Points de vue

Tribunes - 19 février 2021

Jean-Michel Chabot : « Décision Médicale Partagée… et infantilisation »

Veille acteurs santé_tribune Jean Michel Chabot_Décision Médicale Partagée… et infantilisation_Février 2021_Site

Tribune rédigée par Jean-Michel Chabot pour la Veille des acteurs de la Santé. 

Voilà déjà plusieurs années que la décision médicale partagée (DMP) a fait irruption dans l’écosystème de la santé. Il faut y voir les effets de l’évolution sociétale, de l’émancipation des patients et dans une certaine mesure de la désacralisation de la parole médicale. En France, la loi « Droits des malades… » portée par le ministère Kouchner et promulguée le 4 mars 2002 a fait office de catalyseur de ces évolutions.

Pourtant, les choses remontent encore un peu plus en amont.

Jean-Michel Chabot est Professeur émérite de santé publique. De 2010 à 2017, il a été conseiller médical de la Présidence de la HAS et membre de la Commission nationale des études de santé (CNES). De 2002 à 2004, il a été conseiller du ministre de la Santé Jean-François Mattéi après avoir été secrétaire de la conférence des Doyens de médecine de 1998-2002.
Jean-Michel Chabot est Professeur émérite de santé publique. De 2010 à 2017, il a été conseiller médical de la Présidence de la HAS et membre de la Commission nationale des études de santé (CNES). De 2002 à 2004, il a été conseiller du ministre de la Santé Jean-François Mattéi après avoir été secrétaire de la conférence des Doyens de médecine de 1998-2002.

Ainsi, il y a plus de 25 ans, le Dr Jérôme P Kassirer, alors Editor in chief du New England Journal of Medicine, plaidait, dans un éditorial1 titré « Incorporating Patients’ Preferences into Medical Decisions », pour que dans un certain nombre de situations préidentifiées, un dialogue explicite s’instaure entre médecin et malade afin d’orienter le choix à faire.

À noter que JP Kassirer avait rédigé cet éditorial à une époque où l’attention accordée à la production des guidelines était maximale et où l’on pouvait craindre une « dictature des preuves », conduisant à l’uniformisation des pratiques et niant la spécificité de chaque patient.

On peut également citer Donald Berwick. Formé voilà plus de 50 ans sur la côte Est des États-Unis, d’abord en pédiatrie, puis assez vite en santé publique ; il a été celui que l’administration Obama a mis en 2012, au terme de sa carrière, à la tête des Centers of Medicare and Medicaid Services (CMS) afin de réussir la réforme du système de santé.

Déplacer le centre de gravité des médecins/soignants jusqu’aux patients

Un peu antérieurement, il avait commis dans Health Affairs2 une tribune où il documentait l’origine et les potentialités du « Patient-Centered » (cette tribune devrait être discutée par tous nos internes en formation). On peut l’évoquer d’une formule : il s’agit de déplacer le centre de gravité du système de soins – en termes de pouvoir, de contrôle et de finalité – depuis les médecins/soignants jusqu’aux patients ; vaste programme…

Enfin, il faut se remémorer le séminaire international pluriprofessionnel, tenu à Salzburg (en Europe !) en 1997 où la sentence radicale « Nothing about Me without Me » avait été produite3.

Bref, la Décision Médicale Partagée est désormais documentée et codifiée. En France, la HAS y a même apporté son « onction » en octobre 2013 en s’appuyant largement sur une revue Cochrane publiée en 2011.

Il reste cependant au moins deux champs d’application pour lesquels les choses ne sont pas univoques et des difficultés pourraient survenir. Le premier concerne la perception propre à chaque individualité quand il s’agit de prendre part à une décision l’impliquant. Le second renvoie aux conséquences que pourrait provoquer la prise en compte de la participation des patients aux « dépenses de santé » et singulièrement aux modes de rémunération des professionnels.

Vers la fin du modèle historique ou paternaliste des soins ?

Sur le premier de ces champs d’application, on peut relire avec profit un savoureux échange entre les signataires d’un éditorial publié dans Evidence-Based Medicine4 et un lecteur réagissant par une « lettre aux auteurs » :

« Jusqu’à une époque récente, une approche répandue de la prise de décision médicale consistait pour le praticien à établir un diagnostic, à envisager les diverses possibilités thérapeutiques et à informer le patient de ce qui serait fait pour l’aider. La prise de décision était le domaine exclusif du médecin. Ce modèle historique ou paternaliste des soins incitait les cliniciens à décider de ce qui leur paraissait être le meilleur choix pour leurs patients.

Le modèle paternaliste a ses points forts, et il est très vraisemblable que dans le passé de nombreux patients préféraient remettre la décision à leur médecin, en particulier lorsque l’écart entre les connaissances des médecins et celles du grand public était plus important […].

