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Paroles de partenaires - 22 avril 2024

Jumeaux numériques : tout savoir sur une révolution qui va changer la donne en santé (Interview)

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Jumeaux numériques : ce concept est né comme un fantasme, suscitant espoirs ou craintes. Aujourd’hui, c’est devenu une innovation qui porte de grandes attentes en termes de recherche et d’innovation dans de multiples domaines de la santé et un marché prometteur qui attire de nombreux investissements. Caroline Philippe, Directrice Générale de Qualees – un CRO (Contract Research Organisation) qui s’est lancé dans la création d’un générateur de jumeaux numériques – fait le point sur les nombreuses questions et interrogations soulevées par le développement de ce type d’outils.

Propos recueillis par Camille Grelle (Agence de presse Pi+)

 

On parle de plus en plus de jumeaux numériques. Mais qu’est-ce que c’est, concrètement ?

Caroline Philippe :  La définition de ce terme est assez protéiforme car elle adresse un certain nombre de cas d’usages différents, en santé comme dans d’autres domaines. Mais si l’on essaie de simplifier, on appelle jumeau numérique la réplique numérique, précise et dynamique d’un objet, d’un système ou d’un processus, fondée sur et alimentée par des données réelles. Ces dernières peuvent être multi-sources. La réplication est réalisée grâce à des modèles informatiques et des algorithmes qui reproduisent les caractéristiques, les comportements et les interactions du système réel.

L’objectif d’un jumeau numérique est de permettre à l’utilisateur final de simuler et tester des scénarios dans un environnement virtuel avant de les appliquer au monde réel. En un mot, le jumeau numérique permet de comprendre, de surveiller et d’optimiser des systèmes physiques.

 

Dans quelles applications peuvent-ils être utiles aux professionnels de santé ?

C.P. : Cela adresse des problématiques très variées en fonction du besoin de l’utilisateur final. Comme cela offre des perspectives assez révolutionnaires dans le domaine de la recherche, de la personnalisation des traitements et de l’optimisation des coûts, cela peut s’adresser aux professionnels de santé, médecins et cliniciens, notamment pour simuler des procédures médicales et des interventions chirurgicales.

Le jumeau numérique présente également un intérêt certain pour les chercheurs car cela permet de modéliser des processus biologiques complexes, par exemple pour simuler la manière dont un médicament va se lier à un récepteur cellulaire spécifique dans le cadre d’un traitement particulier ou pour reproduire l’effet d’un médicament sur la croissance d’une tumeur. Cela peut également être utilisé pour optimiser les traitements existants, par exemple en testant différents types de doses et de schémas posologiques, ou pour mieux comprendre les mécanismes sous-jacents des maladies et mutations génétiques.

Enfin, le recours aux jumeaux numériques est également intéressant en termes de formation des professionnels de santé – étudiants et praticiens – pour créer des environnements virtuels et créer des scénarios cliniques afin qu’ils s’entraînent.

 

D’un point de vue plus macro, les jumeaux numériques peuvent-ils également avoir un rôle à jouer en matière de santé publique ?

C.P. : Oui, ils peuvent être particulièrement utiles en épidémiologie en permettant de modéliser la propagation des maladies mais aussi d’évaluer l’impact des interventions dont les campagnes de vaccination ou les mesures de distanciation sociale, par exemple. En optimisant les interactions entre les autorités de santé et les établissements de santé, l’utilisation de jumeaux numériques permet de prendre des décisions éclairées pour contrôler les épidémies et réduire la propagation des maladies infectieuses.

A une échelle plus réduite, ils sont également précieux pour les planificateurs et gestionnaires d’établissements de santé, en leur permettant de simuler des hôpitaux virtuels en intégrant les différents services, les flux de patients, etc. et ainsi, de tester différents types d’interventions et d’hypothèses pour trouver la meilleure réponse en fonction d’une situation précise sans avoir à le faire en vie réelle. Et c’est également vrai pour le développement de vaccins, de médicaments ou de dispositifs médicaux.

 

Justement, quelles sont les opportunités pour les acteurs pharmaceutiques et du dispositif médical ?

