Points de vue

Les Contrepoints de la Santé - 10 juin 2024

« Comment enrayer le déclin des soins de premier recours en France ? » (Débat)

Véronique Hamayon, Présidente de la 6ème Chambre de la Cour des comptes, Franck Devulder, Président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), Daniel Guillerm, Président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI) et David Guillet, Président de la Fédération des communautés professionnelles territoriales de santé (FCPTS) étaient invités, le 4 juin dernier, à débattre autour de la question « Comment enrayer le déclin des soins de premier recours en France ? » à l’occasion des Contrepoints de la Santé. Une heure d’échange riche, à l’heure où les inégalités d’accès aux soins s’aggravent.

 

Des délais moyens d’accès aux soins primaires qui se rallongent, des difficultés croissantes à trouver un médecin traitant… Le constat de la Cour des comptes dans son rapport rendu public le 13 mai dernier est sévère (1). Il corrobore les résultats du sondage BVA exclusif dévoilé le 4 juin lors du débat des Contrepoints de la Santé, selon lequel 60% des Français reconnaissent avoir eu du mal, dans les six derniers mois, à obtenir un rendez-vous et bénéficier de soins de premier recours… Or l’enjeu est majeur, puisqu’il s’agit du « premier contact » avec le système de soins et qu’en cas d’insuffisances, c’est l’ensemble du parcours de soins du patient, mais aussi du système de santé, qui est en péril.

 

Une situation qui s’aggrave

« La situation est réellement problématique », confirme Véronique Hamayon, Présidente de la 6ème Chambre de la Cour des comptes. Sur la base « d’un certain nombre de données chiffrées, nous faisons ce constat d’une situation qui ne s’est pas améliorée en dépit de nombreux outils qui ont été mis en place » ces quinze dernières années à travers diverses lois de santé successives pour « essayer d’enrayer le phénomène de la difficulté croissante de l’accès aux soins de premier recours ». Au contraire, « on voit une situation qui s’aggrave » et surtout « des inégalités qui se creusent entre les territoires », résume-t-elle.

La nouvelle convention signée entre les médecins libéraux et l’Assurance maladie le 4 juin ne contient pas non plus réellement de mesures fortes pour enrayer ce déclin. Il y a bien les forfaits pour les consultations avancées, des aides à l’installation… mais pas de quoi révolutionner l’accès aux soins de premier recours, ni de faire face efficacement au vieillissement de la population, à l’essor des maladies chroniques et à la diminution du nombre de soignants.

 

L’enjeu d’une stratégie globale

« Chaque outil pris indépendamment des autres peut-être pertinent » mais restera « en partie inefficace » sans « une stratégie globale, une vision globale, une politique structurée avec des objectifs quantifiés et des indicateurs permettant de mesurer les résultats obtenus », poursuit Mme Hamayon.

De fait, « certains outils sont intéressants et commencent à porter leurs fruits », parmi lesquels la mise en place des assistants médicaux qui, à temps plein, « permettent d’économiser, selon les chiffres de la Cnam, jusqu’à 13 % en moyenne du temps médical d’un médecin » : « c’est une idée intelligente, il faut qu’elle se répande davantage ; mais (…) il faut les cibler davantage, parce qu’aujourd’hui les aides au recrutement d’un assistant médical sont indifférenciées quelles que soient les zones du territoire et les médecins auxquels elles s’adressent… »

 

800 CPTS à ce jour

Quid des Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ? Pourquoi n’arrivent-elles pas à mettre en place un système de soins de premier recours efficace, alors que cela fait partie de leurs priorités socle ? David Guillet, président de la Fédération des CPTS, temporise. « La première CPTS a signé son accord conventionnel interprofessionnel fin 2019 » – il y a quatre ans et demi donc – et depuis, « il y a eu un épisode de crise sanitaire qui a un peu ralentit la dynamique », précise-t-il, en tous cas « d’un point de vue administratif, parce que sur le terrain, il y a eu une dynamique de coordination transversale ».

On recense tout de même, aujourd’hui, « 800 CPTS à différents stades d’avancement sur la couverture nationale pour 84 % de la population », note-t-il. Parmi elles, « 555 ont signé un accord conventionnel » et ont ainsi « contractualisé avec l’Assurance maladie et l’Agence régionale de santé sur un projet de santé territorial qui vise à améliorer l’accès aux soins pour la population ». Il convient donc, selon lui, « de laisser aux CPTS le temps d’exister et d’avoir cette culture de l’accès aux soins de premier recours parce qu’il faut 5 à 7 ans à une CPTS pour produire quelque chose ». Si longtemps ? Oui, « parce que c’est une culture nouvelle » : les « professionnels de santé ont reçu une formation en silo,  ayant peu de transversalité dans les approches ».

