Enjeux & décryptages

Tribunes - 27 juin 2019

Objets connectés, PROs, recherche clinique et bénéfice des malades

Tribune – Par Jean-Michel Chabot – En écho au congrès 2019 de l’ASCO qui s’est terminé le 4 juin dernier, Jean-Michel Chabot revient sur l’impact favorable d’un suivi « digitalisé » des malades atteints de cancer, incluant un gain de survie et une amélioration sensible de la qualité de vie. De surcroît, des perspectives sur le recueil et l’utilisation de «  Real World Data » sont esquissées.

 

Une communication en séance plénière du congrès de l’ASCO (American Society of Clinical Oncology) en juin 2017 avait fait sensation : la survie de malades atteints de cancer était sensiblement améliorée dès lors qu’ils bénéficiaient d’une attention et d’une surveillance continues (et réactives) des effets indésirables liés à leur chimiothérapie. En réalité, le sujet de cette communication avait été publié1 dans le NEJM dès janvier 2017, six mois plus tôt.

Ce sont ainsi près de 800 malades – dont une majorité de femmes – qui avaient été inclus dans un essai randomisé. Ces malades étaient traités par chimiothérapie pour un cancer (génito-urinaire, sein ou poumon) et l’étude s’était prolongée sur près de cinq années.

Une intervention basée sur le ressenti des malades

L’intervention avait consisté pour l’essentiel à permettre à ces malades d’exprimer leur « ressenti » jour après jour et en particulier dans l’intervalle entre deux consultations/séances de chimio. Pour cela, les malades avaient été formés à l’utilisation d’une application Internet transmettant leurs perceptions en temps réel à des infirmier(e)s et médecins dédiés. Douze critères, adaptés d’une liste d’effets indésirables potentiels établie par le National Cancer Institute, étaient ainsi soumis à leur appréciation : en particulier, douleurs, nausées, vomissements, perte d’appétit, fatigue, bouffées de chaleur, troubles digestifs, etc. Chacun de ces critères était coté chaque semaine (et davantage si opportunité) selon une échelle de type Likert à cinq niveaux. Bien entendu, les infirmiers et médecins dédiés réagissaient par des prescriptions adaptées à ces messages ou le cas échéant à des e-mails d’alerte supplémentaires (sans toutefois que ces prescriptions soient « protocolées »). Pendant ce temps, les malades de l’autre groupe bénéficiaient des « usual care ».

Au-delà de l’amélioration sensible du taux de survie à un an, l’index de qualité de vie était plus fréquemment majoré au sein du groupe intervention (34 % vs 18 %) et les réhospitalisations – y compris aux urgences – moins fréquentes.

Les patient-reported outcomes de plus en plus recueillis aux Etats-Unis

A l’évidence, de tels résultats plaident pour une accélération de la prise en compte du « ressenti » des malades. C’est précisément cette orientation qui est prise aux Etats-Unis où les « patient-reported outcomes » (PRO) sont de plus en plus fréquemment recueillis, analysés et valorisés ; ce qui bien entendu est rendu possible par un usage banalisé du numérique et des objets connectés.

Une orientation comparable commence à être perceptible en France, en particulier avec la prise en compte d’indicateurs de « satisfaction » des patients… y compris pour la rémunération des médecins et des équipes pluriprofessionnelles via des dispositions promues par l’Assurance maladie. 

Un manifeste pour généraliser le High-Value Care

De son côté, l’auteur de la communication à l’ASCO n’est pas resté inactif. Le Docteur Ethan Basch un (jeune) cancérologue nord-américain, formé en Europe et à Boston puis établi à l’Université de North Carolina, poursuit sa « croisade » : il vient dans le cadre de l’ASCO 2018 de tenir une session consacrée à l’utilisation des PROs au cours de l’exercice clinique quotidien. Des programmes comparables mis en œuvre à Toronto, au Dartmouth College sur la côte Est des États-Unis et à Leeds au Royaume-Uni ont été également présentés lors de cette session. Le contenu de celle-ci est accessible sur Internet.

Il vient également de cosigner dans le JAMA avec les deux « monstres sacrés » que sont, en Amérique du Nord, Harald Sox (editor émérite des Annals) et Don Berwick, un manifeste2 pour généraliser le High-Value Care (fondé en bonne partie sur l’utilisation des PROs) en oncologie !

Et at last but not least, cet oncologue, homme de santé publique, soucieux de sa communication et de promouvoir l’utilisation de nouvelles technologies au bénéfice des malades, vient de publier en avril dernier un plaidoyer3 pour une utilisation extensive des « Real World Data » (RWD), c’est-à-dire des données « en vie réelle » générées par les malades sous traitement.

Il y identifie des arguments cliniques, scientifiques et méthodologiques qui justifient l’utilisation des RWD, jusqu’à faire promouvoir la notion de « Real World Evidence » (RWE) qui fait quelquefois défaut aux preuves issues des ECR classiques.

 

 

1 Patient-Reported Outcomes – Harnessing Patients’ Voices to Improve Clinical Care, Basch E., N Engl J Med. 2017 Jan 12;376(2):105-108. doi: 10.1056/NEJMp1611252.

2 Strategies to Achieve High-Value Oncology Care-A Beginning, Sox HC, Basch EM, Berwick D.JAMA Oncol. 2018 Feb 1;4(2):171-172. doi: 10.1001/jamaoncol.2017.3794.

3 The Evolving Uses of « Real-World » Data., Basch E, Schrag D., JAMA. 2019 Apr 9;321(14):1359-1360. doi: 10.1001/jama.2019.4064.

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