Points de vue

L’oeil de la rédaction - 10 décembre 2020

Covid-19 : l’enjeu de démêler le vrai du faux face à la cacophonie d’informations

L’infodémie, c’est le « tsunami d’informations » qui déferle en période de crise sanitaire comme c’est le cas actuellement, explique Sylvie Briand, Directrice du programme de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) sur la gestion des situations d’urgence sanitaire (1). Le phénomène, loin d’être nouveau, était déjà observé « lors des précédentes pandémies et épidémies de ce siècle, liées à Zyka, Ebola ou encore la peste », relève-t-elle. En revanche, ce qui est assez inédit avec la Covid-19, « c’est la circulation en masse de ces informations sur internet et, notamment, sur les réseaux sociaux ».

« Nous ne combattons pas seulement une épidémie, nous combattons aussi une infodémie ». Dès le mois de février, le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, alertait sur l’épidémie d’informations autour de la Covid-19. Si certaines sont fiables, un grand nombre d’autres, en revanche, ne sont que rumeurs ou fake news, qui compromettent les mesures de lutte contre le coronavirus.

Une « cacophonie d’informations » en santé

Difficile, en effet, de « faire le tri » et de « démêler le vrai du faux » parmi le flot continu de vidéos, articles et posts qui inondent internet, explique la journaliste Brigitte Fanny Cohen. D’autant que cette « cacophonie d’informations » est renforcée par une « poignée d’experts – en tous cas certains le sont, d’autres moins – qui trustent les plateaux de télévision depuis quelques mois, en se contredisant, en polémiquant, en se prenant le bec… », note le Dr Gérald Kierzek, médecin et directeur médical de Doctissimo.

Ce contexte ne peut qu’être source d’« angoisses », lesquelles « génèrent à leur tour davantage de fake news », poursuit Brigitte Fanny Cohen. Or certaines peuvent être dangereuses, comme celles qui affirment que prendre un bain chaud, manger de l’ail, ajouter du piment dans sa soupe ou encore, boire de l’eau de Javel, protège contre le coronavirus.

Un risque pour la santé publique

Conséquence : aux États-Unis, entre janvier et mars 2020, le nombre d’appels aux centres antipoison pour des intoxications aux produits nettoyants et désinfectants a grimpé de 20 % par rapport à l’année précédente. En Iran, l’infox selon laquelle ingérer du méthanol serait efficace a coûté la vie à plus de 700 personnes, s’inquiète Sylvie Briand, Directrice du programme de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) sur la gestion des situations d’urgence sanitaire.

Dans le même temps, les campagnes anti-vaccins (dont celles qui laissent entendre  que les futurs vaccins contre la Covid-19 modifieront de façon permanente notre ADN) posent un véritable enjeu de santé publique et menacent la stratégie de vaccination contre le coronavirus. Les « mégas théories de complot mondial », en plein essor depuis l’apparition de la Covid-19 (à travers la mouvance QAnon, par exemple), engendrent quant à elles « de vraies tragédies humaines », pointe Caroline Faillet, fondatrice du cabinet de conseil en stratégie digitale Opinion Act. En effet, « des gens se sont coupés de leur famille » et ont adopté des « comportements proches de ceux de mouvements sectaires ».

La « défiance dans les vecteurs d’informations classiques », associée à l’existence de « nombreux sites prenant le contrepied des médias traditionnels pour servir des théories complotistes », est un terreau fertile pour cette désinformation massive, analyse la fondatrice d’Opinion Act. Et, concède le Dr Gérald Kierzek, « quand il n’y a plus de confiance, ou quand la science est remise en question, il reste la croyance et l’opinion« .

Croyances vs science

« Nous n’arriverons pas à faire taire les personnes à l’origine de ces fake news », complète Caroline Faillet. L’enjeu, est donc, pour les journalistes, les scientifiques et les autorités de santé, de continuer à être pragmatiques et factuels ; de ne pas hésiter à dire qu’ils ne « savent pas » ou pas encore, afin de laisser le temps à la science de faire son oeuvre ; mais également, selon elle, « de faire en sorte que les sachants soient aussi influents sur les canaux de diffusion que les propagateurs de fake news ».