 

Graduation de l’accès aux soins

Les premiers résultats se font toutefois sentir, affirme-t-il. « Dans ma CPTS du sud-ouest mayennais, nous proposons 700 créneaux de soins non programmés par semaine pour une population de 20 000 habitants et quelques, c’est déjà une belle prouesse ; 99 % des médecins y ont adhéré et un hôpital de proximité fonctionne grâce à la CPTS. »

En revanche, pour les CPTS qui ne fonctionnent pas, « je pense qu’il ne faut pas en faire le procès : il faut aller voir pourquoi telle ou telle zone est moins dynamique : parfois, ce sont des histoires de personnes, parfois des histoires d’organisation… » Certains « manquements existent du fait, peut-être, de la jeunesse des CPTS, du manque d’investissement des professionnels qui y participent, ou parce qu’elles ne sont pas comprises ». Et d’ajouter, par ailleurs : « il y a un problème de graduation de l’accès aux soins entre premier recours, second recours et troisième recours ; si chacun fait son boulot aux différents étages, je vous assure qu’il y a une fluidification des parcours qui s’organise ».

 

Réingénierie de la formation infirmière

Daniel Guillerm, président de la FNI, partage ces constats. « Le rapport de la Cour des comptes a le mérite de mettre en relief les vrais problèmes : on met à la disposition des acteurs, quel qu’ils soient, quel que soit le secteur, des ressources sans garantie de résultat, sans mesure d’impact. » Nous sommes « dans un contexte assez spécifique de transition épidémiologique », poursuit-il, « avec un vieillissement de la population couplé à une explosion des maladies chroniques » : « on a un mur devant nous, on sait le temps qu’il faut pour former des médecins… en attendant, que fait-on ? (…) On n’a pas de baguette magique mais on peut, nous infirmiers, être une partie de la solution », en « augmentant » les prérogatives de la profession et en facilitant « l’accès direct » aux infirmiers libéraux « sur une partie » de leur activité, par exemple.

Le timing est propice. « Aujourd’hui, on est dans le cadre d’une réingénierie de notre diplôme » qui « va aboutir à une loi infirmière promise avant la fin de l’année », rappelle M. Guillerm, alors que la loi du 27 décembre 2023 a d’ores et déjà institué le statut d’infirmier référent afin d’améliorer la coordination et l’accès aux soins pour les patients souffrant de maladies chroniques. Les délégations de tâches et de compétences, au même titre que les protocoles de coopération entre professionnels et les structures d’exercice coordonné (CPTS, maisons de santé, centres de santé…) pour faciliter les prises en charge, figurent d’ailleurs dans les « leviers d’action » ciblés par la DGOS pour améliorer l’accès aux soins sur l’ensemble du territoire national.

 

Attractivité des professions de santé

Déplorant « des politiques publiques qui ont conduit à passer de 7000 étudiants en médecine formés à la fin des années 70 » à « 3000 par an », Franck Devulder, président de la CSMF, a quant à lui insisté sur la nécessité de « renforcer l’attractivité du métier des médecins libéraux » qui, rappelle-t-il, travaillent « à plus de 50-55 heures par semaine ».

Il propose également de laisser aux acteurs de terrain une « liberté d’organisation dans les territoires » : « vous ne trouverez pas, aujourd’hui, dans les déserts médicaux, un jeune généraliste qui s’installe s’il n’y a pas, autour de lui, de cardiologue, de néphrologue, de gastro-entérologue… parce qu’il se dit qu’il va devoir tout gérer de A à Z. Quand aujourd’hui, vous voulez créer une équipe de soins spécialisés, c’est deux ans d’un parcours de combattant infernal avec les ARS. Faisons jouer aux ARS et aux URPS, qui sont le pendant de l’organisation de la ville finalement, le rôle d’une politique du aller-vers. Identifions là où il reste quelques généralistes et spécialistes et regardons comment on peut améliorer leur quotidien. Nous aurons alors fait un grand pas. »

 

Des « projets territoriaux d’organisation » ?

La Cour des Comptes mise, elle, sur des « projets territoriaux d’organisation des soins de premier recours ». De fait, « s’il faut un cadrage national avec des objectifs nationaux, il faut que tout cela soit mis en place au niveau territorial, d’où l’idée d’avoir une organisation territoriale », assure Mme Hamayon. L’objectif : ne pas « laisser chacun des acteurs organiser comme il le sent et en fonction de son objectif à lui les soins de premier recours sur un territoire ; il faut que l’ensemble soit coordonné et au service d’un objectif qui soit partagé ». Et si « l’ARS doit piloter, après, c’est bien au niveau départemental que doivent s’organiser les soins de premier recours, déclinés ensuite sur chaque territoire, bassins de vie ou CPTS ».

(1) Le taux de patients sans médecin traitant peut représenter jusqu’au quart des patients (soit deux fois plus que la moyenne) et le taux de passages aux urgences sans gravité particulière atteindre 40 % dans certains territoires, comme dans les Ardennes, par exemple, pointe le rapport.

 

 

 

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