Points de vue

Tribunes - 5 mai 2020

L’après COVID-19, épisode 3 : les libéraux de santé au front, mais quel front

Les libéraux de santé face à l'après Covid 19 et au déconfinement

Tribune de Philippe Leduc, journaliste et directeur du Think Tank Economie Santé – L’hôpital apporte une réponse exceptionnelle à la crise sanitaire Covid-19, les professionnels de santé de ville, les libéraux aussi. Mais leur rôle n’est à l’évidence pas le même. Les praticiens et soignants de proximité ont vu leurs pratiques bouleversées. Ils ont dû faire face, sans réelle structure de coordination et d’échanges, à une situation forcement mal définie et soumise au comportement des patients, pas forcément rationnels. Les difficultés de la médecine de ville d’un autre type que celles de l’hôpital et les relations de celle-ci avec celui-ci interrogent. Deux pistes de solution pour l’Après-Virus*.

La recommandation de la Direction générale de la santé à la mi-mars est claire : « En phase épidémique, comme lors d’une épidémie de grippe, les patients présentant une forme simple ou modérée devront pouvoir être pris en charge en ville en utilisant les ressources médicales et paramédicales du territoire et en mobilisant l’ensemble des acteurs. Cette prise en charge ambulatoire a vocation à être organisée par les professionnels habituels des patients. »

Les cabinets de ville désertés

Mais voilà, les cabinets médicaux se sont brutalement vidés. Par crainte surement d’une contamination. Du coup les téléconsultations ont explosées mais ne compensent pas pour autant la réduction d’activité. Près d’un demi-million de téléconsultations ont été réalisées la dernière semaine de mars alors qu’on en comptait seulement 10 000 par semaine début mars et 80 000 celle du 16 mars, première semaine de confinement. Les téléconsultations constituent désormais plus de 11% de l’ensemble des consultations contre moins de 1% avant la crise.

Ce mouvement lié au confinement a été accentué par les déclarations des pouvoirs publics qui ont martelé qu’il fallait un motif sérieux (élargi dans un deuxième temps aux affections de longue durée) pour se rendre sur place. Ainsi les patients se sont évanouis. Une réduction de 40% chez les  généralistes et de 70% chez les spécialistes selon de premières estimations.

Un syndicat de médecins libéraux s’écriant même par voie de communiqué : « Français : soignez-vous » craignant que « ce refus de soins n’ait de lourdes conséquences sur l’état de santé de nos concitoyens » et tout en assurant « qu’un accès sécurisé était mis en place ». Une autre organisation syndicale déplorait « que les médecins généralistes, les infirmières libérales et les pharmaciens d’officine qui participent pourtant très activement à cette mobilisation sont oubliés, contournés et négligés ».

Des centres de consultation ambulatoires Covid-19

Cette désaffection des cabinets a été accrue par la création de nombreux centres de consultation ambulatoires Covid-19 en dehors des cabinets. L’Agence régionale de la santé (ARS) d’Île-de-France en comptait fin mars 84 à Paris et tenait à rappeler que « ceux-ci créés à l’initiative des professionnels et des municipalités ne sont en aucun cas des centres de dépistage. Seuls les patients symptomatiques présentant certains critères pourront se voir prescrire un test de diagnostic par un médecin ». Pour les infirmiers libéraux, « ces centres ne devraient en aucun cas être un lieu de remplacement des cabinets médicaux ».

Le Collège de la médecine générale va plus loin : « Nombreux sont les médecins généralistes qui déplorent une volonté de leur imposer un modèle inadapté d’organisation ne tenant pas compte de l’existant et/ou une absence de soutien de la part des institutions ». L’ARS d’Île-de-France début avril alertait : « Un constat inquiétant : dans le contexte de l’épidémie du Covid-19, les patients ne consultent pratiquement plus leurs médecins pour les autres motifs de recours aux soins ».

Ainsi, d’un coté à l’hôpital : une affluence record de malades graves et de l’autre en ville : un désert, alors que les malades de demain à l’hôpital sont aujourd’hui en ville (Covid-19 positif ou non). Dans le même temps, l’hôpital développe des solutions numériques pour les patients confinés en ville, par exemple pour les diabétiques ou pour trouver en sortie d’hospitalisation un infirmier, un kinésithérapeute ou encore dans le but d’assurer la prise en charge à domicile des patients atteint du Covid-19 ou suspectés de l’être.

Le fossé ville-hôpital

La crise sanitaire met à nouveau en relief l’existence de deux mondes qui  ne travaillent pas assez ensemble, qui n’ont pas de lieu de coordination, d’organisation ou de confrontation si ce n’est ici ou là grâce à des initiatives locales ou des bonnes volontés. Rien de vraiment institutionnel, permanent, accepté et efficace et surtout mobilisable en période de crise.

