Points de vue

L’oeil de la rédaction - 2 mai 2024

« Être infirmier, aujourd’hui, c’est quoi ? » (Interview)

Veille Acteurs Santé_John Pinte_Sniil_Site

Le Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil) et le collectif des infirmiers libéraux en colère ont lancé ensemble un appel à « mobilisation unitaire » le 19 mars puis le 4 avril. L’objectif ? Demander l’ouverture « en urgence de négociations conventionnelles ». John Pinte, Président national du Sniil, nous en dit plus sur ce rapprochement, sur leurs revendications ainsi que sur la suite de leur mobilisation.

 

Quelles raisons ont poussé le Sniil et le collectif à se rapprocher ?

John Pinte : Nous sentons, depuis plusieurs mois voire années, une colère qui gronde au sein de la profession. Dégradation des conditions de travail, manque de perspectives sur l’avenir… les infirmiers et, notamment, les infirmiers libéraux que nous représentons, ont le sentiment d’être oubliés des politiques de santé, même si cela n’est pas tout à fait juste puisqu’en réalité, ils ont récemment obtenu l’extension de leurs compétences vaccinales, été inclus dans les rendez-vous de prévention aux âges clés de la vie, été autorisés à signer des certificats de décès en lieu et place des médecins sur l’ensemble du territoire

Ceci étant, l’inflation pèse fortement sur nos exercices. De plus, le fait que les pouvoirs publics pensent beaucoup à notre profession – M. Frédéric Valletoux a d’ailleurs annoncé, mi-avril, vouloir confier davantage de tâches aux infirmiers en créant notamment une consultation infirmière – fait, je pense, que nous ne savons plus très bien, aujourd’hui, ce pour quoi nous sommes faits.

Être infirmier, aujourd’hui, c’est quoi ? Et vers quoi allons-nous demain ? De nombreuses questions se posent, sans compter que nous partageons de plus en plus d’actes et de compétences avec d’autres professions, comme les pharmaciens. Nous avons ainsi ce sentiment de perte de sens. Nous comptions sur la réingénierie de notre métier, promise pour 2023, pour savoir ce vers quoi nous allons, repenser nos compétences et notre expertise, ouvrir des négociations qui incluraient des mesures de compensation de l’inflation… Elle a toutefois été repoussée et n’est toujours pas finalisée à ce jour.

Nous avons des revendications, mais nous n’avons pas l’impression qu’elles sont entendues. Le collectif, lui, a cette possibilité de mobiliser la profession, tout ayant en conscience de la nécessité de s’appuyer sur un syndicat représentatif de la profession qui, seul, a la possibilité de négocier avec l’Assurance maladie. Le collectif nous a ainsi contactés fin février et, après quelques jours de discussions, nous avons trouvé un terrain d’entente sur un certain nombre de sujets à défendre.

 

De quels sujets s’agit-il ?

J.P. : Nous souhaitons l’ouverture de négociations en urgence afin de trouver un accord avec la CNAM pour compenser l’impact de l’inflation en revalorisant les lettres-clés infirmiers qui n’ont pas évolué depuis 2009 puis, dans un deuxième temps, d’obtenir des avancées sur notre métier et nos compétences, en lien avec la réingénierie de la profession en cours, ainsi que la revalorisation de nos actes.

En parallèle, nous demandons l’ouverture de travaux sur la reconnaissance de la pénibilité de notre métier et sur les simplifications à apporter afin de retrouver une qualité de vie au travail. Il y a également urgence à redonner du sens à la profession et à la rendre plus attractive. Les infirmières et infirmiers libéraux doivent retrouver de la quiétude dans leur exercice quotidien. Le système de santé ne peut pas se payer le luxe de voir notre profession disparaître à petit feu dû à l’épuisement et au découragement, alors que nous sommes les rares professionnels à encore nous rendre au domicile des patients.

 

Où en est le mouvement aujourd’hui ?

J.P. : Le 4 avril, une délégation du Sniil et du Collectif des infirmiers libéraux en colère a été reçue au Ministère de la Santé. Nous avons pu échanger avec un conseiller du ministre pendant près d’une heure, puis avec Frédéric Valletoux. Nous avions déjà rencontré le ministre, quelques jours après sa nomination. Nous avons, eu le sentiment qu’il prenait conscience qu’il y avait urgence à agir même si, évidemment, pour les instances, la notion « d’urgence » consiste plutôt en du « moyen terme ».

Monsieur Valletoux nous a informé vouloir, dans un premier temps, achever le travail de la réingénierie de notre métier – un chantier qui devrait être terminé pour l’été, selon lui – et entamer des négociations sur des mesures tarifaires permettant de compenser l’inflation.

En parallèle, le ministre nous a proposé de travailler à la redéfinition de nos compétences et à la revalorisation de nos actes, l’objectif étant de préparer des négociations tarifaires qui pourraient se tenir fin 2024 ou début 2025 (1). Des délais qui restent difficiles à entendre pour la profession, car il y a toujours des craintes qu’ils soient, in fine, encore repoussés… mais nous avons néanmoins senti une volonté de faire évoluer les choses. Concernant la pénibilité du métier, Frédéric Valletoux s’est engagé à obtenir rapidement un retour de l’Igas afin de pouvoir avancer sur ce sujet et notamment sur l’aménagement de la fin de carrière.

Le Sniil a ensuite réitéré ses demandes le 5 avril lors d’une rencontre avec Cécile Lambert, conseillère auprès du Premier Ministre. Nous avons également porté nos revendications auprès de la Cnam, qui à l’issue d’une réunion de cadrage organisée le 18 avril, a officiellement lancé des groupes de travail dans quatre domaines :

  • la clarification des règles et modalités de contrôle des indus, indispensable à nos yeux pour réduire la pression morale et administrative qui pèsent sur les épaules des infirmiers libéraux ;
  • le cadrage des actes associés au Bilan de soins infirmiers (BSI) et patients lourds, travaux dans le cadre desquels nous souhaiterions voir revaloriser le forfait journalier pour la prise en charge des patients les plus dépendants ;
  • les nouvelles compétences des infirmiers (application de la loi Rist, infirmier référent, permanence des soins ambulatoires) ;
  • et, enfin, la transition écologique et la réduction du gaspillage de médicaments ou de dispositifs médicaux (pansements,…).

Nous discutons désormais de nouvelles actions communes avec le collectif. Nous tenons à obtenir des avancées le plus rapidement possible.

(1) Parmi les actes les plus courants non revalorisés depuis plusieurs années figurent, par exemple, les pansements simples (6,30 € ) ou encore, l’injection intra-musculaire (4,50 €).

 

Ajouter un commentaire