Analyse de Philippe Leduc, médecin et journaliste santé, initialement publiée sur le site Les Echos-Le Parisien.
Difficile de parler de qualité des soins alors que le sentiment de « sauve qui peut » semble avoir envahi l’ensemble du système de santé. L’urgence, c’est l’accès aux soins en période de pénurie de personnels soignants. Dans ces conditions, comment renforcer la qualité et la pertinence des soins ? La Haute Autorité de santé (HAS) vient de rendre publics ses indicateurs de qualité et de sécurité des soins en 2023 et la certification des établissements ; l’Irdes de publier l’Atlas des variations des pratiques médicales qui montre de franches marges de progrès. Mais l’une comme l’autre institution prennent moultes précautions pour ménager un corps professionnel sous tension.
On sait qu’aux urgences « une nuit passée sur un brancard augmente de près de 40% le risque de mortalité pour un patient âgé » selon une étude de l’AP-HP et de l’Inserm sur 97 services du 12 au 14 décembre 2022. Pour les plus de 75 ans, le risque passe de 11,1% à 15,7%.
Qualité et sécurité
Les indicateurs de qualité et de sécurité des soins en 2023 de la HAS montrent que « des progrès restent à faire notamment sur la lettre de liaison en sortie d’hospitalisation (essentielle pour garantir une bonne coordination hôpital-ville), sur la vaccination antigrippale des personnels hospitaliers et sur la santé mentale ». De même la prévention des pneumopathies d’inhalation, complication majeure des AVC qui augmente le risque de décès et de morbidité n’est pas satisfaisante. Elle n’est retrouvée que dans 3 dossiers sur 10 en court et long séjour.
La certification des établissements par la HAS laissent aussi des zones inquiétantes. Sur la moitié des hôpitaux publics comme privés visités, seulement 22% obtiennent la mention « haute qualité des soins ». C’est le cas notamment des trois quarts des centres de lutte contre le cancer, est-il souligné.
En outre 13% des établissements sont certifiés sous conditions et 2% (soit 33 établissements) ne sont pas certifiés. « Ce dernier chiffre est bas mais n’a jamais été aussi haut », insiste le Pr Lionel Collet, président de la HAS.
Plus un établissement a une faible activité ou a une large palette d’activité, plus les résultats sont préoccupants. Certaines thématiques ont une marge de progression dans de nombreux établissements : « informations sur le directives anticipées, recueil de l’expérience patient, culture de l’analyse du résultat, etc. » Des disparités régionales sont marquées. PACA, Centre-Val de Loire et La Réunion ont des résultats plus élevés que la moyenne nationale. En revanche Pays-de-La-Loire fait triste mine. Un tiers des établissements n’obtient pas la certification. Et en Nouvelle Aquitaine : 20%.
Chirurgie de la cataracte : de 1 à 2
La deuxième édition de l’Atlas des variations des pratiques médicales est elle aussi édifiante. Onze interventions ont été étudiées : prothèse de hanche après fracture, prothèse du genou, chirurgie du syndrome du canal carpien, chirurgie de la cataracte, amygdalectomie ou ablation des amygdales, pose de stent coronaire sans infarctus du myocarde, chirurgie bariatrique ou de l’obésité, cholécystectomie ou ablation de la vésicule biliaire, césarienne, hystérectomie ou ablation de l’utérus, chirurgie de la tumeur bénigne de la prostate.
Les résultats présentés sous forme d’histogrammes et de cartes de France sont très parlants. Quelques exemples.
La chirurgie du canal carpien va de 51 séjours pour 100 000 habitants à la Réunion à 333 séjours dans le Calvados. Les départements ayant les taux de recours extrêmes ont peu évolué entre 2014 et 2019. L’Yonne, la Haute-Marne et la Meuse qui faisaient partie des cinq départements présentant les taux de recours les plus élevés en 2014 restent dans le top 5 en 2019 malgré une légère baisse des taux durant cette période.
Pour la chirurgie de la cataracte, la variation départementale est également importante. Les taux varient de 838 séjours pour 100 000 habitants en Martinique et autour de 1 000 séjours en Corrèze, dans le Cantal et la Creuse à près de 1 600 séjours dans le Maine-et-Loire, la Réunion et le Cher et 1 700 séjours en Guadeloupe.
Quant à la pose de stent sans infarctus du myocarde, le taux de recours va de 85 séjours en Vendée et dans le Maine-et-Loire à 317 séjours en Meurthe-et-Moselle et 342 séjours dans la Meuse. La variation interdépartementale, déjà importante en 2014, a légèrement augmenté depuis passant de 32 % à 36 %. Face à cette hausse de la pose de stent pour maladie coronaire, la HAS a pourtant rappelé qu’il faut d’abord corriger les facteurs de risque par un changement des habitudes de vie et privilégier un traitement médicamenteux.
Enfin dernier exemple : l’hystérectomie ou ablation de l’utérus. Le taux de recours va de 225 séjours pour 100 000 femmes de plus de 40 ans dans le Gard et 231 séjours à Paris à plus de 420 séjours dans l’Allier, en Haute-Marne, en Guadeloupe et en Martinique.
Le but de cet Atlas, précise Zeynep Or, directrice de recherche à l’Irdes, n’est pas de stigmatiser qui que ce soit mais de sensibiliser les professionnels de santé pour les inciter à se comparer et à questionner leurs pratiques et d’informer les institutionnels et les usagers afin de les acculturer à la notion de variation des pratiques médicales.
La HAS tient à saluer l’implication des professionnels. Comment en effet leur faire grief dans les conditions dans lesquelles ils travaillent, mais la santé est un bien si important pour chacun que nul doute, qu’en parallèle de l’amélioration des conditions de travail et le renforcement de l’attractivité des métiers, la qualité des soins reste une priorité essentielle qui mériterait une prise de conscience de tous plus importante.