Dans certaines parties du monde, dont l’Amérique du Nord et l’Europe, le processus de décision médicale est en cours de mutation. La progression générale du niveau d’éducation, l’arrivée de l’internet et à l’accès de l’information médicale qui en résulte, ainsi qu’un environnement de plus en plus procédurier et consumériste, ont contribué ensemble à augmenter le désir des patients de jouer un rôle plus actif dans la prise de décision.

Une étude récente portant sur 171 patientes présentant un cancer du sein sans envahissement ganglionnaire, chez lesquelles une chimiothérapie adjuvante était envisagée, a montré que 84 % d’entre-elles préféraient avoir un rôle indépendant ou partagé dans la prise de décision. La prise de décision partagée et le recentrage du processus sur le patient sont devenus des approches séduisantes devant la profusion de choix difficiles offerts aux patients et aux cliniciens »…

Centrer l’attention sur les critères importants pour le patient

Ce à quoi le lecteur attentif répond:

« Cent cinquante femmes qui représentaient un cancer du sein diagnostiqué ont été comparées à 200 femmes présentaient une mastopathie bénigne. La majorité des femmes représentant un cancer ont préféré jouer un rôle passif, et laisser à leur médecin la responsabilité de choisir, alors que les femmes du groupe témoin présentant une mastopathie bénigne ont préféré une collaboration, la décision étant prise conjointement par le patient et le médecin […].

Schwartz a écrit que « De fait, le point où le choix tyrannise les patients plus qu’il ne les libère pourrait bien exister ». Comme les participantes à l’étude mentionnées ci-dessus, ma propre mère, une femme intelligente et active ayant de la force de caractère, a eu à choisir entre tumorectomie et mastectomie pour un cancer du sein. Elle a consulté deux cancérologues, un interniste, un gynécologue et moi-même, son propre fils, qui suis néphrologue.

J’ai étudié soigneusement avec elle la littérature médicale récente. Finalement, après plusieurs semaines, sa décision irrévocable fut… de ne prendre aucune décision, et de me laisser faire le choix, sans me donner réellement d’opinion. Elle m’a été reconnaissante pour le restant de ses jours d’avoir « sauvé son sein ». »

En réponse à cette contestation, les enseignants chercheurs de Mc Master concluent l’échange en indiquant : « En fin de compte, quel que soit le degré d’implication choisi par le patient, le clinicien doit centrer son attention non pas sur des critères cliniquement pertinents, mais plutôt sur ceux qui sont importants pour le patient. »

L’impact financier de l’implication des patients dans les décisions les concernant

Le second champ d’application est financier. Il concerne d’une part les effets que certains peuvent escompter de l’implication des patients dans toute une série de décisions les concernant ; à ce jour, les études menées ne permettent pas de conclure que l’implication des patients serait générateur d’économie. Et il concerne d’autre part les nouveaux modes de rémunération des professionnels pour lesquels des expérimentations sont en cours, afin de préciser la part que pourrait y prendre le « ressenti » du patient… recueilli et traduit en indicateurs…

Un mot pour finir. La HAS vient de produire un document (validé le 23 décembre 2020) intitulé « Réponses rapides dans le cadre de la Covid-19 – Démarche médicale pour la vaccination contre la Covid-19« . Les deux premières lignes de ce document de 16 feuillets indiquent : « Cette fiche a pour objectif d’accompagner les médecins dans la conduite de la consultation de vaccination contre la Covid-19 et de présenter les éléments de la décision médicale partagée ».

En réalité et pour la pratique, il s’agit de recueillir le consentement de la personne qui va être vaccinée ; dans ces conditions, positionner cette consultation pré-vaccinale dans le cadre théorique d’une décision médicale partagée relève de l’abus de langage. On se demande bien pourquoi ? Cela fait un peu penser à l’ouvrage* de Mathieu Laine récemment publié.

 

  1. Kassirer JP. Incorporating patients’ preferences into medical decisions. N Engl J Med. 1994 Jun 30;330(26):1895-6.
  2. Berwick DM. What ‘Patient-Centered’ Should Mean. Health Affairs 28, no. 4 (2009)
  3. Delbanco T, Berwick DM, Boufford JI. Healthcare in a land called PeoplePower: nothing about me without me.
  4. Edgman-Levitan S, Ollenschläger G, Plamping D, Rockefeller RG.Health Expect. 2001 Sep;4(3):144-50.
  5. https://ebm.bmj.com/content/9/2/39

* « Infantilisation, cet État nounou qui nous veut du bien » (Éditions de la Cité)

 



Lire les précédentes tribunes de Jean-Michel Chabot parues sur la Veille :

Ajouter un commentaire