Points de vue

L’oeil de la rédaction - 24 mars 2021

Les associations de patients, acteurs clé de la communication en santé

La Communication Santé doit-elle vivre au rythme des tendances ? Emission du Festival de la communication ne santé du 18 mars 2021

Plus digitale, plus informative, plus grand public. Telles sont les principales évolutions de la communication en santé ces dernières années, grandement accentuées par la crise sanitaire liée à la Covid-19. La troisième rencontre du Festival de la communication en santé, organisée le 18 mars dernier, met également en exergue le rôle grandissant des associations de patients dans ce domaine.

« Le Festival de la communication santé est l’un des lieux privilégiés, depuis trente ans, de l’observation des tendances de la communication en santé », rappelle, en préambule, Emmanuelle Pierga, membre du comité d’organisation du Festival et directrice du marketing et de la communication de la Compagnie de Télémédecine (1). Parmi elles, figurent l’explosion du digital et le repositionnement du patient voire, au-delà, du grand public, « au centre du discours des communicants alors qu’il a été à sa périphérie pendant des années ».

Des patients au grand public

L’une des raisons à cela est l’essor des associations de patients ou d’usagers du système de santé. « Bien qu’elles aient par le passé souvent été reléguées au second plan par les autres parties prenantes », ces dernières « sont aujourd’hui des acteurs clé dans l’écosystème de la santé« , notent Pauline Blondeau et Audrey Tobola, étudiantes du MBA Communication Santé de l’EFAP et auteures d’une analyse sur le sujet.

« Au nombre de 15 000 rien qu’en France métropolitaine, elles ont des rôles multiples dont les principaux sont rompre l’isolement que peut provoquer la maladie et faire connaître voir reconnaître les affections mal connues. Elles sont un véritable soutien pour les 20 millions de malades chroniques en France », poursuivent les deux étudiantes.

En outre, « elles développent dorénavant leurs propres campagnes de communication signées en leur nom » et destinées non plus « uniquement aux patients mais bien à l’ensemble des Français« .

Des campagnes médias multi-supports

Frédérique Jeske, Directrice générale de la Ligue nationale contre le cancer, confirme. « On ne s’adresse pas seulement aux patients mais à des cibles bien plus larges et majoritairement au grand public », avec des objectifs variés : « la prévention et la promotion des dépistages en passant par l’accompagnement des personnes malades pour rompre leur isolement », « les plaidoyers », « le combat pour les droits des usagers de santé », « changer le regard de la société sur le cancer »

Et ce, à travers des campagnes déclinées dans les médias (télé, radio, presse écrite), autour d’un « slogan fort » et d’ « une image incarnée ». « On développe aussi de plus en plus une communication moins informative et beaucoup plus décalée sur d’autres médias et d’autres supports », tels que les réseaux sociaux, par exemple.

« Une force de frappe très importante »

Il faut dire qu’elles sont devenues un « rouage essentiel dans le système de santé », relève Bruno Erhard, Directeur des affaires publiques et de la communication chez Boehringer Ingelheim France. Nous seulement « leur consultation revêt de plus en plus souvent un caractère obligatoire que ce soit au sein de l’ANSM ou de la HAS » mais elles ont acquis « une force de frappe très importante » en gagnant leur indépendance.

En effet, « pendant longtemps », elles « n’avaient pas le crédit qu’elles méritaient du fait de leurs liens forts avec l’industrie pharmaceutique ». Depuis, avec l’essor des règles de transparence, elles « ne tirent plus leur financement uniquement des acteurs du médicament ».

Ce qui a un impact sur la façon dont elles communiquent, l’enjeu étant de « porter nos messages mais aussi collecter les ressources – dons, legs – qui vont nous permettre d’agir puisque nous dépendons à 100 % de la générosité du public », développe Frédérique Jeske. Une « stratégie d’influence essentielle » pour « transformer la solidarité, la compassion du public en énergie et en moyens pour mener nos combats », « amplifier nos conseils de santé, alerter les médias, donner du volume à nos plaidoyers et, également, mieux communiquer avec les patients », relève-t-elle.

L’impact de la Covid-19

Sur ce point, la pandémie de Covid-19 n’a pas facilité les choses. « Il a fallu se réinventer« , reconnait la directrice générale de la Ligue nationale contre le cancer. En effet, « la communication traditionnelle avec les patients était très souvent ancrée dans les territoires », à la fois « présentielle » et « événementielle ».

Les actions de terrain ayant été stoppées net, « nous avons mis en place une communication digitalisée finalement beaucoup plus riche, que ce soit via l’usage des réseaux sociaux pour transmettre nos messages et échanger, l’ajout de nouvelles rubriques sur notre site internet (témoignages patients, forum, FAQ dédiée aux personnes inquiètes par rapport à la Covid …), l’organisation de conférences vidéo… Nous avons aussi pu nous ouvrir à des cibles beaucoup plus jeunes via des réseaux comme Tik tok ou Instagram pour n’en citer que quelques-uns. »

Autre défi : « empêcher que le cancer ne disparaisse complètement du paysage sanitaire français » et qu’il « puisse rester un enjeu public majeur », glisse Frédérique Jeske.

Tous les acteurs de santé concernés

À noter que l’ensemble de la communication en santé – et pas seulement celle des associations de patients – a dû évoluer face à la pandémie. « Jusque-là, la communication avait une fonction centrale, la vente », en particulier pour les industriels, observe Emmanuel Pierga. « Elle a été laissée de côté avec l’arrivée de la pandémie : l’ensemble des acteurs de santé ont communiqué massivement pour informer, expliquer et accompagner la traversée de cette crise et, pour moi, c’est une tendance qui n’est pas prête de s’arrêter », poursuit-elle.

