Points de vue

Les Contrepoints de la Santé - 15 novembre 2022

Jean-Christophe Combe : « bien vieillir, ça commence dès le plus jeune âge » (Débat)

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Demain, un tiers de la population française aura plus de 60 ans. Les sujets sont nombreux et les enjeux colossaux. Le maintien à domicile, l’avenir des EHPAD, le financement du secteur du grand âge, l’attractivité des métiers et la revalorisation des rémunérations, l’implication sociétale… autant de sujets clés sur la table, auxquels il faut apporter des solutions rapides. Quelle méthode pour enfin passer du constat à la mise en œuvre des solutions ? Que faut-il attendre du Conseil national de la refondation (CNR) et de son volet sur le bien-vieillir ? Jean-Christophe Combe, ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées, était, le 26 octobre dernier, l’invité des Contrepoints de la Santé, dont nous sommes partenaires. Extraits.

 

 

Pascal Maurel : À l’occasion du lancement du CNR « Bien vieillir », le 11 octobre dernier, vous avez rappelé que « depuis 2018, 18 rapports et 372 propositions ont été produits sur le sujet ; l’heure n’est plus aux constats mais à la mise en œuvre des solutions ». Comment ? Quelle méthode comptez-vous appliquer ? 

Jean-Christophe Combe : Lorsque j’ai lancé le CNR du bien vieillir, l’objectif, conformément à la demande du Président de la République, était de mettre en place une nouvelle méthode qui permette d’associer beaucoup plus largement les citoyens, la société, les personnes concernées à ces questions.

Effectivement, ces questions ont déjà fait l’objet de nombreux rapports. Tout est sur la table, propositions comme constats. D’ailleurs, on me reproche souvent d’avoir lancé une énième concertation. Je pense simplement qu’il est important, au regard des enjeux de la transition démographique, qu’aujourd’hui ce débat soit vraiment au cœur du débat public.

Parce que la question qui se pose aujourd’hui n’est pas juste une question médico-sociale ; ce n’est pas de savoir comment on va vieillir en EHPAD ou à domicile… C’est vraiment la place que notre société laisse aux personnes âgées, la façon dont on vieillit, le regard que l’on porte sur le vieillissement.

 

Philippe Leduc : Cela fait 20 ans qu’on essaie d’avoir une véritable avancée en matière d’autonomie et de prise en charge des personnes âgées. Comment allez-vous réussir, là où beaucoup ont échoué ?

Jean-Christophe Combe : Justement parce que l’on a de la matière. Beaucoup de choses ont été faites. Je vous rappelle qu’il y a eu la création de la 5e branche de la Sécurité sociale. Il y a également un certain nombre de mesures, notamment dans le cadre du PLFSS 2022, qui ont été introduites pour, là aussi, prendre le virage domiciliaire, renforcer et transformer nos Ehpad.

Mais vraiment, la différence, c’est de se dire que ce débat ne peut être qu’un débat d’experts : ce doit être un débat de la société dans son ensemble.

Mon objectif dans les mois qui viennent avec le Conseil national de la refondation, c’est de clore cette période de constats et d’élaboration de propositions, et de sortir avec un plan d’actions, un agenda et des financements pour mettre en œuvre cette vision dans les années qui viennent. C’est vraiment du concret.

 

Philippe Leduc : Faut-il s’attendre à une grande loi sur l’autonomie, comme le souhaitent de nombreux professionnels du secteur, ou à de petites lois ?

Jean-Christophe Combe : Je l’ai dit, sur ce sujet, ni tabou ni totem, je préfère parler du contenu avant de parler du contenant. La loi, c’est un véhicule, un support. Si, à la fin du CNR « Bien vieillir », en mai 2023, on considère qu’il y a des mesures de niveau législatif à prendre, eh bien, on les prendra. Si on considère que la loi peut être un vrai levier de transformation de la société, eh bien, on fera une grande loi ou une petite loi, on continuera à enrichir nos PLFSS.