C.P. : Le jumeau numérique s’adresse évidemment à toutes les entreprises qui commercialisent des produits de santé car cela offre des avantages significatifs en termes de recherche et développement pour optimiser les processus de production, améliorer les formations en interne et les supports techniques, personnaliser les produits sur le versant marketing en fonction des besoins des patients. C’est également un vecteur de valorisation de leur patrimoine de données afin de fiabiliser la prise de décisions éclairées fondées sur des données. Tout cela leur permet de gagner en compétitivité et de fournir des solutions innovantes et efficaces.

L’apport du jumeau numérique se situe tant en amont de l’obtention d’autorisation de mise sur le marché (AMM) qu’en aval pour confirmer l’efficacité et la tolérance d’un produit en vie réelle. Les jumeaux numériques peuvent être utilisés pour réaliser des études virtuelles ou prédire les résultats d’un essai clinique. Par conséquent, les fabricants réduisent les coûts, les risques et les délais associés aux études dites traditionnelles, voire de lancer une étude clinique en vie réelle… ou pas.

Par ailleurs, le jumeau numérique peut également avoir un intérêt pour simuler le comportement des consommateurs, évaluer l’impact de la stratégie de marketing et identifier les tendances du marché et les demandes des consommateurs. Ce qui, d’ailleurs, n’est pas propre au domaine de la santé mais est utilisé dans de nombreux autres domaines comme l’urbanisme et l’aménagement de territoire, l’éducation, la formation, la défense nationale, etc.

 

Reste une question de cadre réglementaire…

C.P. : En effet, même si le jumeau numérique permet de tester de manière virtuelle très rapidement un grand nombre d’hypothèses différentes, le cadre réglementaire actuel nécessite de confirmer ces hypothèses in silico en vie réelle, sur le terrain. Mais cela évolue et les autorités sont ouvertes sur la question, moyennant d’apporter la preuve que les résultats sont aussi fiables qu’une étude de terrain.

En attendant, il va falloir encore un peu de temps pour que l’inscription ou la réinscription de produits de santé se fondent sur la seule base des études virtuelles. En revanche, elles ont d’ores et déjà un véritable apport en pré-AMM pour travailler sur une population synthétique et lui appliquer des modèles de pharmacologie afin de prédire l’efficacité et la tolérance d’un traitement par exemple.

 

Et qu’en est-il du jumeau numérique d’un patient ? Est-ce l’avenir de la médecine personnalisée ou de précision ?

C.P. : Précisons tout d’abord que créer un jumeau numérique d’un patient complet relève un peu du fantasme ou du mythe car ce sont des processus bien trop complexes à modéliser. Cependant, en prenant en compte certaines dimensions en particulier (données génétiques, antécédents médicaux, données physiologiques), on peut créer un jumeau numérique personnalisé ouvrant la voie à une prédiction fiable notamment en termes de réponses individuelles à un traitement, d’optimisation de thérapeutiques et de prises de décisions adaptées à chaque patient… Toujours en prenant les précautions nécessaires puisque l’on reste dans une représentation simplifiée d’un patient.

Le jumeau numérique peut également s’avérer précieux dans la prévention et le suivi, en temps réel, de l’état et des constantes du patient, notamment dans le cadre hospitalier.

 

Dans la mesure où cette notion de jumeau numérique repose sur les données de santé, celles-ci ont évidemment un rôle central. Quels sont les enjeux ?

C.P. : Le jumeau numérique repose sur le couple données – intelligence artificielle. Par conséquent, la qualité des données est un enjeu majeur dans la création des jumeaux numériques : la précision et la fiabilité des modèles en dépendent. Dans le domaine du Healthcare en particulier, on dispose d’une multitude de données existantes : données hospitalières, registres, cohortes, essais cliniques, etc. La difficulté réside dans la possibilité de les exploiter de manière fiable pour pouvoir prendre les bonnes décisions stratégiques, dans un environnement complexe.

A cela s’ajoutent des problématiques d’accès, d’interconnexion entre des données multi-sources, de précision, de représentativité. En effet, si l’on veut modéliser virtuellement quelque chose de fiable, il faut que les données du système réel duquel on part soient les plus représentatives, exactes, exhaustives possibles.

Il peut également y avoir des questions de volumétrie ou de structuration entre des bases de données hétérogènes. Un autre sujet concerne la sécurité, la confidentialité et la sensibilité des données de santé qui sont utilisées. Enfin, la question des biais et des hallucinations des systèmes et algorithmes se pose également. C’est d’ailleurs pour s’affranchir de ces problématiques de volumétrie, de structuration et de biais que nous avons développé TweenMe qui fait appel aux dernières technologies en matière d’IA (lire ci-dessous).