Un certain nombre d’industriels ont d’ailleurs multiplié webinaires, tutoriels, mini-vidéos et messages sur les réseaux sociaux, à destination des patients comme des professionnels de santé, pour délivrer conseils et informations durant cette période délicate pour la continuité des parcours de soins. Un rôle que les industriels du médicament et du dispositif médical jugent capital et souhaitent voir s’installer durablement.

Une « relation de confiance » avec l’industrie « essentielle »

Au-delà du contexte de crise sanitaire, « une relation de confiance » est nécessaire entre les industries de santé et les associations d’usagers, estime Bruno Ehrard, de Boehringer Ingelheim France. « Nous avons vraiment besoin d’elles car nous n’oublions pas que ce sont les patients qui donnent du sens à notre travail et ceci, au quotidien. Ces associations nous permettent de trouver le ton juste pour parler des pathologies sur lesquels nous communiquons », de « croiser notre expertise médicale et notre compétence scientifique avec l’expérience en vie réelle des patients ». À défaut, « toutes les actions de communication que nous pourrions mener seraient nécessairement déconnectées de la réalité des patients ».

Un dialogue également considéré comme essentiel pour la conception et l’amélioration des produits de santé et des prises en charge« Nous sommes relativement proches d’un certain nombre d’associations d’usagers à la fois nationales et européennes dans les domaines dans lesquels nous intervenons, comme le diabète ou la maladie de Parkinson, pour développer des outils ou des services qui correspondent au mieux aux besoins des patients », évoque ainsi Muriel Doucet, directrice Affaires Publiques, Innovation, Technologies, Digital et Santé au sein du Groupe Air Liquide.

Call centers, sites internet, réseaux sociaux

Au quotidien, « nous avons la chance, au sein de notre entreprise, de pouvoir accompagner les patients chroniques à leur domicile » et ce, notamment, « grâce à nos techniciens et aux infirmières » qui interviennent auprès d’eux pour la mise à disposition et l’utilisation des dispositifs médicaux nécessaires à leur traitement, décrypte-t-elle. « C’est extrêmement précieux » pour ajuster l’offre aux besoins. En complément, « nous démultiplions les dispositifs de communication et de mise en relation » avec les patients, poursuit-elle : call centers, sites internet, réseaux sociaux…

« La Ligue contre le cancer a assez peu d’actions de communication communes avec l’industrie, même si, évidemment, des projets existent, tant à l’échelle nationale que locale, notamment sur des sujets de prévention, de dépistage etc », évoque, de son côté, Frédérique Jeske. Insistant sur l’importance de l’éthique, elle rappelle que de tels partenariats, quels qu’ils soient, doivent « avoir du sens, un impact positif majeur » et être menés « dans l’intérêt supérieur des personnes malades ».

Et de citer l’exemple des Espaces de rencontres et d’information (ÉRI), des « lieux d’accueil pour les personnes malades au sein des établissements santé » mis en place il y a plusieurs années par la Ligue en partenariat avec Sanofi.

Évolution du dialogue soignant-soigné

À noter que les associations de patients deviennent également des interlocuteurs privilégiés des professionnels de santé. Lucien Bennatan, pharmacien d’officine, explique ainsi que le Groupe Pharmacie Référence, qu’il préside, a travaillé avec l’association Vaincre la mucoviscidose ou encore, Familles rurales. « Grâce aux relations que nous avons pu entretenir avec ces associations »« nous avons, par exemple, réussi à mettre au point des référentiels qualité pour l’exercice professionnel de nos pharmaciens », adapté des entretiens pharmaceutiques, « anticiper certains besoins »…, détaille-t-il.

Des échanges précieux pour recueillir l’expertise de ces associations mais aussi « stimuler le rôle du groupement » et celui « du pharmacien dans le système de santé », souligne Lucien Bennatan : « participer à l’acceptation de la maladie et à l’adhésion aux traitements »« développer la prévention », renforcer « la personnalisation de la relation et des soins »… Les pharmaciens se sont d’ailleurs adaptés pour faciliter le dialogue avec les patients en officine, avec la mise en place « de corners », d’espaces dédiés pour la réalisation des entretiens pharmaceutiques ou encore, la télémédecine, note-t-il.

« Être patients, ce n’est pas non plus être professionnels de santé. »

« Il faut de plus en plus intégrer la voix des patients aux enjeux de la santé, conclut Frédérique Jeske, directrice générale de la Ligue nationale contre le cancer. Nous avons vraiment besoin que les causes de la santé publique soient incarnées et que nos actions puissent vraiment répondre aux besoins des personnes malades. C’est pour cela que nous diffusons de plus en plus la parole de témoins de la maladie. » Et ce, « tout en restant très vigilants parce qu’il faut pas oublier qu’être patients, ce n’est pas non plus être professionnels de santé ». 

La troisième rencontre du Festival de la communication en santé, organisée le 18 mars 2021

 


(1) L’intégralité des propos de cet article ont été recueillis à l’occasion de la rencontre « La Communication Santé doit-elle vivre au rythme des tendances ? », organisée par le Festival de la communication en santé et co-animée par Pierre Choppin, Responsable marketing client chez Boehringer Ingelheim, Co-Directeur du MBA Communication Santé de l’EFAP, et Eric Phélippeau, Vice-Président du Festival de la Communication Santé. Une rencontre dont nous étions partenaires média.

 

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