Points de vue

L’oeil de la rédaction - 9 juillet 2024

« À force de ne pas tenir compte de nos appels, la France passe à côté d’opportunités en termes d’innovation »

Veille Acteurs de Santé_ITW Hubert Mechin_Président AFCROs_Site

L’Association des entreprises de la recherche clinique (AFCROs) a lancé, mi-juin, un appel pour alerter les pouvoirs publics sur les nombreuses « incohérences administratives » qui freinent l’accès à l’innovation en santé. Simplification des procédures, transparence de l’information, valorisation des centres investigateurs… Le Dr Hubert Méchin, président de l’AFCROs, détaille les mesures qui pourraient « restaurer l’attractivité » de la recherche clinique en France.

Propos recueillis par Renaud Degas, avec Géraldine Bouton

 

Quel contexte vous amène aujourd’hui à lancer un appel pour sauver la recherche clinique française?

Hubert Méchin : La France a perdu une, voire deux places dans le palmarès européen de la recherche clinique, alors qu’elle occupait depuis longtemps la place de leader. Cela fait des années que nous réclamons, entre autres, une simplification des démarches administratives. Ces dernières, par leur lourdeur et leur temporalité, représentent un sérieux frein à l’innovation. De plus en plus d’essais cliniques français sont menés en dehors du territoire. Notre dernier baromètre* montre que le nombre d’études cliniques à promotion industrielle a chuté d’environ 40 %. Seules les études à promotion académique permettent encore de maintenir le volume de la recherche clinique en France, tout comme les études issues des fabricants de dispositifs médicaux. Globalement, la tendance n’est pas positive.

Notre appel fait écho aux études et rapports déjà publiés par le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, l’Académie de médecine, Les entreprises du médicament, et bien d’autres acteurs de l’écosystème. À force de ne pas tenir compte de nos appels, la France passe à côté d’opportunités en termes d’innovation. C’est très pénalisant pour les patients qui, de ce fait, ne peuvent bénéficier d’un accès rapide et pérenne à de nouveaux traitements, dispositifs médicaux ou stratégies thérapeutiques.

 

Concrètement, quels sont les impacts sur la recherche clinique ? Les autres pans de la recherche sont-ils concernés ?

H.M. : La recherche clinique comme les études en vie réelle sont impactées. À titre d’exemple, le pays possède la plus grosse base de données au monde avec le Système national des données de santé et ses 67 millions de patients ! C’est un atout majeur, mais il faut attendre entre 12 et 18 mois pour pouvoir signer la convention avec l’Assurance maladie qui nous permettra de récupérer les données, alors que nous avons toutes les autorisations nécessaires de la CNIL.

Ces délais sont souvent incompatibles avec les besoins et les enjeux des recherches menées. Ce qui amène d’ailleurs certains laboratoires à se tourner vers d’autres pays. Les études à partir de données en vie réelle rencontrent également la problématique de l’interopérabilité entre les systèmes d’information. Il y a énormément de logiciels différents en ville et à l’hôpital. Tout cela vient compliquer l’extraction et l’analyse de ces données qui sont produites au moment du soin.

 

Sur quels leviers agir ?

H.M. : D’abord, il est impératif de simplifier et réviser les textes législatifs pour faciliter la mise en œuvre des études. Nous appelons les autorités de santé, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et les Comités de protection des personnes, à un respect des délais réglementaires de revue des projets d’étude avec notamment un engagement de délais plus courts en cas d’étude de phase précoce. Ensuite, concernant le SNDS, il faudrait, par exemple, donner un accès direct au SNDS avec une mise à disposition temporaire d’une copie du SNDS pour les porteurs de projets travaillant depuis plusieurs années sur ces données.

 

Au-delà de la simplification des démarches, quelles sont les autres mesures envisageables ?

H.M. : Il faut travailler sur les centres investigateurs pour les valoriser et renforcer leur efficacité. La signature d’un contrat avec un hôpital prend trois fois plus de temps que dans bon nombre de pays. Là encore, simplifions la grille de financement pour la recherche clinique pour gagner en efficacité et éviter de recourir à des ressources. Cela pourrait passer par l’application d’un forfait, par exemple.

Il faudrait également valoriser financièrement les centres et les médecins investigateurs en fléchant des crédits des Missions d’enseignement, de recherche, de référence et d’innovation vers les plus investis. Il est nécessaire de sensibiliser, former et informer les médecins investigateurs aux enjeux de la recherche clinique. Enfin, il faut plus de transparence sur les essais cliniques pour combler le fossé entre chercheurs et patients. Le développement du projet de base de données ECLAIRE qui recense les essais cliniques afin qu’une plateforme d’information à destination des patients et des associations de patients soit disponible au niveau national doit être mené à son terme rapidement.

 

Focus sur les entreprises de la recherche clinique

L’AFCROs, association française des CROs (pour Clinical Research Organisations), a été créée en 2002. Elle compte aujourd’hui une centaine de membres, des entreprises de services et de conseil œuvrant dans le domaine de la recherche biomédicale pour les promoteurs académiques et privés d’études cliniques, pour l’industrie pharmaceutique, biotechnologique et du dispositif médical. www.afcros.com

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