Points de vue

Tribunes - 5 juin 2020

L’après COVID-19, épisode 10 : comment réussir la refondation du système de santé

Tribune de Philippe Leduc, journaliste et directeur du Think Tank Economie Santé – Une nouvelle fois, à travers le Ségur de la Santé, le gouvernement engage une refonte du système de santé. Et signe par là-même l’échec des nombreuses tentatives précédentes. Certes, des acquis ont été obtenus en vingt ans mais le constat est sévère. Quelles sont, cette fois-ci, les conditions de réussite. Rapidité certes mais surtout précisions dans les premières décisions qui devront intervenir dès cet été.

La période est propice et symbolique. Les Français ne comprendraient pas que le gouvernement ne prenne pas soin du système de santé et en premier lieu des soignants. Le choc a été si grand que les acteurs de la santé et les Français sont prêts à de fortes évolutions. Cette crise sanitaire aussi inédite que sévère et évolutive a mis au grand jour les difficultés majeures de l’organisation de la santé en France. L’attention est portée sur l’hôpital mais c’est bien-sûr l’ensemble qu’il faut refonder. Il faut agir vite. L’émotion est parfois bonne conseillère.

La période est propice mais cela ne suffira pas. Les précédentes réformes ont souffert des freins persistants liés au poids des procédures, des habitudes (quel intérêt à agir) et des corporatismes. Elles ont pâti certes de décisions aux conséquences mal anticipées (un seul patron à l’hôpital, la tarification à l’activité, le plan triennal d’économie, etc.) mais aussi et surtout d’un art de l’exécution défaillant.

Volontarisme

Le ministre de la Santé fait montre d’un volontarisme sans faille : « Nous bousculerons les corporatismes. Nous serons transgressifs s’il le faut. Nous n’avons été ni assez vite ni assez fort », a-t-il déclaré à la sortie du Conseil des ministres le 20 mai. Il faut prendre de vitesse les réfractaires.

Les revalorisations des carrières à l’hôpital public pour la reconnaissance du travail des soignants et en augmenter l’attractivité, c’est somme toute assez simple.

La refonte en profondeur de l’organisation, c’est une autre paire de manches. Car cela conduit à revoir les circuits de soins, les comportements voire les rentes de situations. Si bien que les meilleures intentions se diluent dans une sorte de marasme où les objectifs initiaux ne sont plus qu’un lointain souvenir.

On l’a bien vu avec « Ma santé 2022 » qui certes était sous-dotée mais dont les principes avaient été applaudis par tous et qui n’a pas réussi malgré les efforts déployés à produire des changements significatifs et ressentis clairement. Ni par les Français: difficulté croissante d’accès aux soins, déserts médicaux, urgences bondées. Ni par les soignants: tant en ville qu’à l’hôpital avec la persistance des procédures inhibant les initiatives et source d’épuisement et de perte de sens. Ni d’un point de vue factuel: qualité et pertinence des soins sans amélioration décisive.

Des décisions dès cet été

Transformer nécessite du temps mais justement il n’y en a plus et celui-ci est l’ennemi numéro 1 des réformes. Le ministre l’a bien compris et il a raison d’aller vite. Mais il doit surtout veiller à éviter l’enlisement, mère de toutes les déceptions. La concertation entre les pouvoirs publics et les professionnels de santé doit fixer des objectifs clairs, simples et surtout précis en distinguant bien les effets à très court terme s’appuyant sur des décisions immédiates et ceux qui nécessitent plus de temps.

Ce sont les décisions immédiates qui sont indispensables pour donner le tempo. Les exemples ne manquent pas. Sans délai le ministre de la Santé doit concrétiser son volontarisme par des mesures, dès cet été, autant symboliques que pratiques.

À l’hôpital, en Ehpad, en ville

A l’hôpital public : revalorisation des salaires bien sûr mais aussi nouvelle gouvernance (codirection par le directeur et un médecin) avec une structure associant les autres soignants, les patients et les élus ; remplacement immédiat de la tarification à l’activité de certains actes par une forfaitisation ; régulation dès la rentrée de l’accès aux urgences par une plateforme avec orientation vers un établissement ou un praticien de ville ; instauration dans la foulée de ratios minimums (personnel, surface, nombre de lits dans l’établissement, matériel) pour les services d’urgence.

Pour les Ehpad : une infirmière réellement accessible par établissement dès aujourd’hui.

Pour les soins de ville : reconnaissance explicite du rôle de santé publique des praticiens libéraux ce qui impose la prise en compte sur un territoire de la population dans son ensemble (de la prévention au suivi) pour en particulier réduire les inégalités de santé, l’organisation de la prise en charge effective de toutes les urgences non vitales (soins non programmés) sur tout le territoire et l’organisation de la coordination des soins.

La pertinence des soins aussi pourrait aussi bénéficier de décisions dès cet été : par exemple le relèvement au niveau européen des seuils d’activité autorisant certaines pratiques. De même la prévention et le dépistage précoce doivent bénéficier de décisions rapides en impliquant tous les acteurs.

Quant aux Agences régionales de santé (ARS), leurs interactions avec les acteurs de santé du territoire doivent être accentuées, là encore par des mesures simples et rapides, par exemple le vote dès l’automne au Conseil régional du Projet régional de santé élaboré encore trop souvent hors sol. Les ARS devraient avoir aussi l’impérieuse mission de réduire la concurrence entre offreurs de soins pour privilégier leur complémentarité, dans le respect de la liberté de choix de son praticien.

Redéfinir le socle de l’État

Ce ne sont que quelques exemples, les sujets sont nombreux. L’important c’est d’être concret et précis dès cet été. C’est par toute une série de mesures immédiates cohérentes et pointues qui seront autant de leviers de transformation que les écueils des réformes passées pourront être contournés. En fait, l’État doit réaffirmer très rapidement son autorité sur bon nombre de sujets laissés en jachère et redéfinir son périmètre et son socle pour laisser davantage d’autonomie et de souplesse aux professionnels de santé.

Ce n’est pas la dernière chance pour refonder le système de santé, mais cela y ressemble bien, cela serait vraiment dommage de ne pas mettre à profit cette période de prise de conscience exceptionnelle et cette mobilisation de tous pour ne pas réussir cette fois-ci.

Cette tribune a été initialement publiée sur le blog du Think tank Economie Santé

 

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