Consultant en communication santé, Damien Dubois est également le fondateur de l’association Aider à aider, une association d’appui aux associations de patients et à ceux qui veulent travailler avec elles. Un parcours nourri par son propre vécu de patient. Pour La Veille, il revient sur l’évolution de l’implication des patients dans le système de santé : qui sont-ils aujourd’hui, quels sont leurs profils, leurs motivations, leurs modes d’actions.
Propos recueillis par Renaud Degas avec Géraldine Bouton
Vous avez une double casquette, celle de communicant en santé et président de l’association Aider à Aider. Quel a été votre parcours?
Damien Dubois : J’ai connu la maladie à l’âge de 15 ans. J’ai voulu apporter mon aide aux autres patients en me rapprochant du monde associatif. Je me suis également engagé en témoignant de ce que j’avais vécu, en créant avec d’autres ados et jeunes adultes, Jeunes Solidarités Cancer, en 1998, puis Aider à Aider, en 2014.
J’ai longtemps déconnecté ma vie professionnelle de journaliste de ma trajectoire de patient. Mais j’ai fini par faire la synthèse des deux. J’ai bifurqué vers la communication et intégré ma maladie à mon parcours professionnel tout en veillant à ne pas en faire une bannière. Aujourd’hui, je me positionne comme un facilitateur qui œuvre pour la co-construction et la coopération entre les différents acteurs de la santé, notamment les représentants de patients.
Vingt ans après la promulgation de la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, quel regard portez-vous sur l’évolution de l’implication des patients dans le système de santé?
D. D. : L’évolution a été très rapide entre le début des années 1990 où plusieurs associations se sont mobilisées autour du Sida, et la fin de cette même décennie où se sont tenus les États généraux des malades du cancer puis les États généraux de la santé. Pour la première fois, nous, les patients, prenions la parole. Tout ce contexte a favorisé une dynamique associative d’ampleur. Sur le terrain, il y avait d’importants besoins pour informer et aider les patients sur leurs conditions de vie…
Au fil du temps, ces associations ont repensé leurs moyens pour agir plus largement. Des patients ont commencé à réfléchir, au-delà de leur pathologie, au fonctionnement du système de santé qui les prenait en charge. Petit à petit, des institutions comme la Haute autorité de santé (HAS) ou encore l’Institut national du cancer (INCa) ont mobilisé les associations pour réfléchir, dans un esprit de co-construction, aux différents plans Cancer notamment. L’idée que les patients ont leur place dans ces travaux a fait son chemin.
Quels sont aujourd’hui les rapports entre ces patients engagés, les professionnels de santé et les institutions?
D. D. : Il y a une reconnaissance et une écoute. Au départ, le patient engagé était sollicité pour raconter son histoire. Le témoignage est très utile notamment pour porter un message de sensibilisation. Aujourd’hui, une partie des patients sont en capacité de puiser dans leur parcours pour nourrir une réflexion. Ces profils qui ont une assise et une compétence ont acquis une légitimité auprès des ministères, des agences.
La mise en place de formations reconnues comme celle de l’Université des patients en 2010, a contribué à cette transition. Cependant, un travail est encore à mener auprès notamment de certains médecins qui restent sur l’image du patient en souffrance. L’évolution viendra probablement de la formation. Des patients formateurs interviennent déjà dans certaines universités pour sensibiliser les futurs professionnels de santé à tout ce que peut apporter le patient engagé.
Justement, quelles sont les relations des associations de patients avec la médecine de ville, notamment les acteurs du premier recours?
D. D. : Les échanges sont riches. Par exemple, les patients ont été intégrés dans les réflexions autour des virages ambulatoires et numériques. Par ailleurs, depuis la crise sanitaire qui fut un moment de recul significatif pour la démocratie sanitaire, une dynamique est à l’œuvre à travers des collectifs d’intérêt comme Action patients. Né d’un échange informel durant la Covid autour de la continuité des soins, il réunit aujourd’hui une vingtaine d’associations qui mène de concert un plaidoyer sur les pertes de chance. Ils ont engagé de nombreuses discussions avec les professionnels de santé du premier recours.
Autre exemple, le collectif Pour un nouveau Grenelle de la Santé a associé, dès sa création en 2023, patients et professionnels de santé exerçant en ville et à l’hôpital. Globalement, les professionnels de santé comprennent tout l’intérêt de travailler avec le patient. En témoigne la tenue d’un quatrième colloque « Partenariat de Soin avec les patients », fin septembre, en amont duquel le collectif Grenelle va organiser une demi-journée « Vers un pacte citoyen en santé ».
Quel est aujourd’hui le profil du patient engagé ?
D. D. : Les profils comme les niveaux d’engagement sont variés et ont beaucoup évolué avec la formation, l’essor du numérique… Par exemple, Catherine Cerisey, qui fut une pionnière sur le web avec son blog Après mon cancer du sein, est aujourd’hui consultante et enseigne la perspective patient. Globalement, il y a les patients qui veulent en savoir plus sur la maladie, ceux qui ont envie d’agir sur le terrain et sont formés à l’écoute. Certains souhaitent s’inscrire dans une démarche plus structurée.
Et certains patients changent de métier pour se consacrer à l’accompagnement des différents acteurs, participer aux groupes de travail institutionnels… Ils se forment ou s’appuient sur leurs parcours professionnels et personnels. La plateforme « Les patients s’engagent », portée par « Aider à Aider » qui met en lumière les initiatives portées par les patients, montrent cette diversité. Parmi les témoignages, une patiente sollicitée pour évaluer une application raconte qu’elle a fini par être engagée comme patiente partenaire de l’entreprise.
Au-delà du volet institutionnel, les patients peuvent aussi agir sur les outils. N’oublions pas non plus ceux qui œuvrent en tant que représentants des usagers. Il faut donc bien faire le distinguo entre le patient qui vit sa maladie et celui qui veut s’engager pour la cause.
Quelles sont les perspectives pour les patients engagés dans le système de santé?
D. D. : Il faut poursuivre le travail de pédagogie auprès des acteurs de la santé et la réflexion sur la structuration de cet engagement tout en évitant de tomber dans le piège du cercle de patients initiés au regard de la disparité des situations, des niveaux de sensibilisation. Quelles missions peuvent donner lieu à une rémunération ? Quelle formation pour quelles missions ? Il est essentiel de se questionner sur la place du patient engagé. Cette évolution n’a que 30 ans face à des siècles de médecine !