 

Aujourd’hui, ces données sont-elles disponibles et exploitables ?

C.P. : Cela varie énormément en fonction des secteurs, des sous-secteurs et des domaines d’application. Cependant, il est à souligner que la France est particulièrement bien lotie notamment avec le Système national des données de santé (SNDS) qui est unique en Europe voire au monde.

Nous disposons d’une base extrêmement exhaustive de données médico-administratives. En la chaînant avec celles de registres biologiques ou relatifs à une pathologie, un jumeau numérique permettrait de réaliser une population synthétique et d’en modéliser les résultats pour l’ensemble de la population française. C’est très puissant même si le SNDS est accessible selon un cadre réglementaire bien spécifique.

En France, nous disposons également d’entrepôts de données de santé très riches mais hétérogènes, que ce soient dans leurs modalités d’accès ou dans leur contenu. Les données des cohortes, dont la cohorte Constances, sont également de précieuses sources. Enfin, les opérateurs privés, c’est-à-dire nos clients, possèdent leur propre gisement de données (marketing, vente, médico-économiques, etc.). Et de nombreuses initiatives, notamment réglementaires, sont en cours pour remédier aux défis de standardisation, de compatibilité, de confidentialité que nous évoquions

 

En quoi votre approche, à partir non pas d’un jumeau numérique mais d’un générateur de jumeaux numériques, participe-t-elle à relever ces défis ?

C.P. : Repartons du besoin des entreprises : elles veulent pouvoir prendre des décisions stratégiques fiables. Pour y répondre, elles ont cherché à générer des données et à les exploiter pour mieux comprendre leur(s) marché(s). Malheureusement, les solutions existantes en matière de jumeau numérique offrent souvent une vision parcellaire de l’environnement et des modélisations encore approximatives qui sont liées aux problématiques de qualité et de volumétrie de données.

Un grand nombre d’entre elles n’adresse qu’une problématique en particulier tout en nécessitant des gros volumes de données sans résoudre le problème de leur fiabilité. A contrario, notre solution de générateur de jumeaux numérique, TweenMe, repose sur des IA qui n’ont pas besoin de gros volumes de données si bien qu’elle s’affranchit d’un certain nombre de ces problèmes en amont.

C’est en effet le premier générateur de jumeaux numériques au monde qui va permettre à l’utilisateur de définir sa problématique au sein d’une interface très simple d’utilisation et qui ne nécessite pas d’être expert contrairement aux autres Data Labs à disposition des acteurs de santé. Notre solution – qui est actuellement en développement, des preuves de concept devant être lancées dans les prochaines semaines – permet donc de générer des jumeaux numériques et d’optimiser l’exploitation de ses données en adressant l’ensemble de ses cas d’usage, tout en étant à la portée d’un utilisateur expert de son métier mais néophyte dans l’utilisation des outils d’IA.

Notre Data Lab permet de catalyser les données du client, de les enrichir voire de les chaîner avec d’autres sources en fonction de sa problématique et, in fine, de lui proposer une réponse et d’accélérer la création de valeur. Plus qu’une approche ciblée, par spécialité, notre générateur de jumeaux numérique repose sur une approche holistique et transversale.

 

TweenMe, une approche du jumeau numérique enrichie à l’IA

En pratique, la solution TweenMe, développée en ce moment par Qualees, propose une première étape de qualification et d’enrichissement du patrimoine de données des clients en fonction de leur problématique. L’outil procède ensuite à un enrichissement dimensionnel, c’est-à-dire une augmentation volumétrique des données pour préparer un jeu de données optimisé sur lequel repose l’apprentissage dit « causal » des IA de TweenMe. Celui-ci procède également à l’anonymisation des données. Un modèle est ensuite généré puis packagé dans une application avec une interface utilisable par un utilisateur final lambda, expert dans son domaine et non familier des méthodes d’IA.

Cette approche est révolutionnaire en ce qu’elle fait appel à une volumétrie moindre de données tout en permettant de créer des modèles à la fois optimisés et plus fiables car utilisant des nouvelles architectures d’IA (les neural statistical networks) qui permettent de limiter les hallucinations et d’optimiser la performance sur des jeux de données de plus en plus complexes.

Pour en savoir plus : www.qualees.com

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