Points de vue

Tribunes - 9 mai 2023

L’accès aux soins : problème n°1. Le Lisa appelle à « ne pas se tromper de solutions »

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Focus initialement publié sur le site du Laboratoire d’idées Santé Autonomie (LISA), dont nous sommes partenaires.

La sagesse vient souvent en commençant par nommer les choses.

« Désengorger les urgences », c’est agir sur la conséquence ou le symptôme. Casser le thermomètre, diront certains. La situation y est souvent critique. Elle est à juste raison mal vécue par les patients ou leurs familles. La moindre épidémie suffit parfois à déstabiliser le système. Il y a donc, bien entendu, à réguler les soins non-programmés, à fournir des solutions qui concourent à rationaliser les prises en charge entre la ville et l’hôpital, à travailler sur l’amont et sur l’aval des urgences… mais si une partie des flux de patients se retrouvent aux urgences, c’est aussi le signe de difficultés d’accès aux soins courants. Pardonnez cette lapalissade.

On ne s’appesantira pas sur les causes multiples des lacunes de l’accès aux soins… Défauts persistants (pendant de longues années) de régulation des effectifs en formation, lenteur et manque d’agilité dans l’évolution des rôles des professionnels, atermoiements dans l’organisation des différents segments de l’offre de soin ou de leur articulation, évolution des usages des patients et des conditions de travail des soignants…

Les responsabilités et les échelles de temps ne sont pas les mêmes sur ces différents registres… D’où l’importance de ne pas se tromper dans la fabrique des solutions.

Toujours est-il que le problème est là. Il est massif. Il doit être reconnu. Sans barguigner. Les problèmes d’accès aux soins sont désormais criants dans notre pays.

Cela nous vaut d’ailleurs un grand nombre d’écrits[1] et de propositions de loi, plus ou moins inspirées[2].

Longtemps, on s’est focalisé, à raison, sur les problèmes d’accessibilité financière, en s’intéressant aux segments d’offre de soin mal solvabilisés ou aux dépassements d’honoraires.

On n’a pas vu – ou pas voulu voir – les problèmes d’accès aux soins. Un peu honteux que nous étions sans doute et désemparés après des décennies de déploiement de notre système de santé, le meilleur qui soit disait-on encore dans les années 2000. Avec un peu de forfanterie.

Le fait que tous les pays comparables soient aujourd’hui touchés – et ne parlons pas des pays moins favorisés – a sans doute désinhibé les analystes. Que la plupart des territoires et beaucoup de professions soient concernés aide aussi à cette prise de conscience.

Il y a cependant parfois loin de la conscience à l’action.

En situation d’urgence, on agit en conséquence : de façon pragmatique et en ayant le souci du temps, ce qui exclut en principe la procrastination… et ce qui amène normalement à privilégier les solutions à impact rapide.

Cela signifie économiser les ressources rares. Aucun jugement de valeur derrière cette notion de rareté. Le temps médical et, au-delà, le temps soignant dans bien des cas, est désormais rare.

Il faut donc éviter de le dilapider dans des tâches vaines ou inutiles. Tout ce qui pourra être fait en la matière est bienvenu. Les patients n’ont pas à payer la rançon d’une bureaucratie déployée en situation d’abondance médicale.

Il faut répartir différemment les tâches administratives (celles qui n’auront pu être supprimées) entre les soignants et des assistants compétents. Le Règlement arbitral, palliatif temporaire de la Convention médicale, reprend à raison cet objectif. Encore faudra-t-il trouver les professionnels en question.

Tout cela est en cours. On jugera sur pièces en fonction du temps soignant effectivement épargné.

En toute hypothèse, cette première gamme de solutions ne saurait suffire.

Il faut donc travailler aussi sur la répartition du temps soignant entre les différents professionnels. Là, ça se complique, disons-le tout net. Nous avons eu l’occasion de l’évoquer dans de nombreux papiers de Lisa (sur les pratiques avancées[3], sur les priorités du moment sur le sujet des professions[4]…).

Cela signifie sans doute briser les tabous le cas échéant… Mais toutes les solutions ne sont pas forcément appropriées par le simple fait qu’elles se parent des vertus de l’audace.

Développons quelques exemples.

Premier exemple : la filière visuelle, le partage des tâches entre ophtalmologues, orthoptistes et opticiens trace des solutions possibles. Alors, bien entendu, il faut augmenter le nombre d’ophtalmologues formés mais que fait-on à court terme ? On s’adapte, on bâtit des solutions en s’appuyant sur les professionnels, on progresse pas à pas dans le dialogue…

Deuxième exemple : les orientations décrites dans le champ de la périnatalité par le rapport d’Yves Ville pour l’Académie nationale de médecine[5] fournissent, elles aussi, des pistes de travail qui pourraient être transposées dans plusieurs domaines : comment passer du constat (les difficultés de pourvoir les différents types d’emplois pour maintenir les maternités) à une organisation nouvelle, compte tenu de la réalité des territoires, en mobilisant les ressources de la ville et de l’hôpital, de façon plus sûre et adaptée aux différents stades de la grossesse ?

