L’Union nationale des professions de santé (UNPS) fête, cette année, ses 20 ans. Créée dans la loi portant réforme de l’Assurance Maladie de 2004, cette organisation « en pleine reconquête » regroupe désormais 23 syndicats de professionnels de santé libéraux. L’occasion pour Sébastien Guérard, son président depuis 2023, d’évoquer les sujets à l’ordre du jour : affaiblissement syndical, rénovation du système conventionnel ou encore organisation des soins de ville.
Propos recueillis par Renaud Degas avec Géraldine Bouton
Comment se porte l’UNPS ?
Sébastien Guérard : Bien qu’elle ait déjà 20 ans, on peut dire qu’elle est en pleine éclosion. Rappelons-nous : en 2004, sa création avait été diversement accueillie. Certaines organisations syndicales l’ont perçue à l’époque comme une concurrente. Ce courant de pensée a longtemps affaibli l’UNPS. Mais la donne est en train de changer et nos pratiques aussi.
C’est-à-dire ?
S.G. : Depuis quelque temps, nous avons fait le pari de travailler non plus à partir du plus petit dénominateur commun aux organisations syndicales représentées au sein de l’UNPS, mais du plus grand !
Pour cela, il a fallu changer les statuts et le règlement intérieur de l’institution. Ce qui a été fait. Désormais, les décisions ne sont plus prises à l’unanimité mais avec une majorité forte, ce qui nous permet d’avancer sur un certain nombre de sujets qui étaient bloqués jusqu’ici.
Nous sommes donc en train de reconquérir notre place. Cela implique également d’aller au-devant des acteurs politiques dont beaucoup ignoraient, il y a encore peu, l’existence et la fonction de l’UNPS. Nous le faisons avec volontarisme, car nous estimons que cette représentation interprofessionnelle est absolument essentielle pour l’organisation des soins de ville.
Il s’agit de l’intérêt des patients comme celui des professionnels de santé libéraux : il faut prendre cette place, sans quoi les choses s’organiseront sans nous. Or nous sommes dans une période qui nécessite des transformations radicales. D’ici 2050, la population des plus de 85 ans va être multipliée par cinq pour atteindre les cinq millions. Il y aura de plus en plus de personnes âgées, des maladies chroniques, et il faudra y faire face à moyens humains et financiers constants. Il va donc falloir être inventif.
Avez-vous le sentiment d’être dorénavant consulté et écouté par les pouvoirs publics ?
S.G. : Les organisations syndicales ne disposent pas de tous les leviers pour transformer l’organisation des soins de ville. Prenons le sujet de la représentativité professionnelle. C’est l’un des tous premiers chantiers de l’UNPS depuis sa création. Or, au cours des deux derniers quinquennats, la place confiée aux organisations syndicales a été délétère.
Les pouvoirs publics ont certes continué à convier les syndicats à leur table, mais ils ont aussi pris l’habitude de consulter les coordinations et autres collectifs, arguant de vouloir entendre tout le monde. Nous dénonçons cette pratique qui contribue à l’affaiblissement des syndicats représentatifs. Alors que ces derniers prennent leurs responsabilités et contribuent, via la signature de conventions avec l’Assurance Maladie, à l’amélioration de notre système de santé, ils se voient affaiblis par des mouvements de pure contestation qui n’ont rien à perdre et n’ont pas à s’engager par leur signature.
Nous estimons également que, depuis leur création, les Unions régionales des professionnels de santé (URPS) contribuent à balkaniser la représentation syndicale. Nous devons proposer des réformes pour éviter d’affaiblir nos syndicats qui sont des outils de dialogue indispensables entre les autorités et les professionnels de santé libéraux au service du système de soins et de la prise en charge des patients.
Quelles sont vos pistes de réformes ? Faut-il s’orienter vers un système d’adhésion plus incitatif ?
S.G. : Cette piste n’a pas été mise sur la table des discussions au sein de l’UNPS. Mais cette possibilité, qui veut que dès lors qu’un nouveau contrat conventionnel est signé, seuls les adhérents bénéficieraient des avantages et des contraintes consenties, me semble intéressante. Elle changerait considérablement le regard des professionnels de santé sur la représentation syndicale. Pour redonner du sens au vote, il faut que les gens comprennent pourquoi ils votent.
Il faut également que les règles du jeu changent. Aujourd’hui, la représentativité s’appuie essentiellement sur les résultats d’une élection, celle des URPS : les représentants sont élus dans les régions pour travailler avec les ARS, mais les résultats de ces élections conditionnent également le pouvoir des syndicats de signer des conventions nationales. Tout cela génère une forme d’incompréhension chez les professionnels de santé.
