Points de vue

Tribunes - 2 juin 2020

L’après COVID-19, épisode 9 : mots ou expressions révélateurs pour demain

Tribune de Philippe Leduc, journaliste et directeur du Think Tank Economie Santé – Le monde de la santé d’après ne sera pas celui d’avant. Les mots utilisés et les expressions martiales formulées au cours de cette crise sanitaire inédite du Covid-19, sévère et très évolutive, sont autant de marqueurs. Analyse à chaud de 25 d’entre eux, pour explorer ce profond cataclysme. Et tenter de séparer le bon grain de l’ivraie.

Allemagne

La comparaison n’est pas à notre avantage. 10 décès / 100 000 habitants contre 41 mi-mai ici. De nombreuses explications ont été avancées (décalage de l’épidémie dans le temps, tissu industriel, lits de réanimation, tests, âge des personnes infectées, génétique, climat, etc)… qui ne collent pas forcément avec d’autres pays comme la Grèce et le Portugal où il y a eu aussi une faible mortalité. L’analyse de ces variations géographiques est capitale mais nécessite un peu de recul.

Anticipation

Le manque est ici patent. En France, mais aussi surtout en Europe et à l’OMS. Quel risque ? Quelle réponse ? La solution semble simple. Tout envisager et ensuite se poser les questions : faut-il multiplier les stocks de masques, de tests, de respirateurs, augmenter le nombre de lits de réanimation de 5 000 à 20 000 comme en Allemagne ? Or la prochaine crise sanitaire sera peut-être toute autre. Pourquoi pas un virus numérique ? Les cyberattaques qui visent les hôpitaux sont de plus en plus fréquentes. Plus que la constitution de stocks importants, c’est de la réactivité et de l’agilité qu’il faut.

ARS

Bouc émissaire assurément. Entre le marteau de l’État et l’enclume des professionnels et des élus, la tâche des Agences régionales de santé n’était pas facile. Elles se sont mobilisées fortement avec des succès et des ratés. Inconnues du grand public, elles ont conquis une exposition, peut-être salutaire. Une bonne occasion pour revoir leurs relations avec tous les professionnels, et les élus.

Agilité

Les hôpitaux publics ont fait montre d’une agilité exceptionnelle. Les lits de réanimation ont été multipliés par deux, par trois, par quatre avec une efficacité incroyable. C’est cette dynamique qu’il ne faudra pas perdre, où les soignants et les directions ont travaillé ensemble sans barguigner. En ville aussi les professionnels de santé se sont mobilisés, certes avec plus de difficultés car c’était en quelque sorte plus complexe. Comment garder en période normale cet esprit d’initiative et de coopération ?

Cluster

Pourquoi ce mot anglais pour nommer un foyer de contamination ? Bien géré aux Contamines-Montjoie mais débordé à Mulhouse, la leçon a été retenue : tester, isoler, casser les chaînes de contamination.

Confinement

Qui aurait imaginé ? N’en déplaise à certains, ce sont des dizaines de milliers de morts qui ont été évités.

Contact tracing

Une organisation originale sans précédent a été mise en place. Coordonnée par l’Assurance maladie et à laquelle les médecins généralistes ont adhéré fortement, cette initiative peut-elle être adaptée pour repérer et accompagner les personnes fragiles, vulnérables, pour enfin « faire » de la prévention ?

Défiance

Colère… Les Français ne font pas confiance au Gouvernement, ni d’ailleurs à leur propres concitoyens (ceci relativisant cela) si on en croit un sondage du Figaro qui les compare aux Européens. Comment inverser la tendance ? Par l’efficacité des politiques publiques.

Déficit

Le déficit de la Sécurité sociale va exploser, à sûrement plus de 50 Md€. L’Ondam que les pouvoir publics faisaient tout pour maintenir en dessous de 2,5% (ce qui était déjà au-dessus de celui des années précédentes) montera à 6 ou 7%, du jamais vu avec si peu d’inflation. Le trou de la Sécu est davantage dû aux manques de cotisations qu’aux dépenses de santé. C’est bien là le problème, qui ne va pas se résoudre rapidement avec la crise économique et sociale qui se profile. Des choix s’imposeront. Le coût et les principes de la solidarité doivent être enseignés dans les écoles.

Distanciation sociale

C’est le retour de l’hygiène publique qui avait disparu avec les temps modernes. Il faudra continuer à vivre différemment. Ce qui sera peut-être aussi salutaire contre la grippe saisonnière qui fait bon an mal an quelque dix mille morts chaque hiver.

Ehpad

Reportée régulièrement depuis 20 ans la réforme dite de la dépendance va enfin devoir voir le jour… la situation n’étant plus supportable. La priorité doit être au maintien à domicile comme les Français le souhaitent.

