Le 28 janvier prochain se tiendront, à la Station F à Paris, les Grandes Tendances e-santé 2025. Un événement organisé par Interaction Healthcare et devenu, au fil de ses éditions, un rendez-vous incontournable de la e-santé. Jérôme Leleu, directeur général de Interaction Healthcare, veut maintenant en faire un point de rencontre fructueux entre les acteurs de l’écosystème de la santé numérique et l’ensemble des acteurs de santé.
Propos recueillis par Renaud Degas
Vous qui êtes à la fois un acteur et un observateur de la e-santé depuis plus de 10 ans, comment estimez-vous le niveau de pénétration en 2025 de la e-santé dans les usages quotidiens des patients et des professionnels de santé ?
Jérôme Leleu : Il y a plusieurs lectures possibles. Du côté des acteurs de l’écosystème de la e-santé, l’innovation est présente et constante, aujourd’hui portée principalement par l’IA et l’IA générative. On a de plus en plus de cas d’usage concrets de la e-santé.
Par exemple, en oncologie, sur l’ensemble du parcours de santé, la e-santé est une réalité : à toutes les étapes structurantes du parcours de santé du patient, que ce soit pour la prévention, le diagnostic, la prise en charge des patients, le suivi, etc., il existe des solutions concrètes et opérationnelles, comme le déploiement de téléconsultations de suivi de patients, qui peuvent également être une réponse aux déserts médicaux. Le fait qu’aujourd’hui, déjà 25 % des femmes bénéficient de mammographies qui utilisent l’IA est intéressant et encourageant, sachant que cela augmente l’efficacité du dépistage.
Du côté des patients, le Covid a permis une accélération de l’adoption des outils de e-santé. Mais aujourd’hui, le grand enjeu est celui de la formation des professionnels de santé aux outils de e-santé. Il y a encore besoin d’expliquer et de former, même s’ils sont de plus en plus nombreux à être convaincus de l’apport de la santé numérique à leurs pratiques.
On entre donc dans cette étape de déploiement d’usages très concrets et de formation des professionnels de santé, le tout avec le soutien institutionnel. Ce dernier est fort, notamment grâce au Ségur du numérique (2 milliards d’euros d’investissement) ou encore au déploiement de Mon espace santé, qui vient de dépasser les 15 millions de patients utilisateurs.
Je pense qu’aujourd’hui, on voit la partie supérieure de l’iceberg e-santé, qui avance parfois doucement. Mais en dessous, tous les changements structurels et les innovations progressent très fortement et poussent à sortir de l’eau. D’autant que se pose déjà la question de l’équité des prises en charge pour les patients qui ne profitent pas de l’apport de la e-santé. Pour reprendre l’exemple du dépistage du cancer du sein, quid des 75 % de femmes qui ne bénéficient pas de l’apport de l’IA lors de leur mammographie ?
Aujourd’hui, le grand enjeu est celui de la formation des professionnels de santé aux outils de e-santé.
Le temps d’apprentissage et d’adoption nécessaire de la e-santé est-il compatible avec la vitesse de l’innovation observée chez les acteurs de la e-santé ? N’y a-t-il pas un risque de voir les patients et les professionnels de santé courir sans fin derrière les innovations avec un temps de retard ?
J.L. : Il y a plusieurs phénomènes observables. Il y a d’abord celui du grand public : on a connu, par exemple, il y a vingt ans, l’effet Doctissimo, où le patient arrivait chez son médecin avec une capture d’écran et son auto-diagnostic. On le retrouve aujourd’hui avec ChatGPT, qui permet d’interagir avec une IA générative assez simplement. Cela va provoquer un tsunami d’usages chez les patients, qui sera important. Mais dans le même temps, nous avons 13 millions de Français qui souffrent d’illectronisme.
