Points de vue

Les Contrepoints de la Santé - 5 février 2024

Quand quatre ex-ministres auscultent le système de santé

Système de santé : comment en est-on arrivé là ? Comment y remédier ? Est-ce que le problème majeur, ce n’est pas le fossé qui existe entre les pouvoirs publics et les soignants ? Les anciens ministres de la Santé Claude Evin, Roselyne Bachelot, Agnès Buzyn et François Braun se sont prêtés au jeu des questions-réponses dans les Contrepoints de la Santé du 31 janvier dernier. Synthèse.

 

Invités par Philippe LeducPascal Maurel et notre directeur Renaud Degas, les quatre anciens ministres se sont penchés sur la « santé » du système de santé français, quatre ans après le début de la crise Covid. Alors, quel diagnostic ? Quelle analyse ? Quel sentiment ?

 

« Le système de santé se réforme en permanence »

Contrepoints de la Santé_Janvier 2024En guise de réponse, Claude Evin a tenu à relativiser. Pour l’ancien ministre des Affaires Sociales et de la Solidarité (mai 1988 – mai 1991), le système de santé est en « tension » perpétuelle entre « la demande de soins et la capacité de pouvoir y répondre », bien qu’exacerbée, actuellement, par la problématique de la démographie médicale et l’essor des maladies chroniques. « Sortons de l’état d’esprit selon lequel nous serions dans un système complètement figé », a-t-il exhorté.

Cela ne va pas forcément « assez vite » mais « le système de santé se réforme en permanence » sous l’effet des nouvelles thérapeutiques et nouvelles organisations de soins. Si bien qu’aujourd’hui, « nous soignons de mieux en mieux un certain nombre de pathologies ». Et malgré « une vraie problématique d’accès aux soins de premier recours, liée à une organisation territoriale défaillante », nous avons « quand même globalement un système de santé qui répond à des problématiques auxquelles nous ne répondions pas il y a 20 ou 30 ans ».

La question se pose néanmoins d’assurer « la maîtrise et la répartition des moyens » entre les acteurs, a-t-il estimé. Des moyens qui dépassent cette année les 250 milliards d’euros.

 

« Des demandes de soins infinies dans un système aux ressources finies »

Roselyne Bachelot_Contrepoints de la Santé_Janvier 2024Roselyne Bachelot a, elle, déploré « le drame incurable de la valse des ministres » de la Santé qui empêche l’aboutissement de toute réforme. Elle s’est également dite « frappée de constater que lors des réformes du système de santé, les réponses sont souvent quantitatives »… au lieu d’être « qualitatives », adaptées aux changements des modes de vie, au vieillissement de la population et « à la chute des solidarités familiales ». La France est le « pays d’Europe où l’on meurt le plus à l’hôpital », a-t-elle glissé.

L’ex-ministre de la Santé et des Sports (mai 2007 – novembre 2010) et ex-ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale (novembre 2010 – mai 2012) a par ailleurs alerté sur « les transformations majeures qui traversent notre société avec une demande de soin infinie dans un système qui dont les ressources sont finies ». Sans compter, « avec le Covid, la montée des complotismes, des médecines alternatives », la « volonté des uns et des autres de sortir du système de soin » et/ou « d’avoir une autre offre », telle qu’une « demande de maternité très très spécialisée » ou moins médicalisée Il y a là, selon elle, « des demandes extrêmement diverses et extrêmement difficiles à intégrer dans notre système ».

Enfin, « les gros consommateurs de soins, notamment les personnes âgées, sont aujourd’hui ceux qui contribuent le moins au financement de l’assurance maladie. Il y a peut-être là, des choses à repenser », parmi lesquelles, une CSG « au même niveau » pour les retraités comme pour les actifs, a-t-elle suggéré.

 

« Un problème international »

Agnès Buzyn_Contrepoints de la Santé_Janvier 2024« Changement de l’épidémiologie des maladies, changement démographique, allongement de la durée de vie, manque de soignants… », les bouleversements sont profonds et mondiaux, a quant à elle pointé Agnès Buzyn. Il « manque aujourd’hui 18 millions de soignants dans le monde, il en manquera peut-être jusqu’à 30 millions en 2050 ». Elle a ainsi appelé, sans surprise, à « plus de soins primaires, moins d’hospitalo-centrisme… ». Il « faut aussi que la société se regarde dans sa façon dont on elle consomme les soins, dans la façon dont elle accompagne le grand âge » et « ne pas imaginer qu’un ministre va avoir une solution miracle pour une transformation sur 40 ou 50 ans ».

« Nous construisons, brique par brique, des améliorations, a poursuivi l’ancienne ministre des Solidarités et de la Santé (mai 2017 – mai 2020). Je pense que nous sommes au creux de la vague mais que cela va commencer à s’améliorer, parce que nous avons fait des réformes structurantes pour aller vers plus de soins primaires, (…) que le nombre de spécialistes augmente… Le nombre de généralistes augmentera plutôt à partir des années 2030 mais nous avons créé les IPA, nous avons créé les CPTS pour avoir une vision populationnelle des soins… il y a énormément de réformes pour redonner du temps médical… »

Pour aller plus loin, deux autres axes de travail lui semblent incontournables : la pertinence des soins –  alors qu’il y a « 15 à 20 % d’actes inutiles » – et la nécessité d’une politique interministérielle en matière de prévention.

 

« La santé ne se réforme pas en un an »

François Braun_Contrepoints de la Santé_Janvier 2024« Nous avons bâti des systèmes de santé sur l’offre de soins pour couvrir les besoins de santé de la population ; le problème, c’est que les besoins ont augmenté et que l’offre a diminué, pas forcément en nombre mais en temps de soins disponible et en temps médical disponible », a, pour sa part, résumé François Braun. Conséquence : « nous devons repenser et faire évoluer notre système de santé vers un système qui répond aux besoins de santé de la population ; c’est dans cet esprit que nous avons mis en place le Conseil national de la refondation (CNR) en santé avec des discussions territoire par territoire, pour des solutions territoire par territoire ».

Celui qui fut ministre de la Santé et de la Prévention (juillet 2022 – juillet 2023) a par ailleurs jugé « absurde de rediscuter tous les ans la politique de santé dans le cadre du PLFSS » et appelé de ses vœux une « loi de programmation de santé sur plusieurs années ».

Autres enjeux : cesser « l’hôpital-bashing », renforcer les coopérations public-privé et améliorer le quotidien des professionnels. À l’hôpital, par exemple, « le Ségur de la Santé a permis d’augmenter les salaires » mais cela ne suffit pas : « il faut surtout donner de meilleures conditions de travail, un management beaucoup plus souple au niveau des établissements, revenir à l’échelle du service ». Et de conclure : « nous avons retourné la terre, semé, il faut attendre un peu que cela pousse pour pouvoir récolter ».

Ajouter un commentaire