Points de vue

Tribunes - 12 avril 2022

Santé : les inégalités tuent (Interview)

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Les plus pauvres meurent plus jeunes. La différence d’espérance de vie à la naissance en France est aujourd’hui de treize ans entre les plus pauvres et les plus fortunés. Dans un récent ouvrage, paru aux Éditions du Croquant, Alfred Spira, médecin et professeur d’épidémiologie, et Nicolas Leblanc, médecin de santé publique et élu local en charge du projet de territoire de santé de Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne), explorent les déterminants des inégalités sociales de santé et tracent quelques perspectives pour y remédier. Interview.

 

Pourquoi un livre sur les inégalités sociales de santé ?

Alfred Spira : Le « syndrome de la vie de merde » pour les uns et la « promenade de santé pour les autres ». C’est la réalité sociale aux extrêmes dans notre pays. En effet, l’augmentation des inégalités sociales de santé se traduit aujourd’hui par une différence d’espérance de vie à la naissance en France de treize ans entre les plus pauvres et les plus fortunés. Au niveau des populations entre ces deux extrêmes, les inégalités de santé se répartissent tout au long de l’échelle sociale. C’est ce qu’on appelle le gradient social de santé.

Quel est la nature de ces inégalités ? Elles sont d’abord sociales, fortement liées aux niveaux d’éducation, de revenus, aux conditions de travail, de position sociale, de comportements à risque ; elles sont territoriales, les conditions de vie et d’accès aux services de santé étant fortement dépendantes des lieux de vie ; elles sont liées au genre, les différences de santé entre les femmes et les hommes résultant de différences biologiques, médicales et sociales qui affectent aussi bien la prévention, la prise en charge que les représentations de la santé. Elles sont, enfin, environnementales, la distribution des perturbations de l’environnement étant hétérogène aussi bien spatialement que socialement.

Inégalités sociales et inégalités environnementales se conjuguent de façon complexe au sein de l’exposome. Ces interactions aggravent les disparités et les inégalités.

Derrière ces chiffres se met en œuvre une réalité sociale qui doit être comprise pour être corrigée. C’était vrai avant la pandémie de Covid-19. La crise sanitaire n’a fait que révéler et sans doute amplifier ce triste constat. C’est la vocation de cet ouvrage que d’expliquer ce que sont les inégalités sociales de santé, que de montrer ce qui les détermine afin de tracer quelques perspectives pour y remédier.

Nous tentons de répondre à deux questions : peut-on isoler les déterminants, et in fine les causes des inégalités sociales de santé ? A partir de cette analyse, peut-on élaborer des stratégies rationnelles et opérationnelles pour les réduire de façon pérenne ?

 

Comment expliquer cette situation alors que le budget de la santé ne cesse d’augmenter d’année en année ?

Nicolas Leblanc : Avant la pandémie de Covid-19, la consommation de soins et biens médicaux était en 2018 de 203 milliards d’euros par an en France, soit environ 3 000 € par habitant, soit encore 12,5 % de la consommation effective des ménages. Elle ne cesse d’augmenter sous l’effet du vieillissement et des innovations médicales et technologiques.

Or cette évolution est allée de pair avec une augmentation continue des inégalités sociales dans tous les domaines, économiques en particulier, mais aussi dans l’accès à la protection sociale et aux services, donc aussi dans le domaine de la santé. Celles-ci aggravent considérablement la situation du fait de l’interaction qui existe entre les évolutions conjointes des modifications de comportements et d’évolutions environnementales d’une part, la fragilité liée aux conditions socio-économiques d’autre part.

La montée en puissance des « Etats providence » n’a pas réduit ce phénomène, au contraire, en creusant les écarts. Ce sont en effet les personnes les plus fragiles, les plus pauvres et précaires qui sont le plus exposées à la détérioration de leurs niveaux d’éducation, de leurs droits sociaux, aux modifications de comportements et de l’environnement les plus délétères pour la santé. Qu’il s’agisse des expositions professionnelles, des expositions environnementales collectives subies, de la consommation de tabac et d’alcool, de la qualité nutritionnelle, de la prise de risque, les niveaux de revenus et d’éducation sont des déterminants majeurs du bien-être et de la bonne santé.

Le cumul de la pauvreté, des problèmes d’accès aux services de santé (prévention et soins), des modes de vie délétères, des logements insalubres, conséquences de l’austérité qui frappe une partie importante de la population, conduit in fine à un recul de l’espérance de vie et à une augmentation du fardeau des maladies. Ainsi nous précisons dans l’ouvrage chacun de ces déterminants et leurs interactions afin de dresser un panorama social de la santé.

 

Quelles sont les perspectives d’amélioration ?

Nicolas Leblanc : Nous avons voulu, à partir des connaissances acquises dans les laboratoires de recherche, appréhender la profondeur de la situation en France pour que les décideurs puissent s’en emparer et agir. Tous les décideurs, élus mais aussi ceux de la société civile, ceux d’envergure nationale comme les acteurs de terrain.

Pour cela, nous proposons effectivement quelques perspectives. Il n’y a pas en la matière de recettes miracles car les déterminants d’inégalités en santé sont multiples et interagissent entre eux et il faut agir à tous les niveaux, même si l’on ne comprend pas les voies de la causalité.

Alfred Spira : L’investissement dans la recherche pour produire les connaissances nouvelles sur chacune de ces composantes et sur leurs interactions est une nécessité pour asseoir des politiques publiques appropriées incluant prévention, promotion de la santé et soins. La cohérence des politiques publiques doit pouvoir être aussi un des moteurs de la réduction de ces inégalités sociales de santé.

Nous interrogeons ainsi les outils que sont les lois et leur évaluation en termes de santé, la fiscalité et l’organisation du système de santé au-delà du soin.

Enfin nous insistons sur la mobilisation des acteurs, notamment de terrain, que ce soient les collectivités territoriales et donc les élus, les acteurs économiques notamment de l’économie sociale et solidaire et bien sûr les citoyens.

Propos recueillis par Nathalie Ratel

 


Les auteurs :

Nicolas LeblancNicolas Leblanc, médecin de santé publique au sein du groupe VYV, premier groupe mutualiste de protection sociale en France, est élu local en charge du projet de territoire de santé de Fontenay-sous-Bois. Il intervient également en tant qu’expert dans de nombreux cercles de réflexion.

 

Alfred SpiraAlfred Spira, médecin professeur d’épidémiologie, contribue à la prise en considération de la santé dans la dynamique sociale, face aux grands enjeux contemporains tels que les modifications de l’environnement, les migrations et l’accès aux droits humains.

 

Livre disponible en librairie ou sur le site de l’éditeur.

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