Points de vue

Tribunes - 22 mai 2020

L’après COVID-19, épisode 6 : le fol espoir du numérique en santé

Tribune de Philippe Leduc, journaliste et directeur du Think Tank Economie Santé – La crise sanitaire a provoqué un boom du numérique en santé. Elle aura permis une large diffusion de nouvelles applications et un foisonnement d’initiatives. En quelques semaines, le paysage a été complètement chamboulé. Est-ce un feu de paille qui ne résistera pas au retour des bonnes vieilles habitudes. Ou assistera-t-on à une déstabilisation dont la santé publique ne sortira pas grandie. Ou bien est-ce le début d’une salutaire modernisation du système de santé qui permettra de résoudre les difficultés passées. Cet espoir « inespéré » repose sur au moins trois conditions.

Il aura fallu une crise sanitaire sévère, inédite et évolutive pour qu’enfin la télémédecine qui ronronnait connaisse une large utilisation. L’Assurance maladie parle de croissance exponentielle. Le nombre de téléconsultations est passé au cours du mois de mars de 10 000 à 500 000 par semaine et de 1% à 11% de l’ensemble des consultations.

Les prévisions initiales – en septembre 2018 – étaient d’un million pour toute l’année 2020. Il est vrai qu’il s’agit là d’un moyen commode quand on ne peut plus se déplacer et qu’on craint une contamination par le coronavirus.

Un opérateur privé annonçait récemment que depuis début mars plus de 2,5 millions de rendez-vous avait été pris en consultation vidéo, principalement en Île-de-France (39%), 80% des patients et 74% des médecins utilisateurs déclarent vouloir poursuivre la consultation vidéo à l’après l’épidémie. Des cabines de téléconsultation auraient même été installées sur une aire d’autoroute au sud de Lyon pour les professionnels du transport.

Le mouvement va se ralentir mais le pli est pris.

Une multitude d’applications numériques

Le développement de nouvelles solutions ou applications numériques dans la cadre du Covid-19 est encore plus impressionnant. Par exemple : Covidom (télésuivi à domicile pour les patients porteurs ou suspectés Covid-19), CoviDIAB (pour les patients diabétiques confinés en période d’épidémie COVID-19). Une mention particulière pour StopCovid, cette application sur smartphone pour identifier les Français ayant été en contact avec des personnes atteintes du virus … mais qui ne se déploiera surement jamais ; pour au moins deux raisons : du fait d’une atteinte aux libertés les plus élémentaires et pour inefficacité, le volontariat étant requis.

Face à ce foisonnement l’Agence du numérique en santé qui dépend du Ministère de la Santé a entrepris le référencement des outils numériques destinées tant au grand public (71) qu’aux professionnels et aux établissements (135) pour s’informer, réaliser une consultation, un suivi à distance, éviter une interaction médicamenteuse, faciliter la coordination entre plusieurs professionnels ou encore pour encourager le travail en équipe. Ce référencement, précise l’Agence, est établi à partir d’une auto-déclaration faite par les éditeurs de solutions eux-mêmes, et qui engagent ainsi leur responsabilité.

Un acquis pour l’avenir

Nul doute que cet acquis, cette expérience en période aigue seront d’une richesse incomparable pour généraliser l’usage du numérique dans l’ensemble des facettes de la santé. Enfin, des outils dotés d’une intelligence propre seront proposés pour une multitude de situations aujourd’hui sans solution efficace : prévention individualisée, interactive et efficace, détection d’une rechute ou d’une aggravation d’une pathologie chronique ou d’un cancer, observance des thérapeutiques, réelle coopération entre les différents professionnels autour du patient et entre la ville et l’hôpital. En outre, les données recueillies ouvriront la voie à des études épidémiologiques en vie réelle et surtout à la pertinence des soins par un reporting immédiat et comparatif.

Ainsi, ce dont rêvent tous les acteurs de santé se réalisera grâce à ce formidable mouvement de créativité généré par la crise sanitaire du siècle, né à la fin de l’ancien monde, le 17 mars, premier jour du confinement.

Plaquer ou associer

Mais chacun sait qu’il est illusoire de vouloir plaquer artificiellement des outils ou des systèmes numériques ou informatiques sur une organisation justement désorganisée et incapable de se l’approprier car constituée d’acteurs isolés, atomisés ou encore n’ayant pas d’intérêt à agir, sans sous-estimer la fatigue, le harassement et la désillusion de professionnels de santé.

Cela dit, l’inverse est vrai aussi, une innovation numérique peut par elle-même et indépendamment d’autres facteurs changer les usages et la manière de se comporter, casser les codes et anéantir les rigidités. Les exemples récents sont édifiants, les smartphones, les réseaux sociaux, etc. Mais avec le risque d’un échappement, d’une perte de contrôle et d’un asservissement par des opérateurs peu scrupuleux d’ici ou d’ailleurs s’emparant des données de santé.

C’est sur ces deux tableaux qu’il faut agir – la redéfinition du rôle de chacun et l’innovation de rupture – en profitant à la fois de cette effervescence technologique sans précèdent et de la période de crise sanitaire et économico-sociale majeure qui impose d’innover.

Un atout inattendu

La France dispose peut-être d’un atout inattendu, au-delà de l’excellence de ses professionnels de santé, de leur courage et de leur capacité à réagir et à s’adapter en urgence, et aussi de l’appétence des Français à s’emparer des progrès technologiques.

Cet atout, sans angélisme, c’est la Délégation ministérielle du numérique en santé, animée par Laura Letourneau et Dominique Pon. Ce dernier avec Annelore Coury dans un rapport en juin 2018 n’avait pas hésité à dézinguer brutalement les stratégies administratives précédentes du numérique en santé, contrairement aux autres rapports – disons –  plus pondérés et prudents sur la transformation du système de santé. Cela suscite l’attention. C’est un premier point.

Ensuite, comme c’est à lui qu’a été confié le chantier du numérique en santé, cela dénote d’une certaine cohérence et responsabilisation. Enfin sa stratégie se veut pragmatique et non bureaucratique. Elle repose sur un « État-plateforme » associé à l’ouverture à toutes les initiatives publiques et privées. Afin de  mobiliser tous les acteurs. Pour l’instant la feuille de route est tenue. Une belle occasion de ne  céder à l’« administration bashing » ! Mais il faut aller plus loin et plus vite.

On l’a compris l’enjeu est important et la période cruciale. Trois conditions semblent devoir être réunies pour franchir ce cap :

  • La stratégie a été clarifiée, il faut l’affirmer et la partager davantage
  • L’Implication de tous nécessite des moyens financiers
  • Se concentrer sur 10 thèmes prioritaires déterminés avec les patients et les professionnels de santé

*Cette tribune a été initialement publiée sur le blog du Think tank Economie Santé

 

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