De fait, « les bonnes informations, basées sur des preuves scientifiques », doivent être diffusées selon le « bon format », confirme Sylvie Briand. Une information simple, claire et accessible, ce qui n’est pas toujours évident lorsqu’il s’agit d’information scientifique et/ou de santé publique, et encore moins lorsqu’il s’agit d’une maladie nouvelle.

« Nous devons comprendre les questionnements et émotions – inquiétude, colère… – des populations pour y répondre et calibrer au mieux l’information », ajoute-t-elle. C’est pourquoi l’OMS organise des réunions pour entendre ces interrogations, en particulier dans les pays en développement où les populations sont moins connectées. Elle a aussi « développé des outils numériques d’analyse des mots, messages et discussions ».

Collaboration de l’OMS avec Wikipédia, Google et Facebook

L’OMS a par ailleurs créé une « nouvelle discipline scientifique » : l’infodémiologie, réunissant des autorités de santé, des experts de l’épidémiologie et de la santé publique, des mathématiques appliquées, de la science des données, de la santé numérique et des applications technologiques, des sciences sociales et comportementales, des médias ou encore, du marketing et de l’expérience utilisateur. Et ce, afin de développer un « agenda pour la recherche » et demander « aux scientifiques du monde entier d’effectuer des recherches plus précises sur certains sujets ». Elle a également « formé des ‘infodemic managers’ – ou gestionnaires de l’infodémie – au sein de 63 pays différents ».

Pour aller plus loin, outre la page « En finir avec les idées reçues » créée sur son site internet, l’OMS collabore avec la fondation Wikimedia, qui gère le site Wikipédia, pour « élargir l’accès du public aux informations les plus récentes et les plus fiables sur la Covid-19 ». Elle s’est également associée à Google, YouTube, Twitter, Facebook, Instagram, Tik Tok ou encore, Snapchat pour promouvoir des messages de santé publique, afficher en premier des ressources officielles en cas de recherches sur le coronavirus et faire la chasse aux contenus faux ou sans fondement scientifique.

Elle a, enfin, appelé « les autorités de santé, journalistes, responsables de communication, politiques, scientifiques comme professionnels de santé » à « travailler ensemble » : « ainsi pourrons-nous peut-être mieux faire face ».

(1) L’ensemble des propos de cet article ont été recueillis à l’occasion de la Rencontre Festicomsanté sur le thème « Quand l’infodémie santé s’invite dans le débat », organisée dans le cadre du Festival de la Communication en santé et diffusée en ligne les 24 novembre et 10 décembre 2020.

 


Pour aller plus loin

Qui sont ces faussaires de l’information en santé ? Comment lutter contre eux et contre les fake news qu’ils n’hésitent pas à propager ? Pourquoi les fake news sont-elles crues et relayées ? Pourquoi le contexte actuel est-il si propice à ces multiples infox ? Toutes ces questions étaient au coeur de la rencontre ‘Quand l’infodémie s’invite dans le débat‘, organisée fin 2020 par le Festival de la communication en santé. Nous en étions partenaires média.

 

 


Des fake news aux multiples facettes

Les fake news sont des « infos truquées » et, plus globalement, aujourd’hui, « toute forme d’infos fausses », résume Caroline Faillet. Il en existe plusieurs types :

  • les fake news un peu parodiques, destinées à faire du buzz, telles que “boire des mojitos » ou « manger du chocolat » maintient « en bonne santé » ;
  • parmi les fake news ayant vocation à faire générer du clic, certaines, plus subtiles, « commencent à entrer dans le spectre de la désinformation », détaille Caroline Faillet. Celles, par exemple, qui sous-entendent « que l’on peut guérir du diabète en mangeant des dattes » ;
  • viennent ensuite, les rumeurs ; parmi elles, certaines véhiculent ainsi l’idée que l’on peut guérir de la Covid-19 en buvant de l’eau chaude ;
  • existent également les fake news complotistes, notamment sur l’origine de la Covid-19
  • et, enfin, « les fake news d’opinion », complète Caroline Faillet, c’est-à-dire quand une personne s’inscrit en faux contre un consensus scientifique pour imposer son idée, sa vision. Ce fut le cas sur « l’électrosensibilité, la vaccination… » et, plus récemment, sur l’hydroxychloroquine.