Points de vue

Tribunes - 17 avril 2024

Santé : stop au rabot et place au scalpel (Tribune)

Veille Acteurs Santé_Place au scalpel_Tribune Philippe Leduc_Site

Analyse de Philippe Leduc, médecin et journaliste santé, initialement publiée sur le site Les Echos-Le Parisien.

Le rabot va encore sévir pour réduire la croissance d’assurance maladie. A chaque fois, c’est la même chose, pris de court les pouvoirs publics privilégient en catastrophe des mesures ponctuelles et finalement inefficaces en délaissant les réformes structurelles. C’est d’autant plus désespérant que de nouveaux travaux et avis donnent corps à une réelle efficacité des mesures de fond. Stop au rabot illusoire et place au scalpel pour trancher les adhérences et reconstruire, au moins dans trois domaines.

Prévention, coopération et partage des tâches entre professionnels et pertinence des soins sont en toute logique trois des actions structurelles à mener en priorité pour à la fois améliorer la santé des Français et maitriser les dépenses de santé. Le diagnostic est bien établi. Des plans sont initiés. Toute une architecture de responsabilisation est construite pas à pas : en particulier le renforcement des Conseils territoriaux de santé, l’instauration des consultations de prévention, la généralisation du Service d’accès aux soins, l’augmentation des maisons de santé pluriprofessionnelles ou encore les négociations entre les professionnels de santé libéraux et l’Assurance maladie, etc.

Mais cela reste notoirement insuffisant quant au tempo alors les comptes de l’assurance maladie sont prévus dans le rouge pour les années à venir sans perspective de retour à l’équilibre à moyen terme comme ne cesse de le rappeler le Haut Conseil du financement de la Protection sociale. Et une fois de plus des mesures dans l’urgence sont envisagées (reforme des affections de longue durée, transports sanitaires, franchises, etc.) sans que soient en parallèle enclenchées les réformes de fond.

 

La prévention

Alors qu’il est bien établi que les actions sur le système de soins ne représentent qu’un cinquième des possibilités d’action en termes de prévention, les pouvoirs publics se cantonnent aux consultations aux âges clé de la vie et celles-ci peinent à être mises en œuvre.

Certes l’augmentation du prix du tabac et la promotion de l’exercice physique et du sport sont une bonne chose. Mais ces mesures ne sont pas à la hauteur des enjeux. Reste à développer et amplifier les mesures qui concernent l’environnement, l’aménagement de l’espace public, l’alimentation, l’habitat, les mobilités, le travail, l’éducation, les conditions sociales et aussi le repérage des fragilités chez les personnes âgées. L’enjeu est de faire reculer les handicaps et dépendances, les complications des maladies chroniques et ainsi alléger le système de soins.

Selon une étude récente du cabinet Astérès, si la France se rapprochait en matière de prévention des meilleurs pays de l’ODCE, la baisse des dépenses de santé pourrait atteindre près de 17 milliards d’euros et les Français vivraient deux années de plus sans maladies chroniques. Les alertes ne manquent pourtant pas. La dernière en date, celle d’Antoine Flahault dans son dernier livre « Prévenez moi ! Une meilleure santé à tout âge » est éloquente.

 

Coopération et partage de tâches

Coopération et partage des tâches entre professionnels de santé. C’est une peu l’Arlésienne du système de santé. Nombre de tentatives sont étouffées dans l’œuf du fait certes des corporatismes mais aussi parce que les pouvoirs publics n’y mettent ni la volonté ni les moyens.

La Haute Autorité de Santé (HAS) dans un récent et vigoureux avis, passé un peu inaperçu et pourtant capital, considère qu’il faut « un cadre rénové » et qu’il faut franchir « un nouveau cap ». La HAS reconnait quinze années d’efforts constants mais des résultats trop limités alors qu’il s’agit d’associer qualité, sécurité et satisfaction des patients et des soignants, et aussi une meilleure utilisation des sommes investies. Là aussi il faut changer de logiciel.

La HAS préconise que les complexités administratives des protocoles de coopérations soient levées, que des financements suffisants soient dédiées tant pour le déploiement que pour l’évaluation de ces nouveaux modes de coopération, que les équipes soient soutenues et enfin qu’un forfait de coopération suffisamment valorisant pour tous remplace la rémunération à l’acte qui en bloque le développement. L’évaluation doit être conduite de manière rigoureuse, ne serait-ce que pour contourner les postures professionnelles.

En matière de coopération ville-hôpital, le Service d’accès aux soins (SAS) en est la quintessence. Le SAS est en effet un nouveau service d’orientation de la population dans le système de santé. Pour le patient confronté à un besoin de soins urgents ou non programmés et lorsque l’accès à son médecin traitant n’est pas possible, le SAS doit permettre d’accéder au professionnel de santé le plus « adapté » en ville ou à l’hôpital, avec pour objectif aussi de désengorger les urgences hospitalières. Il s’agit donc de faciliter les coopérations entre la ville et l’hôpital.

Une mission d’accompagnement à la généralisation des SAS vient de rendre son rapport. Il est complet et précis. Il ne cache pas en particulier les freins qui conditionnent le succès de l’opération à court terme. Des moyens suffisants doivent être dégagés.

 

Pertinences des actes et des soins

Dernier exemple de réformes de fond insuffisamment traitées : la pertinence des actes et des soins. Là aussi il s’agit d’une antienne qui repose sur le temps long, mais ce délai sera d’autant plus long … que la ligne de départ est repoussée à la manière de la ligne d’horizon. La qualité des soins et aussi les économies générées en sont l’objectif. On le sait, le gaspillage serait de 20% des dépenses de santé selon l’OCDE, soit de l’ordre de 50 Md€ en France.

Le sujet est complexe car il remet en cause l’ensemble de l’organisation du système de santé et aussi les pratiques des professionnels. Mais il n’en demeure pas moins que certaines mesures sont simples et devraient recueillir l’assentiment de tous, des soignants comme celui des pouvoirs publics.

Il est étonnant que certaines pratiques perdurent en dépit de toute logique. Par exemple, dans le cadre des négociations conventionnelles (actuellement suspendues) entre les médecins libéraux et l’Assurance maladie, le Directeur général de cette dernière (Thomas Fatôme) se débat comme un « beau diable » pour inciter à réduire la prescription d’actes de radiologie redondants, ceux de biologie (vitamine D, TSH, groupe sanguin, ferritinémie, vitesse de sédimentation), à limiter le nombre de transport en ambulance, à diminuer la polymédication des personnes âgées et la prescription d’antibiotiques, etc.

Mais est-ce bien le lieu pour débattre de ces sujets ? Les professionnels ne devraient-il pas prendre l’initiative et s’engager résolument dans cette voie, au sein par exemple des Conseils nationaux professionnels ? Il en est de même des seuils d’activité pour exercer telle ou telle activité. Seuils qui devaient être rehaussés et respectés.

 

Ne pas lâcher la proie pour l’ombre

En fait, on le voit aujourd’hui plus que jamais avec les « urgences » qui s’amoncèlent sur le bureau des ministres en charge de la santé, tenir les deux bouts de l’action – le court et le long terme – parait illusoire. Il est temps bâtir une organisation pour ne pas lâcher la proie pour l’ombre.

L’avis du Comité d’alerte sur le respect de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie, du 15 avril dernier, y incite fortement. Il appelle « à une vigilance renforcée sur l’évolution des dépenses d’assurance maladie, de soins de ville comme liées aux établissements de santé. Le « point de fuite » du déficit des établissements publics de santé, qui s’élargit, est une préoccupation majeure. »

 

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