Analyse de Philippe Leduc, médecin et journaliste santé, initialement publiée sur le site du Think Tank Economie Santé.
La Cour des comptes n’a pas que de mauvaises nouvelles. A côté des alertes sur la « dégradation continue des comptes sans perspective de stabilisation et encore moins de retour à l’équilibre », l’Institution, dans son rapport 2024 sur la Sécurité sociale, a calculé un manque à gagner (colossal) pour la Sécu du fait des exonérations qui ne font que progresser et qui mettent à mal les comptes, car très insuffisamment compensées.
On le sait, les rémunérations du travail doivent être soumises à des cotisations sociales à la charge des employeurs et des salariés qui financent les régimes obligatoires de base de la Sécurité sociale, les régimes complémentaires de retraite et l’assurance chômage. Sans oublier la CSG et la CRDS (contribution pour le remboursement de la dette sociale). Le montant total des taxes et cotisations s’élève à 64% du salaire brut.
De plus en plus d’exonérations
Or, les compléments de salaire dont le montant ne fait qu’augmenter dérogent à ce principe et sont exemptés de cotisations sociales voire, pour certains, de CSG et de CRDS. L’intention d’augmenter le pouvoir d’achat des salariés est louable si le manque à gagner pour la Sécu était compensé et si cela concernait de manière équitable tous les salariés. Mais ce n’est pas le cas.
Dans le secteur privé, indique la Cour, les compléments de salaire se sont élevés à 87,5 Md€ en 2022 et ont complété le salaire de base de 13,2%. Cela se traduit par une perte nette de recettes pour la Sécurité sociale estimé à 18 Md€ (soit 8,1 Md€ de plus qu’en 2018). Après prise en compte des taxes compensatoires de 8,9 Md€.
Cette perte, remarque malicieusement la Cour des comptes, est comparable aux 6,6 Md€ d’augmentation du déficit de la Sécu hors Covid et retarde ainsi le retour à l’équilibre financier de la Sécu.
De moins en moins compensées
Ces compléments de salaire sont : le partage de valeur en entreprise (qui ne concerne que 46 % des salariés du secteur privé), la contribution de l’employeur au financement de la protection sociale complémentaire, les titres-restaurant, les chèques vacances, les aides culturelles et sportives, le remboursement des frais de transport, etc.
Le taux de compensation des pertes de recettes de la Sécu a baissé de 43,5% à 35,6% en cinq ans, de 2028 à 2023. En dépit de la Loi Veil de 1994 qui indique que les pertes de recettes de la Sécu dues à des réductions de cotisations sociales sont compensées par l’État.
Sans équité
En outre, l’équité de prélèvement social entre entreprises et salariés n’est pas respectée. L’attribution par l’employeur de compléments de salaire n’est pas obligatoire, sauf exception et leurs montants varient fortement entre les entreprises selon leur taille et leur activité.
Mise en cohérence
La Cour recommande donc de réformer et mieux piloter ces dispositifs dérogatoires et appelle à « une mise en cohérence » pour limiter les pertes de recettes de la Sécurité sociale. Rien de sert en effet de se lamenter sur le déficit de la Sécu si c’est l’État lui-même qui le creuse gaillardement.
Assurance maladie : un déficit qui s’aggrave
Cela dit, comme chaque année dans son rapport sur l’application des lois de financement de la Sécurité sociale, l’Institution de la rue Cambon y va de ses préconisations considérant que pour l’Assurance maladie dont le déficit continuera de s’aggraver jusqu’à 2027 pour atteindre 10,8 Md€, les pouvoirs publics ne font pas d’efforts pour rétablir les comptes.
Cette fois-ci, sont dans le collimateur : le coût de l’indemnisation des arrêts de travail et la fraude qui appelle à un renforcement du contrôle des prescriptions des médecins, les procédures d’évaluation des médicaments innovants qui devraient reposer sur des études médico-économiques indépendantes, le renforcement à l’hôpital du cadre de régulation des médecins contractuels dont le nombre croit, ce qui qui met à mal l’attractivité du statut de praticien hospitalier qui bénéficie de moins d’avantages. Enfin, face au vieillissement de la population, une nouvelle stratégie est prônée pour limiter les hospitalisations par la « fluidification des parcours de santé. »