Troisième exemple : les pratiques avancées. Les textes législatifs et réglementaires ont mis des années à émerger, le déploiement a été chaotique (non pas dans le champ de la formation mais dans celui des organisations de terrain, à l’hôpital et – pire encore – en ville). Le discours est désormais plus accommodant, voire volontariste au niveau des pouvoirs publics, mais comment passer des paroles aux actes?

La dernière enquête de l’UNIPA[6] montre clairement que le compte n’y est pas :

  • dans le secteur public hospitalier, l’augmentation moyenne de rémunération serait de seulement 4,1% pour les IPA, par rapport à leur situation en tant qu’infirmier(ère) diplômé(e) d’Etat (à la modestie des revalorisations obtenues s’ajoute la perte de certaines primes ou éléments de rémunération liés à des contraintes spécifiques – travail de nuit ou de week-end…). Par ailleurs, 24% des répondants à l’enquête n’exercent pas leurs compétences directement après l’obtention de leur diplôme. Enfin, le positionnement dans la hiérarchie de l’hôpital est plus ou moins pertinent, etc. ;

  • dans le secteur privé, l’avantage salarial est plus substantiel (de l’ordre de 16%) ; la contrepartie des négociations décentralisées est en l’espèce une plus grande variabilité. 26% des répondants n’exercent pas leurs nouvelles compétences immédiatement.

Dans nos écrits rappelés plus haut sur l’implantation des IPA, nous pointions le défaut d’anticipation (qui se traduit notamment par l’absence de budget pour les créations de postes d’IPA ou la rétention des intéressés sur des postes d’IDE faute de remplaçants à ce niveau) ou les scories bureaucratiques (comme la mise en place de concours sur titre dans le secteur public ou la mauvaise articulation par rapport aux cadres de proximité).

A l’évidence, il faut continuer de travailler les contours juridiques de la répartition des rôles entre soignants (objet de bien des initiatives et de beaucoup de controverse) mais il est surtout urgent de se préoccuper du déploiement concret des IPA, la fameuse politique du dernier… ou du premier kilomètre. Là où le bât blesse bien souvent. C’est la condition pour ne pas gaspiller ces compétences si dures à constituer et pour préserver l’attractivité de ces nouveaux métiers.

Et ne parlons pas des pratiques avancées en ville pour les infirmiers(ères) : vu la modestie des effectifs que l’on recense aujourd’hui, c’est une vue de l’esprit que de leur assigner un rôle significatif dans l’immédiat.

Mieux vaut s’appuyer sur ce qui existe en termes d’implantation territoriale effective, en renforçant les missions des pharmaciens, des masseurs-kinésithérapeutes… ou des infirmiers(ères) libérales comme on a commencé de le faire à l’occasion de la crise sanitaire. L’urgence nous guidait alors.

Quatrième exemple : la mobilisation du temps médical potentiellement disponible. On appellera ainsi le temps susceptible d’être gagné en accélérant les entrées dans la carrière et en retardant les fins de carrière. C’est le sens de plusieurs propositions du rapport de l’Académie nationale de médecine évoqué plus haut. L’installation en libéral reste un parcours compliqué pour les nouveaux médecins, guère anticipé dans le temps des études : ces difficultés ou ce défaut de formation ne doivent pas dissuader les initiatives des candidats à l’installation.

A l’autre bout de la carrière, on a, il y a quelques décennies, favorisé la cessation précoce d’activité, à travers le fameux et funeste MICA (mécanisme d’incitation à la cessation d’activité) ; il ne faut pas hésiter aujourd’hui à déployer les incitations au maintien en activité, quitte à mettre en place des mesures dérogatoires puissantes, dans les territoires en souffrance.

Cinquième exemple : l’exercice délocalisé. Il faut se le dire, certains territoires ne sont pas seulement des « déserts médicaux » mais ont été largement délaissés par l’ensemble des services publics et offrent parfois peu d’opportunités professionnelles aux conjoints. Il est donc vain d’essayer d’assigner des professionnels sur ces territoires. Il vaut mieux dans ce cas profiter des opportunités nouvelles de la mobilité et des usages à distance.

Les consultations délocalisées, « avancées » ou « itinérantes » peuvent apporter des solutions pertinentes de prise en charge spécialisée, de dépistage ou de prévention. Elles doivent être résolument soutenues par les acteurs territoriaux. Il en va de même des possibilités offertes par la téléconsultation, qui, bien souvent, requiert la mobilisation de plusieurs professionnels (médecins et non médecins) dans une gradation pertinente.