Il faut donc travailler sur le sujet. L’une des pistes est de calquer le mode de désignation sur ce qui se passe pour l’UNPS, à savoir que les syndicats représentatifs désignent leurs représentants au sein des URPS. Et l’on conserverait le mode électif pour les représentants au sein des Commissions paritaires départementales créées dans chaque CPAM. La somme de ces élections sur le territoire permettrait de déterminer la représentativité nationale des syndicats. Je pense que cela aurait du sens, car les professionnels de santé connaissent leurs représentants auprès de la Sécurité sociale et savent que c’est là que se négocient les conventions.
Ce projet largement partagé par les organisations membres de l’UNPS était en discussion avec la Direction de la Sécurité sociale. Mais l’agenda politique des derniers mois a bousculé le tempo. Je ne pense pas que nous pourrons défendre cette initiative avant l’année prochaine. L’objectif serait de voir ce projet aboutir avant les prochaines élections des URPS en 2026. Mais le moins que l’on puisse dire est que nous ne sommes pas maîtres du calendrier !
De façon très concrète, l’UNPS a œuvré pour faire émerger le projet des Équipes de soins coordonnés autour du patient (Escap). Quelle a été votre action ?
S.G. : Nous avons réussi à porter ce projet dans le giron conventionnel, à travers le dernier avenant à l’Accord-cadre interprofessionnel (ACIP), afin de lancer l’expérimentation. Le projet Escap montre que les lignes bougent. Il montre aussi qu’il faut aller vers une rénovation du système conventionnel.
Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à dire qu’il faut sortir de ce mode de fonctionnement en silo. Il faut réformer pour remettre un cadre interprofessionnel plus fort, y compris sur les modes de tarification. Un même acte n’est pas rémunéré de la même manière selon le professionnel de santé qui le réalise ! Ce n’est plus acceptable et c’est un véritable frein à l’évolution de notre système de santé. Une grande majorité des membres de l’UNPS s’accordent sur ces sujets.
…Y compris sur le sujet de l’évolution du périmètre de chaque profession de santé ?
S.G. : Notre séminaire annuel, qui s’est déroulé les 5 et 6 décembre derniers, portait sur ce thème. Nous nous intéressons, entre autres, à la construction juridique de nos métiers et au Code de la santé publique.
Ne faudrait-il pas repenser le monopole médical du diagnostic et du traitement ? Si nous ne réfléchissons pas à cela, la tutelle inventera de nouveaux modèles sans nous. Nous en mesurons déjà les effets indésirables avec les patients qui, faute d’avoir accès à un médecin, se tournent de plus en plus vers les médecines alternatives.
Ces réflexions nous poussent également à être très attentifs sur le sujet du rapport des jeunes générations de professionnels avec l’exercice médical.
Se pose également la question des modes d’exercice. Avez-vous des propositions sur ce sujet ?
S.G. : J’ai pris contact auprès de l’ensemble des fédérations, notamment hospitalières. Car si nous souhaitons décloisonner, il faut que l’on se parle et que l’on institutionnalise nos relations. C’est notre projet pour 2025. Comment envoyer des professionnels libéraux à l’hôpital ? Comment l’hôpital peut-il sortir de ses murs ?
L’hospitalisation à domicile est une première réponse. Il faut d’ailleurs en finir avec l’opposition systématique du modèle libéral à celui des MSP, des CPTS… Tout comme il faut cesser d’ériger un rapport de force entre les fédérations qui les représentent et les syndicats. Elles ont leur mot à dire lorsqu’un accord conventionnel les impliquant est négocié. Pour autant, peuvent-elles prétendre représenter les professionnels de santé qui exercent en leur sein ? C’est un biais dangereux.
Le devoir de l’UNPS est de réussir à rassembler tout le monde pour travailler sur des projets communs, notamment sur le sujet conventionnel, sans trahir ce que doit être la représentation des professionnels de santé.
Quel sera le message porté lors de la célébration de ses 20 ans, le 16 décembre ?
S.G. : Ce moment se déroule au Sénat, ce qui n’a rien d’anodin. Le Sénat, c’est la valeur refuge du temps politique que nous vivons en France, celle des territoires. Ensuite, nous avons souhaité associer à nos tables rondes l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (Uncam) et l’Union nationale des complémentaires santé (Unocam), des entités créées en même temps que l’UNPS par la loi de 2004.
L’Uncam a longtemps pris le dessus. Mais aujourd’hui, il faut rétablir un juste équilibre entre ces trois organisations.
Comment allier nos forces pour faire mieux avec des moyens mieux contrôlés ? Le temps politique est long, mais il faut aller vite. Reste donc à trouver les politiques qui auront le courage d’agir avec nous. J’ai bon espoir que notre volonté d’agir et d’avancer nous permettra de trouver des relais politiques efficaces.