Mais vraiment, là, je veux, dans les mois qui viennent avec l’ensemble des citoyens, me concentrer sur le contenu avant de décider comment on le portera.

 

Renaud Degas : Quels liens existe-t-il entre le CNR « Bien vieillir » et le CNR « Santé », piloté par M. Braun et Mme Firmin le Bodo ?

Jean-Christophe Combe : Il y a des passerelles. Nous organiserons des ateliers communs. Le premier axe du CNR que je pilote est celui de la prévention et de l’adaptation de la société ; il y aura donc forcément un travail avec le CNR « Santé ». De la même façon, l’adaptation des bâtiments, des logements, des transports… seront des sujets sur lesquels nous travaillerons avec le CNR « Climat et biodiversité », piloté par Christophe Béchu, ministre de la transition écologique.

 

Pascal Maurel : Comment se mettra en place cette vision sociétale que vous évoquez ?

Jean-Christophe Combe : Je le dis souvent, bien vieillir, ça commence dès le plus jeune âge. Mon portefeuille ministériel va d’ailleurs de l’enfance jusqu’au grand âge.

C’est important que, à chaque moment de la vie, on puisse accompagner l’ensemble de nos concitoyens, lutter contre les inégalités en santé et mettre en place des mécanismes qui permettent de bien vieillir, de retarder un certain nombre de maladies chroniques et de repérer le plus précocement possible les maladies neuro évolutives, par exemple.

L’enjeu, c’est donc vraiment de systématiser une approche globale de prévention qui, on le dit souvent, n’est pas forcément le point fort du système de santé français. La création de consultations de prévention à différents âges clé de la vie, participe de cette approche.

(…) Il faudra également s’inspirer des bonnes idées, de l’expérience, du terrain. (…) Il faudra sans doute inventer de nouveaux métiers.

(…) Mon rôle, par ailleurs, c’est de répondre à un besoin et à une attente aujourd’hui. Près de 90% des Français veulent vieillir à domicile et donc, légitimement, le ministre que je suis doit répondre à cette attente : le virage domiciliaire va donc devenir une réalité.

 

Philippe Leduc : Tout cela nécessite des financements. Le rapport Libault a préconisé de prévoir 9 milliards d’euros à l’horizon 2030 pour le grand âge. Et dans une interview aux Échos, vous annoncez que ces 9 milliards supplémentaires seront atteints dès 2026, en passant ainsi de 32,6 milliards en 2021 à 42 milliards en 2026. Comment vous faites ? 

Jean-Christophe Combe : Le Parlement déterminera comment affecter ces ressources. Mais j’espère bien que le CNR nous donnera des indications. A partir de 2024, vous aurez déjà presque 2 milliards et demi d’euros supplémentaires et une fraction de CSG, de 0,15 points, transférée de la CADES, qui ira à la branche Autonomie.

La question des financements sera inévitablement posée dans les mois qui viennent et si l’on considère qu’il y a pas assez d’argent pour répondre aux besoins, eh bien il faudra qu’on pose les choses sur la table.

La question du financement de notre modèle de protection sociale fait débat aujourd’hui. C’est pour ça qu’au gouvernement, on souhaite pouvoir le plus tôt possible équilibrer le financement des retraites. Vous allez me dire « quel est le lien ? » L’idée, ce n’est pas de financer l’autonomie avec les cotisations retraites mais c’est de faire en sorte que le régime des retraites soit équilibré pour que derrière, on n’aie pas à trouver des financements complémentaires alors qu’on sait qu’on va avoir des besoins de financement sur le volet de l’autonomie.

(…) D’autant que si on est sûr d’avoir 9 milliards en 2026, (…) en revanche, la question se pose pour l’avenir, car on sait que la transition démographique va s’accélérer. (…) Va revenir dans le débat la question assurantielle et la mobilisation de financements privés.

