Pour sa 50e émission, les Contrepoints de la santé du mois de septembre 2022, dédiés aux soins de proximité, pour lesquels « le statu quo n’est plus possible », ont réuni Marguerite Cazeneuve, Directrice déléguée de l’Assurance Maladie, Nathalie Fourcade, Secrétaire générale du Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance maladie (HCAAM), le Dr Jacques Battistoni, ancien président de MG France, et Daniel Guillerm, président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI).
Deux récents rapports de l’Assurance maladie et du HCAAM se sont attaqués à la problématique de l’accès aux soins, toujours prégnante en France malgré les réformes régulières du système de santé. Le rapport « Charges et produits » de l’Assurance maladie, rendu public en juillet, prône ainsi une meilleure structuration des organisations en ville et une amélioration des coopérations entre la ville et l’hôpital. Celui du HCAAM, publié en septembre sur « l’Organisation des soins de proximité : garantir l’accès de tous à des soins de qualité », insiste sur la diversification des réponses à proposer face à une demande de soins, la consultation chez le médecin ne devant plus être l’unique solution.
Encourager les collaborations interprofessionnelles
De fait, « il n’y a pas de recette miracle, la réponse doit reposer sur la mobilisation et la coalition de tous les acteurs », a soutenu Marguerite Cazeneuve, invitée aux Contrepoints de la Santé de septembre dernier. Face aux nombreux chantiers à mener, plusieurs leviers doivent être activés, l’un étant de permettre aux médecins traitants de disposer de davantage de temps pour leurs patients, « ce qui suppose une forme de partage du temps de travail et une collaboration entre professionnels », a-t-elle ajouté.
Les modèles, déjà nombreux sur le territoire, entre les infirmiers et les médecins notamment, doivent se multiplier. C’est d’autant plus important qu’à ce jour, environ 6% de patients en Affection de longue durée (ALD) et des plus de 60 ans n’ont pas de médecin traitant. « Pour cette population, nous nous devons de nous mobiliser puisque c’est elle qui a prioritairement besoin d’un médecin traitant et d’une coordination des soins », a ajouté Marguerite Cazeneuve.
Renforcer l’exercice coordonné
L’une des réponses portées par le gouvernement repose sur l’exercice coordonné, qui séduit de plus en plus, mais pas encore majoritairement, les professionnels de santé. « Si le travail en équipe s’est beaucoup développé au cours des quinze dernières années, cela ne va pas assez loin aujourd’hui pour permettre la transformation du système de santé, enrichir la gamme des services et améliorer la qualité des soins », a regretté Nathalie Fourcade. Ces équipes d’exercice coordonné concernent environ 20% des professionnels de santé en ville.
Pour accroître cet engagement, la secrétaire générale du HCAAM plaide pour un plus grand accompagnement des professionnels notamment en simplifiant leurs démarches ou en fournissant des solutions clés en main, par exemple pour inciter des médecins en fin de carrière à poursuivre leur activité. « Nous en avons besoin aujourd’hui pour passer le cap, en raison du creux démographique en cours, le temps que les nouveaux professionnels soient formés », a-t-elle rappelé.
Les aspirations des médecins et des infirmiers
Face à ce constat, les aspirations de la profession infirmière sont nombreuses mais ses représentants mettent en garde contre les dérives possibles. « Si on s’attaque au gain de temps médical utile, il y a d’autres solutions que de toujours mettre plus de ressources à disposition des médecins dans leurs cabinets », a estimé Daniel Guillerm. Il alerte sur la nécessité de penser à la lisibilité du système de santé car « je ne suis pas certain que le système y gagne en ajoutant des infirmières, salariées ou non d’ailleurs, en tant qu’assistantes des médecins. Des chevauchements de compétences vont nécessairement s’opérer ».
« Je comprends très bien que les infirmiers n’aient pas envie de se retrouver dans la même situation qu’à l’hôpital à savoir en situation hiérarchique, a poursuivi Jacques Battistoni. Nous demandons toutefois un exercice en collaboration, nous avons besoin de travailler ensemble. » Trois axes doivent selon lui être développés : organiser des suivis conjoints via la télémédecine pour permettre le maintien à domicile des patients ; instaurer, dans les cabinets médicaux, des infirmières d’accueil et d’orientation afin de dégager du temps médical ; développer l’éducation thérapeutique et la prévention. Ce déploiement implique un accompagnement des médecins, avec de l’ingénierie de projet et du personnel.
Pour Daniel Guillerm, l’accent doit être mis sur trois autres axes, qui ne sont pas nécessairement antinomiques de ceux proposés par le Dr Battistoni : partager les compétences afin d’exploiter au mieux celles des infirmières notamment dans le domaine de la prévention et de l’éducation thérapeutique ; responsabiliser l’usager avec le recours à des moyens techniques tels que les objets connectés ; capitaliser davantage sur la digitalisation du système de santé.
Tirer le meilleur parti des compétences de chaque professionnel, c’est ce à quoi encourage également Nathalie Fourcade : « Nous partageons cette idée selon laquelle il faut développer l’exercice conjoint entre médecins, infirmiers et assistant médical pour permettre de suivre plus de patients et offrir de nouveaux services. Nous avons proposé, dans un précédent rapport, de développer la prévention en ambulatoire, qui pourrait être assurée en grande partie par des infirmières, à condition qu’elles s’inscrivent dans le cadre d’un travail d’équipe ayant conventionné avec l’Assurance maladie et s’engagent à respecter des recommandations de bonnes pratiques édictées par la Haute Autorité de santé (HAS). »
Miser sur les CPTS
Autre modèle de coopération évoqué : les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), « l’aboutissement dans un système de santé qui fonctionne bien, a soutenu Marguerite Cazeneuve. Je pense que l’une des priorités du Conseil national de la refondation (CNR) en santé va être de couvrir l’ensemble du territoire de ces CPTS et de les renforcer pour que les professionnels, au niveau d’un territoire, s’organisent entre eux et trouvent des solutions adaptées. »
Daniel Guillerm, qui reconnaît que les CPTS représentent le « chaînon manquant » dans l’organisation du système, a toutefois insisté sur la nécessité de veiller à ce qu’elles « répondent vraiment à leur objet social à savoir organiser les parcours de soins à l’échelle d’un territoire ». « Elles ne doivent pas être effectrices de soins, a-t-il soutenu. Or nous observons déjà des glissements s’opérer, notamment au travers de la mission Flash de l’été 2022, avec l’extension aux CPTS des protocoles article 51, initialement prévus pour les MSP et les Centres de santé. Des porosités s’installent et peuvent nuire à la lisibilité du système de santé. »
Retrouvez ici les précédents débats des Contrepoints de la Santé
Les Contrepoints de la Santé sont des petits-déjeuners-débats co-organisés par les journalistes santé Pascal Maurel, Philippe Leduc et Renaud Degas, qui est également directeur de La Veille des acteurs de la Santé et de l’agence PI+. Ils reçoivent, tous les mois, des personnalités de premier plan débattent ainsi des sujets qui font l’actualité de la santé !