire ».

Certes, en France, « tout n’a pas été parfait, je vous l’accorde très volontiers », admet le président du Conseil scientifique Covid-19. Il reconnaît également ne pas savoir si l’idée de « vivre avec les variants » était « la bonne solution », mais « c’était une solution qui, en tout cas, était réaliste dans les pays européens », « dans ce compromis entre démocratie et enjeux sanitaires ».

 

Tous les mois, dans les Contrepoints de la Santé, des personnalités de premier plan débattent des sujets qui font l’actualité du secteur de la santé. Un rendez-vous co-organisé par Pascal Maurel, Philippe Leduc et notre directeur, Renaud Degas. La Veille des acteurs de la Santé en est le partenaire média. Retrouvez ici les vidéos et les synthèses des débats.

 


Quelques chiffres

  • 12% de Français n’ont jamais été vaccinés contre le Covid. 13% ont eu les 2 doses initialement prévues mais pas de rappel. 44% ont eu une dose de rappel (3e dose le plus souvent) et 30% ont eu 2 doses de rappel (4e dose le plus souvent).
  • 74% pensent que la vaccination a évité beaucoup de formes graves et a donc eu un effet positif ; pour 63%, elle a d’ailleurs aidé à sortir de la crise sanitaire.
  • 49% des Français estiment que le gouvernement a globalement bien géré la crise ; en juin, la côte de confiance des Français vis-à-vis du Gouvernement a toutefois chuté, pour atteindre 27% d’opinions favorables.
  • 77% jugent que les mesures de confinement qui ont été prises ont été beaucoup trop lourdes, surtout pour les jeunes.
  • 53% des Français estiment que sacrifier la liberté de tous de se déplacer, d’exercer, de travailler pour préserver la santé de quelques-uns n’est pas la bonne solution.
  • 69% pensent que le Covid, un peu à l’image de la grippe, va revenir chaque année, telle une maladie saisonnière.
  • pour 83% des Français, il est urgent de prévenir les futures épidémies engendrées par les animaux.

Sondage BVA santé pour les Contrepoints de la Santé, Juin 2022

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