La sécurité des professionnels de santé est au cœur de l’actualité, en particulier face à l’augmentation des agressions dont ils sont victimes. Le Gouvernement a ainsi présenté, il y a quelques mois, un plan national sur ce sujet. Concernant le volet pénal de ce plan, une proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé a été ainsi adoptée, en mars dernier (1). Cette problématique de sécurité intéresse également les établissements de santé, en qualité d’employeur, comme l’illustre une récente décision de la Cour de cassation (2).
Une analyse d’Alexandre Fievée, avocat associé, et d’Alice Robert, Avocat Counsel du cabinet Derriennic Associés pour La Veille Acteurs de Santé.
Tout établissement de santé a l’obligation légale de veiller à la santé et à la sécurité de ses salariés via la mise en place d’actions de prévention, d’information ou encore de formation (3). Le manquement à une telle obligation de sécurité, notamment en cas d’accident du travail, peut coûter cher à l’employeur. En effet, si l’établissement de santé a conscience ou aurait dû avoir conscience que l’un de ses salariés, professionnel de santé, est soumis à un danger et n’a pas pris les mesures pour préserver ce dernier d’un tel danger – faute considérée comme « inexcusable » -, l’établissement doit indemniser le professionnel de santé victime des préjudices subis.
Quand la Cour de cassation s’en mêle
Tel était le cas dans l’affaire soumise à la Cour de cassation. Une médecin urgentiste a été victime d’une agression physique violente commise par une patiente qui, après s’être introduite dans l’espace ambulatoire, s’était jetée sur la médecin urgentiste, au motif qu’elle ne prêtait pas attention à elle. Elle l’aurait alors agrippée par les cheveux avant de la frapper, une fois au sol, à coups de poings et de pied. Fort heureusement, l’équipe de soins est intervenue pour les séparer.
C’est dans ce contexte que l’établissement de santé s’est retrouvé devant les tribunaux judiciaires : la médecin urgentiste, qui invoquait la « faute inexcusable » de l’employeur, réclamait l’indemnisation de nombreux préjudices, tels que les souffrances endurées, le préjudice esthétique et le déficit fonctionnel.
En défense, l’établissement de santé soutenait ne pas pouvoir prévoir ni empêcher l’agression commise par une patiente. La médecin urgentiste a vu sa demande rejetée devant la juridiction du premier degré, puis a finalement obtenu gain de cause devant la juridiction du second degré (Cour d’appel de Versailles). Un pourvoi a été formé devant la Cour de cassation par l’établissement de santé.
La Cour de cassation a confirmé la décision de la juridiction du second degré en relevant notamment que « l’employeur ne pouvait ignorer le risque d’agression encouru par son personnel soignant, médecins compris », compte tenu de « la recrudescence d’actes violents au sein du service des urgences de l’hôpital […] évoquée dès 2015 ».
L’établissement jugé responsable
Aussi, les Juges ont estimé que l’établissement de santé n’avait pas mis en œuvre des mesures de protection suffisantes et efficaces pour prévenir ce risque. En particulier, un contrat de sécurité cynophile a été jugé « insuffisan[t] » et l’organisation de formation sur la gestion de la violence qualifiée de « réponse sous-dimensionnée ». Les juges ont également reproché à l’établissement de santé de ne pas avoir mis en place, avant l’agression, un agent de sécurité et de ne pas avoir fermé le service concerné par des portes coulissantes – et ce, indépendamment du point de savoir si ces éléments auraient, en réalité, empêché l’agression.
L’établissement de santé a ainsi été condamné à supporter le montant des préjudices effectivement subis par la médecin urgentiste.
Cette décision de justice, au-delà de l’actualité, invite les établissements de santé, employant des professionnels de santé, à redoubler de vigilance dans la prévention de la sécurité de ces derniers. Un audit de la politique de sécurité, au regard de la situation propre à chaque établissement de santé, s’impose donc…
Notes
(1) Adoption en 1ère lecture, le 14 mars 2024.
(2) Cass. Civ. 2, 29 février 2024, n°22-18868 confirmant CA Versailles, 16 juin 2022, n°21-02680.
(3) Articles L.4121-1 à L.4121-5 du Code du travail.