Dernier exemple : la rémunération différenciée. Si la ressource médicale est devenue rare, particulièrement sur certains territoires ou dans certaines spécialités, il n’y a pas de raisons de rechigner à une reconnaissance financière de ceux qui contribuent à apporter des solutions. Dans un système libéral solvabilisé par la collectivité, cela paraîtrait une solution cohérente… et une alternative logique à d’autres tentations qui cadrent mal avec ce système (qu’il s’agisse de la coercition à l’installation ou du développement du salariat). Jouer sur les honoraires, à travers des différentiels conséquents, serait sans doute plus pertinent que le déploiement des primes à l’installation, qui encouragent parfois les comportements mercenaires sans lendemain. Une telle solution est immédiatement mobilisable et peut bien entendu être articulée avec les formes d’exercice délocalisé.

Et la formation dans tout ça, direz-vous ?

Lisa, on le sait, insiste volontiers sur les questions de formation. Elle a eu l’occasion de revenir à de nombreuses reprises sur les questions de régulation quantitative[7] mais sur le front de l’urgence d’agir, autant se le dire, la formation des médecins ne fournit guère de solutions.

Sauf à rompre le contrat implicite passé avec les étudiants déjà en formation en leur imposant des conditions non prévues à l’origine, les idées de régulation à l’installation ne valent qu’à un horizon lointain (une bonne dizaine d’années).

S’appesantir aujourd’hui sur le sujet du numerus clausus/apertus qu’il faudrait déréguler (jusqu’où ?), sans reconnaître que les effectifs admis en deuxième année ont triplé depuis le point bas des années 1990, participe sans doute d’une forme de compensation des errements du passé mais on a besoin d’une réflexion prospective sérieuse (compte tenu des besoins de santé et des opportunités technologiques) plus que d’initiatives à l’emporte-pièce. De toute façon, cela ne prépare pas la décennie 2020 mais la fin de la suivante.

Et les organisations de proximité dans tout cela, pour conclure ?

Volontairement, nous ne nous sommes guère attardés sur la question des organisations de proximité (maisons de santé, communautés professionnelles de santé et autres dispositifs d’appui à la coordination)[8]. Pour nous, elles n’ont d’utilité qu’au service de projets professionnels tels que nous les avons rapidement esquissés ci-dessus : faciliter l’installation, donner envie aux jeunes de s’installer, réduire la charge bureaucratique (pour autant qu’elles n’en ajoutent pas), permettre des consultations avancées, faire coopérer concrètement les professionnels, fournir des solutions au niveau d’une filière…

En lui-même, le meccano des structures de proximité n’ajoute pas de temps soignant ; celles-ci ne répartissent pas forcément mieux les ressources ; il se peut même qu’elles les polarisent ou exacerbent la concurrence entre territoires.

Face à l’urgence, il est important de sérier les solutions. Dans la conduite des politiques publiques, il est bien rare que celles-ci viennent de l’inventivité organisationnelle.

Stéphane le Bouler, président de Lisa

Notes

[1] Sans en revendiquer les analyses ou les conclusions (que l’on récuse absolument pour certaines d’entre elles), on citera les écrits du Collectif de professionnels et de patients pour la refondation de la santé et son idée de « service d’intérêt général territorialisé », le Rapport de l’Académie nationale de médecine, Les zones sous-denses, dites « déserts médicaux », en France. Etat des lieux et propositions concrètes ou encore l’Avis de cette même Académie nationale de médecine sur le rôle et la place du médecin généraliste. On citera aussi le chapitre 7 du rapport public annuel 2023 de la Cour des comptes.

[2] Nous avons eu récemment l’occasion d’évoquer le sujet des propositions de loi.

[3] https://www.lisa-lab.org/les-infirmier-eres-en-pratique-avancee-ou-comment-ne-pas-gacher-une-belle-reforme

[4] https://www.lisa-lab.org/focus-8-profession-sante-etatdurgence

[5] https://www.academie-medecine.fr/planification-dune-politique-en-matiere-de-perinatalite-en-france-organiser-la-continuite-des-soins-est-une-necessite-et-une-urgence/

[6] https://drive.google.com/file/d/1tNyUbajVNdNECwW1ThjzgJ8e6TO8eF0u/view

[7] https://www.lisa-lab.org/former-plus-de-medecins-pour-demain

https://www.lisa-lab.org/professions-sante-systeme-quotas

[8] On renverra volontiers le lecteur au travail de Patrick Castel et Léonie Hénaut, qui montre pourquoi et comment ces organisations surgissent… et persistent.

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