 

Pascal Maurel : Sur le sujet des Ehpad, les nouvelles données de la CNSA, la Caisse nationale de solidarité et de l’autonomie, montrent que les tarifs des établissements augmentent assez modérément, tirés par le secteur privé commercial. Un commentaire ?

Jean-Christophe Combe : L’augmentation des tarifs des Ehpad est encadrée, même dans le secteur privé commercial. Mon objectif à moi, c’est de faire en sorte que l’offre en Ehpad soit la plus accessible possible. 75% des places aujourd’hui sont habilitées à l’aide sociale. Donc c’est assez considérable. Néanmoins, on aura un débat sur la question du reste à charge et du financement pour les résidents et pour les familles.

 

Pascal Maurel : Un établissement sur deux serait à l’origine de fraudes aux tarifs et de nombreuses disparités territoriales demeurent…

Jean-Christophe Combe : La fraude est évidemment un combat permanent pour l’État. Le chiffre auquel vous faites référence est issu d’un rapport de 2020-2021 dressé par la direction de la répression des fraudes. Depuis, je peux vous confirmer que la situation s’est améliorée et l’État comme les services de l’État sont intraitables vis-à-vis des fraudeurs. 

 

Philippe Leduc : L’Etat s’est engagé à contrôler l’ensemble des EHPAD du pays. Où en êtes-vous sur ce point ?

Jean-Christophe Combe : C’est un engagement pris par ma prédécesseure au début de l’année 2022, à la suite de l’affaire ORPEA, c’est-à-dire contrôler dans les deux ans les 7500 Ehpad que compte notre pays. C’est un engagement que j’ai repris lorsque j’ai été nommé, qui a mobilisé les ARS en particulier.

Depuis, environ 600 EHPAD ont d’ores et déjà été contrôlés. Plus de 500 agents sont mobilisés. On va en recruter 120 de plus pour pouvoir effectuer les inspections de contrôle.

 

Philippe Leduc : Et concernant l’attractivité et la revalorisation des métiers. Est-ce que vous en aurez les moyens ?

Jean-Christophe Combe : L’attractivité des métiers, c’est tout un tas de sujets. C’est d’abord la façon dont on parle de ces métiers, la représentation qu’a la société de ces métiers. Et ça, c’est extrêmement important.

C’est aussi, évidemment, la question salariale au coeur, d’ailleurs, du Ségur de la santé : nous avons engagé 4 milliards d’euros en année pleine pour le secteur social et médico-social. C’est considérable, même si c’est insuffisant et qu’il faut sans doute aller plus loin, y compris sur la qualité de vie au travail, les parcours professionnels, la formation

On manque de médecins, d’infirmières, d’aide-soignants… tous ces métiers de l’accompagnement, du soin et du lien. Il faut donner envie. Il faut recruter massivement. Mais cela prend du temps : quand je dis que je vais recruter 3000 infirmières dans les Ehpad l’année prochaine, on dit ce n’est pas assez mais il faut les trouver, les former…

 

  • 20 % des Français ont souffert d’âgisme et ce, dans le milieu professionnel pour la moitié d’entre eux
  • seuls 36 % des Français jugent qu’on s’occupe bien des personnes âgées en France
  • il faut, pour bien vieillir : du lien social (34 % des Français)une bonne santé (32 %) et des moyens financiers suffisants (28 %).

Source : baromètre des idées reçues sur les personnes âgées, commandité par la Fondation MUTAC et présenté par Odile Peixoto, directrice BVA Santé lors de ce débat des Contrepoints.

 

 


 

Les Contrepoints de la Santé sont des débats mensuels proposé par les journalistes Pascal MaurelPhilippe Leduc et Renaud Degas, également directeur de la Veille Acteurs de Santé.

L’organisation, la captation vidéo et la diffusion de ces débats sont assurés par Françoise MilletNathalie RatelMarine Saboya et Emmanuel They.

Retrouvez toutes les vidéos de ces débats sur Youtube !

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