Nous ne pouvons donc ni dire qu’aujourd’hui tous les Français sont passés à la e-santé, ni qu’il ne se passe rien. Il faut donc travailler sur différentes granularités du sujet. Ce qui est certain, c’est que nous ne pouvons que constater que le numérique est présent dans tous les secteurs de la vie et que la santé n’y échappe pas. Pour celle-ci, il existe toutefois des enjeux moins visibles, mais techniquement plus lourds, comme l’interopérabilité des systèmes et entre les secteurs (ville-hôpital, par exemple). Mais globalement, on observe, par exemple, avec les jeunes médecins, que la e-santé entre dans le quotidien des pratiques.
L’enjeu, aujourd’hui, n’est-il pas que l’on ne parle plus de e-santé, mais simplement de santé, et que le numérique n’en soit qu’une des composantes ?
J.L. : C’est exactement comme cela que nous avons conçu Les Grandes Tendances de la e-santé 2025. Ce qui m’intéresse, c’est que tous les acteurs de la santé se retrouvent à la Station F ou en distanciel à travers tout le territoire. Ce qui m’intéresse, c’est que le président de la Haute Autorité de Santé, le Pr Lionel Collet, vienne expliquer comment il intègre le numérique. Et que, dans la même conférence, Thomas Fantôme nous parle des enjeux de financement du numérique dans les prises en charge des patients.
Ce qui est passionnant, c’est de réunir tous ces acteurs. On ne peut développer la e-santé que dans une démarche de co-construction avec les patients et les professionnels de santé. Les Grandes Tendances de la e-santé permettent de réunir tout le monde autour du sujet de la e-santé et de son intégration au service de notre système de soins et de la prise en charge des patients.
Seront en effet présents les ministères, les industriels de santé, les patients, les professionnels de santé, les structures d’accompagnement et les start-up, pour se concentrer une journée sur la meilleure manière de faire évoluer les choses : prévention, formation, cybersécurité, etc. Nous avons vraiment conçu Les Grandes Tendances comme un lieu de rencontre et d’échange. Nous sommes humbles dans la démarche, mais nous voulons contribuer à faire avancer les sujets que nous abordons. Un message auquel a été sensible le nouveau ministre de la Santé, Yannick Neuder, qui viendra inaugurer l’événement.
Les Grandes Tendances de la
e-santé permettent de réunir tout
le monde autour du sujet de la
e-santé et de son intégration au service de notre système de soins et de la prise en charge des patients.
Les autorités et les financeurs ont-ils pris totalement conscience de ce que peuvent apporter les solutions numériques ?
J.L. : C’est une des ambitions des Grandes tendances. Nous voulons montrer comment le numérique peut répondre à certains enjeux actuels, comme la prévention, par exemple. Mais on sait très bien que cela ne peut être abordé que dans une vision systémique, en prenant en compte les problématiques de financement.
L’avantage, c’est qu’aujourd’hui, nous sommes entrés dans une phase d’industrialisation de la e-santé, avec, à l’image du médicament, des études scientifiques qui prouvent les impacts positifs des solutions de e-santé sur la santé des patients et/ou l’efficacité des prises en charge.
À partir de là, notre enjeu est de faire entrer la e-santé dans le droit commun. Et Les Grandes tendances offrent justement l’opportunité à tous les acteurs concernés de se mettre autour de la même table.
Avec la e-santé, la RSE et le développement durable sont l’autre lame de fond qui vient percuter le secteur de la santé. Comment les Grandes tendances abordent-elles ce sujet ?
J.L. : Les acteurs de la e-santé y sont de plus en plus sensibles, et le sujet est d’ailleurs abordé dans les tables rondes des Grandes tendances.
À notre niveau, nous avons voulu faire de cet événement un rendez-vous qui reflète les valeurs portées par les acteurs de la e-santé, telles que la parité, l’inclusion et l’accessibilité pour les personnes handicapées, mais également le développement durable et l’environnement.
De façon concrète, pour la préparation de l’événement, nous avons travaillé avec les associations de patients, le collectif Femmes de santé… et, très concrètement, nous en avons aussi fait un événement 100 % recyclable. Notre souci est de ne pas faire du « RSE marketing », mais bien de travailler en profondeur l’organisation et la réalisation de cet événement en ce sens.