Équipe

C’est en se mobilisant en équipe, motivés par un seul objectif que les soignants à l’hôpital et en ville avec les ARS et les élus ont permis de limiter le désastre. Réputés atomisés, travaillant en silos, indépendamment les uns des autres les acteurs de santé doivent pérenniser cet acquis et être aidés en ce sens.

Hydrochloroquine

Étrange affaire qui se résoudra par elle-même, faute de combattants ?

Les invisibles

Au-delà de la santé, les caissières, les éboueurs, les conducteurs de bus, de train, de métro, etc. méritent mieux qu’une simple considération.

Masques

Le manque de masques semble résulter d’une succession de petites décisions politiques et administratives, chacune en deçà des radars mais qui finalement ont conduit aux insuffisances qu’on a connues, selon une enquête du Monde. Une organisation à revoir.

Pangolin

Est-ce le coupable ? Ou bien est-ce la faute de l’homme apprenti sorcier ?

Plan massif pour l’hôpital

C’était à Mulhouse le 25 mars devant un hôpital de campagne adossé à l’hôpital de la ville : « à l’issue de cette crise un plan massif d’investissement et de revalorisation de l’ensemble des carrières sera construit pour notre hôpital », a martelé le Président de la République. Il a précisé son plan pour l’hôpital le 15 mai à la Pitié-Salpêtrière : revaloriser les rémunérations, investir, revoir la gouvernance et accroitre l’approche territoriale. « Le Ségur de la Santé » est lancé par le Ministre de la santé. Mais cela serait une erreur de ne pas revoir globalement l’organisation du système de santé, ce que celui-ci sait très bien.

Quatorzaine

La quarantaine semblait être une mesure d’un autre temps. Réduit à 14 jours cet isolement plus ou moins forcé est un passage obligé mais ne manque pas d’interroger sur les contraintes de la santé publique sur les libertés individuelles. On a bien changé de monde.

Quoi qu’il en coûte

C’était le 12 mars, le Président annonçait que tant pour le système de soins que « pour protéger les salariés et les entreprises » des moyens considérables seraient dégagés. Un tournant dans le quinquennat.

Ségur de la santé

Dernière expression en date. Ségur, du nom non pas de la Comtesse mais de l’adresse (ancienne) du Ministère des Solidarités et de la Santé (désormais avenue Duquesne, grand officier de la marine de guerre française du XVIIème siècle). Le ministre sera donc aux manettes. Les solutions sont connues. L’argent est là, pour le moment. Tout reposera sur l’art d’exécution. La crise sanitaire est d’une telle intensité que la période est propice pour régénérer fortement le plan de transformation « Ma santé 2022 » lancé par le Président de la République en septembre 2018 mais qui était sous-doté et qui s’est enlisé dans les conservatismes. Le Ministre sait tout cela et il est réputé pour être à la fois diplomate et pugnace.

Soignants

Avant on parlait de médecins et de paramédicaux, maintenant on les associe sous le vocable de « soignants », une vraie révolution culturelle passée inaperçue qui illustre bien cette nécessaire notion de collégialité.

Souveraineté

Manque de masques, de tests… Pour les médicaments dont 80% des principes actifs sont fabriqués en Chine ou en Inde, la nécessaire souveraineté de la France ou plus logiquement de l’Europe est bien documentée. Rapports de l’Académie de pharmacie et du Sénat, colloques, en particulier celui initié par la Pharmacie centrale des Armées le 14 mai 2019 aux Invalides où le matin même était rendu un hommage solennel aux deux militaires tués en libérant des otages au Burkina Faso. Les solutions sont connues et à portée de main. Il aura fallu cette crise sanitaire pour que les mesures envisagées deviennent des évidences.

Stop Covid

Fausse bonne idée car l’efficacité n’est en rien assurée (qui sera volontaire ?) ni les libertés individuelles respectées. En outre le rôle, le poids et l’influence des GAFA ne sont pas clairs.

Télémédecine

Les actes de télémédecine facturées à l’Assurance maladie (et remboursés à 100%) sont passés de 10 000 par semaine avant l’épidémie à un million par semaine au plus fort de la crise. Le numérique en santé avec les nombreuses applications développées va changer le monde de la santé.

Tests

Ils concentrent et illustrent bien les problématiques de cette crise sanitaire : souveraineté, tissu industriel et surtout réactivité et agilité.

Ces quelques mots et analyses mettent en évidence, s’il en était besoin, le profond bouleversement du système de santé. Et aussi l’opportunité de le réformer.

Cette tribune a été initialement publiée sur le blog du Think tank Economie Santé

 

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