C’est vrai que tout (ou presque) oppose la ville et l’hôpital. L’une est « gérée » par l’Assurance maladie, l’autre par l’État, l’une est atomisée et isolée, l’autre groupé et administré, l’une est libérale et entrepreneuriale, l’autre salarié et hiérarchisé, etc.

Et pourtant il va bien falloir sortir de ce nœud gordien qui date et qui empêche une organisation logique et efficace du système de santé. Il faudra à la sortie de la crise sanitaire trouver l’outil qui permettra de renouer le lien indispensable entre tous les soignants.

Des tentatives pour « structurer » les libéraux de santé

Bien des tentatives ont été essayées pour « structurer » les professionnels libéraux afin de  faciliter les coordinations des soins et les relations ville-hôpital. Les URML (Unions régionales des médecins libéraux) crées en 1993 avaient pour mission de « contribuer à l’amélioration de la gestion du système de santé, ainsi qu’à la promotion de la qualité des soins, de participer à l’analyse du système de santé, de la médecine libérale, de l’épidémiologie et des besoins médicaux, à l’évaluation des comportements et des pratiques, à l’organisation et la régulation du système de santé, à la prévention et aux actions de santé publique, à la coordination avec les autres professionnels de santé, ainsi qu’à l’information et à la formation des médecins et usagers ».

Elles sont devenues en 2009 des URPS en incluant les autres Professionnels de Santé. Mais le bilan n’est pas à la hauteur des enjeux.

Enfin, créées en 2016 les CPTS (Communautés professionnelles territoriales de santé) en cours de développement tentent de pallier ce manque d’organisation pour une population sur un territoire. Mais toutes ces structures pèchent par un manque flagrant de lien avec l’hôpital, et inversement. L’hôpital a bien souvent la tentation d’exercer « hors les murs » plutôt que de s’articuler avec les professionnels de ville. A la décharge de tous, il faut bien reconnaitre que le manque de médecins du fait du numerus clausus au maximum au milieu des années 90 complique sacrément la tâche.

L’Humain et l’Institutionnel

La sortie de la crise et la peur terrible que chacun aura ressenti doit être l’occasion de changer de monde, de casser les codes anciens.

Deux pistes pourraient être envisagées. L’une humaine, l’autre institutionnelle.

  • La première vise à créer une plus grande fluidité des médecins et des soignants entre la ville et l’hôpital.

Car chacun avec son statut propre a la tentation de rester retranché sur son Aventin et d’adopter des postures rigides. Chacun est enfermé dans son pré carré. La solution serait de dépasser les statuts actuels des médecins libéraux, salariés ou hospitaliers en octroyant à chacun un statut de base commun lui permettant d’exercer en ville ou à l’hôpital à temps plein ou partiel en favorisant la mobilité tout au long de la carrière, comme l’avait proposé le syndicat Jeunes Médecins en 2017. « Chaque médecin en fonction de son exercice privé (en ville en cabinet ou en clinique) ou public (hôpital) pourra moduler de 0% (plein temps privé, lucratif ou non) à 100% (plein temps public) tout en permettant des activités mixtes. » Ce qu’il faut c’est décloisonner la ville et l’hôpital et au sein de ce dernier revaloriser les carrières et accroitre son attractivité.

  • La deuxième piste – institutionnelle – consisterait à doter la médecine libérale et les autres libéraux d’une vraie force de frappe.

Ne pouvant aujourd’hui reposer sur les syndicats de plus en plus atomisés, cette structure aurait pour mission de les représenter, les structurer dans la diversité et d’organiser avec l’hôpital une politique de santé populationnelle sur un territoire. Cela pourrait être le rôle des CPTS (les collectifs de libéraux) mais celles-ci – aussi étonnant que cela puisse paraitre – ne parlent pas aux GHT (groupements hospitaliers de territoire). Et inversement.

C’est une gageure, car par définition un praticien libéral est autonome et entend organiser son activité comme il le veut. Mais c’est indispensable car les Français encore plus demain qu’aujourd’hui mettront la santé comme priorité au-dessus de toutes et ne voudront plus vivre le cauchemar actuel ou – en temps de paix – subir le parcours du combattant pour trouver un médecin, coordonner ses soins et bénéficier d’une prévention efficace. Sinon les Élus et les collectivités territoriales prendront la main comme elles ont déjà commencé à la faire.

L’État sortira renforcé de la crise, il lui incombera de stimuler les réflexions et de responsabiliser les acteurs, en se réformant lui-même pour que la gouvernance soit cohérente et efficace.

*Cette tribune a été initialement publiée sur le blog du Think tank Economie Santé. 

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