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L’oeil de la rédaction - 19 décembre 2023

Santé publique : « Il faut se donner les moyens de faire de la ville un lieu de soins » (Interview)

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Spécialité méconnue, la médecine de santé publique est « sortie de l’ombre » avec la pandémie de la Covid-19. Prévention, santé internationale, recherche, gestion des systèmes de santé, bio-informatique… La médecine de santé publique est à la croisée des disciplines. Qui sont-ils ? A quels enjeux font-ils face ? Le point avec le Dr Nicolas Leblanc, président du Syndicat national des médecins de santé publique.

 

Qui sont les praticiens de santé publique ?

Dr Nicolas Leblanc : La fonction de médecin inspecteur de santé publique est très ancienne. Ce sont des fonctionnaires d’État qui assurent des missions comme l’évaluation des politiques régionales de santé, l’inspection des établissements de santé, la gestion des alertes sanitaires… La filière dédiée aux médecins de santé publique est plus récente. Elle a été créée en 1982. Au départ, ils exerçaient principalement dans les départements d’information médicale des hôpitaux pour aider les directions dans le management hospitalier en fonction des données d’activité, le fameux PMSI (Programme de Médicalisation des Systèmes d’Information).

Mais les besoins étaient tels que ce métier s’est ouvert à d’autres médecins. Le spécialiste de la santé publique est un expert de la santé, de la prévention jusqu’à l’organisation des soins. Nous apprenons en permanence. Les débouchés se sont progressivement étendus. C’est une spécialité qui permet une grande mobilité professionnelle.

Où officient-ils ?

Dr N. L. : Certains travaillent au sein des ministères ou des administrations centrales. Une partie se dirige vers la recherche clinique, l’épidémiologie… D’autres font le choix du privé au sein de start-up, de mutuelles, etc.

Aujourd’hui, les médecins de santé publique sont à des postes-clés dans le management de la santé. Ils font le lien entre le monde du soin, la décision publique ou privée et la contrainte individuelle dans la relation clinique. Ils sont capables de décrypter toutes ses cultures professionnelles pour un public aussi divers que la patientèle, les élus, les chefs d’entreprise, les professionnels de santé, etc.

Nous ne sommes pas connus du grand public, car nous ne sommes pas directement à son contact, mais nous agissons pour lui ! 

Quelle est la démographie des médecins de santé publique ?

Dr N. L. : Les médecins en santé publique sont aujourd’hui environ 1 500. De manière générale, la France manque de culture de santé publique.

Il faudrait plus de professionnels de la santé publique dans les collectivités territoriales, les entreprises, les syndicats de médecin, un peu plus à la Sécurité sociale, dans les agences, dans les associations de patients, etc. Cela permettrait de gagner en efficacité. Finalement, les besoins de santé publique se retrouvent dans la manière même de pouvoir les organiser et les outiller.

Aujourd’hui, quelle est l’influence des médecins en santé publique sur le système de santé ou sur les prises en charge ?

Dr N. L. : Nous sommes des couteaux suisses dans le système de santé. Nous sommes là pour apporter la connaissance qui guidera une décision en phase d’épidémie, pour le pilotage d’un hôpital, etc.

Lorsque l’on dirige un hôpital, il est intéressant de pouvoir analyser de la donnée épidémiologique ou l’activité en fonction de son bassin de santé pour développer au mieux une activité ou un partenariat, par exemple. Dans le privé, on est l’interface capable de communiquer avec un praticien et un chef d’entreprise. Les chercheurs médecins de santé publique, eux, œuvrent pour monter des dispositifs de veille sanitaire dans les ministères. Au sein de l’Assurance maladie, l’analyse des codes, des activités, des pratiques dans le cadre des discussions conventionnelles peut être réalisée par des médecins en santé publique.

Nous sommes dans l’ombre auprès des décideurs.

Aujourd’hui, en cette période post-Covid, quels sont, selon vous, les principaux enjeux de santé publique ?

Dr N. L. : Il y a un enjeu de veille et d’alerte sanitaires. Il faut poursuivre le travail de surveillance, initié durant le Covid, car d’autres maladies peuvent émerger. Se pose aussi la question du Covid long qui nécessite une meilleure connaissance de la maladie.

Il est également nécessaire de préserver notre capacité de coopération, en cas de crise, entre les pouvoirs publics et les professionnels de santé sans oublier les collectivités territoriales. En somme, il faut que nous tirions profit des expériences menées durant cette période à tous les niveaux, qu’il s’agisse de la santé, de la logistique, etc.

 

Et au-delà du Covid ? 

Dr N. L. : L’un des autres enjeux de taille en matière de santé publique est, à mon sens, celui des inégalités sociales. Aujourd’hui, il y a la volonté de réduire le temps d’hospitalisation et de favoriser l’ambulatoire. Soit. Mais la transformation ne peut être pensée du seul point de vue hospitalier dans le but d’optimiser les durées de séjour et les budgets. Il faut se donner les moyens de faire de la ville un lieu de soins. Ce qui englobe le sujet fondamental de la coordination des soins, mais aussi celui de l’urbanisme, de l’habitat, etc.

Que se passe-t-il pour un patient en sortie d’hospitalisation lorsqu’il habite au 27e étage sans ascenseur ? Quid de la salubrité des logements et de la pollution intérieure pour une personne souffrant de bronchopneumopathie chronique obstructive ?

Les stratégies nationales de santé doivent pouvoir mobiliser tous les acteurs, notamment l’échelon le plus proche du patient : la ville. Cela vaut également pour la prévention, un sujet majeur qui tend à devenir un terme fourre-tout.

En France, nous avons tendance à confondre les préventions. En la matière, il y a ce qui est de l’ordre de l’éducation et de la promotion de la santé et ce qui relève du suivi individuel de prévention médicalisée des risques comme le dépistage, par exemple. Aujourd’hui, le tabac, la pollution de l’air et l’alcool figurent parmi les premières causes de décès évitables. La sédentarité prend de l’ampleur. Sur tous ces sujets, il faut mobiliser largement et bien au-delà du seul champ de la santé.

Propos recueillis par Renaud Degas et Géraldine Bouton

Pour aller plus loin, lire l’interview réalisée à l’occasion de la parution de l’ouvrage « Santé : les inégalités tuent » d’Alfred Spira, médecin et professeur d’épidémiologie, et de Nicolas Leblanc.

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