Points de vue

Tribunes - 13 avril 2023

Retards de soins et crise Covid : les leçons doivent être tirées

La Veille Acteurs de Santé_Retard de soins_Une bombe à retardement_Site

Les retards de soins accumulés pendant la crise sanitaire ont des raisons multiples mais ils convergent vers une question essentielle : quelles conséquences sur la santé des patients ? Surmortalité face au cancer, retards de greffes, pertes d’autonomie… Dans leur ouvrage « Les retards de soins : la bombe à retardement » paru le 3 avril, Sylvain Labaune et Jean-Yves Paillé, journalistes à l’Agence de Presse Médicale (APM), retracent les premières répercussions grâce à de nombreux témoignages de chercheurs, de professionnels de santé et l’analyse de données. Et proposent quelques pistes pour que le système de santé soit mieux préparé en cas de nouvelle pandémie. Ils nous en disent plus. 

 

Crise Covid_Retards de soins_La bombe à retardement_Couverture

Balayées par une actualité en santé chargée, les conséquences des retards de soins pour les affections hors Covid accumulés pendant la crise sanitaire semblent être passées au second plan. Elles sont pourtant importantes en nombre et gravité, pèsent et vont peser sur le système de santé. Mi-mars, le président de la Fédération hospitalière de France évoquait lui-même une « dette » de plus de 3,3 millions de séjours non Covid depuis le début de la pandémie.

Après l’apprentissage de la gestion des soins durant la pandémie, l’heure est au bilan. Deux questions se posent : quelles sont les conséquences pour les patients et le système de santé ? Comment éviter d’en arriver là en cas de nouvelle épidémie ?

Dans notre livre « Les retards de soins : la bombe à retardement », nous avons enquêté sur les conséquences des déprogrammations, reports d’activité de soins et de dépistages au travers de nombreux témoignages de professionnels de santé et de responsables dans l’administration.

Nous constatons que le contexte d’urgence qui a prévalu explique indéniablement une grande partie des déprogrammations et reports de soins, en plus de la crainte des patients de consulter un médecin en ville ou de venir à l’hôpital se faire soigner. Mais cela ne justifie pas tout. Des médecins aux directeurs généraux d’ARS, de nombreux professionnels reconnaissent a posteriori que des erreurs évitables ont été commises.

 

Arrêt de greffes ou dépistages de cancers

Ces erreurs ont contribué à gonfler cette « dette » de soins. Elles ont surtout été commises au début de l’épidémie, à une période d’hébétement. On peut citer l’arrêt de certaines greffes ou des dépistages de cancers, qui se solderont assurément par une mortalité supplémentaire. D’ailleurs, notre enquête a révélé que les cancers sont détectés à des stades plus avancés depuis la fin des premières vagues épidémiques, avec des tumeurs en moyenne plus grosses.

Ou encore, la désorganisation du suivi des patients diabétiques en début d’épidémie laisse craindre des décompensations sur le moyen ou long terme qui auraient pu être évitables.

Les difficultés récurrentes du système de santé à maintenir les patients dans le circuit du système de soins ont entraîné aussi des pertes d’acuité visuelle pour les patients atteints de pathologies maculaires devant effectuer des injections intravitréennes régulières.

D’autres erreurs ou choix critiquables ont émaillé l’épidémie de Covid, notamment une attention insuffisante portée aux personnes âgées et des interventions chirurgicales programmées reportées qui font craindre des pertes d’autonomie accrues à l’avenir. Les désaccords entre l’administration et le monde médical, le manque de vision transdisciplinaire pour mesurer l’urgence de certains soins non Covid posent question.

Ces retards de soins ont particulièrement touché les cancers, les greffes, l’ophtalmologie, les maladies chroniques, et les maladies cardiovasculaires comme nous avons pu le constater auprès des professionnels de santé et à travers les publications scientifiques sur le sujet. Mais ces retards concernent aussi d’autres disciplines médicales qui mériteront d’être analysées dans le détail.

A notre connaissance, aucune étude à grande échelle n’est menée pour mesurer concrètement les conséquences et leur ampleur de ces retards pour l’ensemble des disciplines. Au vu de ce que nous avons exploré, ce sont a minina plusieurs dizaines de milliers de personnes qui subissent ou subiront significativement des conséquences irréversibles.

 

Nécessaire adaptation du système de santé

Mesurer l’ampleur de ce phénomène, c’est aussi comprendre que, durant une épidémie, on ne peut se concentrer uniquement sur les patients Covid (ou atteints d’autres pathologies infectieuses). Le système de santé doit absolument pouvoir préserver les autres prises en charge afin d’éviter que les autres patients en pâtissent.

C’est pour cela qu’une réflexion doit être menée sur les leçons à en tirer et les actions à mener. Par exemple, préserver une filière française de production de masques semble être une évidence. Pourtant, après le scandale des masques non conformes et la pénurie qui s’en est suivie, plusieurs usines françaises ont fermé…  Il sera nécessaire de disposer d’un nombre suffisant de lits de soins critiques et d’être en mesure d’ouvrir rapidement des lits de réanimation. Cela passera inévitablement par un recrutement massif de nouveaux professionnels de santé.

Il faudra aussi penser les projets architecturaux pour affronter les épidémies et séparer efficacement patients infectés et non infectés. Plus généralement, il va falloir renforcer le lien entre la ville, l’hôpital et le médico-social, afin de permettre une coopération plus fluide.

Un système de santé préparé permettra d’éviter des prises en charge coûteuses et plus lourdes.

L’ancien ministre de la santé, Olivier Véran, avait mis en avant, à l’été 2020 lors des conclusions du Ségur de la santé, le thème d’une « santé publique forte pour mieux se préparer et mieux combattre les nouvelles crises qui ne manqueront pas de surgir et qui affecteront la santé des populations ». Force est de constater que cela ne figure plus dans les priorités affichées aujourd’hui par l’exécutif.

Sylvain Labaune, Jean-Yves Paillé

Ajouter un commentaire