Tribune rédigée par Philippe Leduc, médecin et journaliste santé, initialement publiée sur le site Les Echos-Le Parisien.
La santé doit être organisée en fonction des spécificités de chaque territoire. Tout le monde est d’accord avec cette évidence. La Ministre déléguée en charge de l’Organisation territoriale et des Professions de santé, Agnès Firmin Le Bodo, a réaffirmé son engagement pour que cette injonction devienne réalité, lors du débat organisé par le Think Tank Économie Santé le 21 mars 2023*, à l’occasion de la publication de sa Recommandation 2023 sur ce thème. Mais les pouvoirs publics iront-ils au bout de cette logique, condition indispensable pour être efficace et retrouver la confiance de tous les professionnels de santé et parties prenantes ?
Invitée à réagir à la Recommandation 2023 du Think Tank Économie Santé et débattre avec ses membres, la Ministre ne s’est pas dérobée et a confirmé qu’une nouvelle organisation devrait être proposée d’ici le 30 juin.
Motivée et pugnace
Le Think Tank Économie Santé prône la création de « Coalitions territoriales de santé en impliquant et responsabilisant globalement toutes les parties prenantes avec un financement dédié et une obligation de résultat ». Pour la Ministre, très motivée et pugnace au cours du débat, c’est en effet la solution.
Elle avait d’ailleurs proposé, rappelle-t-elle, la constitution de « groupes santé territoire« . Qu’importe la dénomination. L’esprit est là. L’objectif martèle Agnès Firmin Le Bodo, c’est de « mettre en même temps dans une instance où on travaille ensemble tout le temps (et par uniquement quand on en a besoin) le public, le privé, le médicosocial, l’hôpital et la ville ».
La Ministre l’assure « la volonté politique est là » et le répète : « Il faut le faire tous ensemble » et pour cela « il faut en effet changer de méthode ». « Travailler ensemble est une absolue nécessité ». « L’État devra prendre ses responsabilités et donner la main aux agences régionales de santé qui doivent devenir des ensembliers. »
Pour la Ministre « cette nouvelle organisation doit d’abord partir des départements quitte à être affinée en fonction des GHT (groupements hospitaliers de territoire) ». A chacun son rôle : « Il faut que l’État définisse la structure et laisse les territoires s’organiser, avec aussi les élus ».
« Il ne s’agit pas de créer un machin pour créer un machin. Celui-là est vraiment nécessaire. Un endroit où tous les acteurs se rencontrent et prennent l’habitude de travailler ensemble. Nous avons jusqu’au au 30 juin pour définir ces structures – coalition, groupe ou CNR santé territorial – qui doivent permettre à tous les acteurs de travailler ensemble. Nous avons la volonté d’avancer dans les territoires en reconnaissant la compétence de chaque professionnel. »
Mais c’est là que cela coince reconnait la Ministre. « Qui fait quoi ? Le médecin est la pierre angulaire du système de santé ». Et la Ministre de s’interroger sur le degré d’autonomie des professionnels et acteurs de la santé ainsi réunis : « Faut-il, pour avancer, dire aux professionnels sur chaque territoire : faites entre vous et revenez vers nous » tout en rappelant que « la santé est une compétence régalienne de l’État ».
Un triptyque
La nouvelle méthode défendue par le Think Tank Economie santé repose sur un triptyque :
- une vraie autonomie des professionnels de santé et parties prenantes,
- une obligation de résultat et
- un financement dédié.
Cela suppose que :
- les ARS jouent un vrai rôle de facilitateur
- L’administration lâche prise
- les professionnels sortent de leur carcan
Bien-sûr, quelques règles de fonctionnement devront être définies par les pouvoirs publics, par exemple en ce qui concerne la représentativité.
Attention aux demi-mesures
A écouter la Ministre, on perçoit bien que tous les arbitrages ne sont pas rendus. Mais s’arrêter au milieu du gué serait bien regrettable. C’est ici et maintenant qu’il ne faut pas caler.
Le moment est crucial. La situation étant tellement tendue, que pour remotiver chacun et recréer la confiance il faut se méfier des demi-mesures. La création, le fonctionnement et l’efficacité des coalitions territoriales de santé méritent une prise de risque.
*En présence d’Agnès Firmin Le Bodo, Ministre, et de Laurence Comte Arassus, Directrice générale GE Healthcare), Florence Herry, infirmière et co-fondatrice de Libheros, Elisabeth Hubert, Présidente de la FNEHAD, Christophe Lannelongue, ancien directeur général de l’ARS Grand Est, Isabelle Riom, Médecin urgentiste, et Philippe Leduc, directeur du Think Tank Economie Santé.