Points de vue

L’oeil de la rédaction - 26 mars 2024

« Nous, la FNI, restons un syndicat conventionnaliste lucide, réaliste mais exigeant » (Interview)

Daniel Guillerm_FNI_Fédération nationale des infirmiers

Au lendemain d’une grande campagne de communication lancée le 18 mars en conférence de presse, Daniel Guillerm, Président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI), décrypte le positionnement que son syndicat a choisi d’adopter dans un contexte propice à la démagogie et aux postures stériles.

Propos recueillis par Alexandre Terrini, Agence de presse Pi+

 

Comment se positionne la FNI au regard des évolutions récentes du collectif des infirmiers libéraux en colère ?

Daniel Guillerm. Les choses ont évolué dans la mesure où le Sniil, qui est pourtant un syndicat représentatif signataire de tous les avenants à la convention nationale, a rejoint le collectif, lequel a des revendications qui, il faut bien le dire, sont totalement hors-sol tant elles s’affranchissent de toute soutenabilité financière. Par exemple, la demande d’abrogation des stabilisateurs économiques, c’est-à-dire du délai d’application de six mois entre la signature d’un texte conventionnel et son entrée en vigueur, ou encore, des exigences tarifaires dont on sait qu’elles ne pourront pas être satisfaites alors qu’il n’y a pas un jour sans que le Gouvernement rappelle la nécessité de faire des économies substantielles.

Dans ce contexte, il est inutile de générer de faux espoirs pour la profession. Il faut, au contraire, en responsabilité, éviter de mettre de l’huile sur le feu.

 

Plus précisément ?

D.G. Notre position est de ne pas verser dans la surenchère. Les négociations avec les tutelles ne se basent pas sur le principe éculé qui consisterait à demander beaucoup pour avoir un peu. Par ailleurs, l’Assurance maladie entend investir à condition de savoir quel retour sur investissement elle aura. C’est un principe prégnant auquel, au demeurant, nous adhérons, notamment dans le cadre de la valorisation du maintien à domicile pour éviter une augmentation des dépenses hospitalières forcément plus coûteuses. A nous de nous inscrire dans ce postulat si nous voulons obtenir quelque chose.

 

« La FNI ne veut pas rompre le fil avec le Gouvernement ni avec la Cnam »

 

Ne craignez-vous pas de vous retrouver isolés en prônant un tel discours ?

D.G. Ce ne sera pas la première fois que nous prêchons dans le désert (sourire). La FNI a toujours pris ses responsabilités. Si elle s’était bornée à adopter le positionnement d’autres syndicats, nous nous serions assis sur 885 millions d’euros. Dire que la profession n’a rien obtenu est donc faux. En revanche, il est juste de dire que dans le cadre du virage ambulatoire et de l’approche domiciliaire, ce n’est pas suffisant pour faire face au défi démographique qui nous attend.

Par ailleurs, certaines revendications portées par le collectif sont légitimes. Le déblocage de la lettre-clé AMI est une priorité tant les infirmiers libéraux sont enfermés dans un marché prix-volume avec l’Assurance maladie, lequel est insoutenable pour la profession et pour les syndicats signataires. Pour autant, demander d’ores et déjà une somme d’argent pour les Idel alors que nous n’avons toujours pas obtenu la lettre de cadrage destinée à circonscrire le périmètre des futures négociations conventionnelles revient à mettre la charrue avant les bœufs. Pour l’instant, on parle dans le vide.

 

Soit mais que faire ?

D.G. A ce stade, la FNI ne veut pas rompre le fil avec le Gouvernement ni avec la Cnam car c’est le seul qui est susceptible de nous faire aboutir tout en restant dans le champ conventionnel. L’objectif de notre action est de presser le Gouvernement, en particulier Bercy, pour débloquer la situation et acter cette fameuse lettre de cadrage qui devra, ensuite, être validée par le Conseil de l’Uncam.

A nos yeux, cette lettre doit porter à la fois sur la reconnaissance de la profession et sur la valorisation financière pour répondre au malaise actuel des Idel (Infirmiers diplômés d’État libéraux, NDLR). De son côté, la Cnam ne peut envisager une négociation qui soit purement économique.

En effet, elle veut que cette négociation intègre également des mesures de restructuration. En l’occurrence, inclure dans le champ conventionnel les prérogatives nouvelles que sont l’infirmier référent et celles qui seront contenues dans la réingénierie du métier actuellement en cours. Nous avons été très fermes sur ce point dans la mesure où les attendus de cette réingénierie ne produiront pas leurs effets avant cinq ou six ans.

Or, le calendrier ne nous permet pas d’attendre aussi longtemps. Il impose des mesures concrètes et rapides. C’est pourquoi la FNI attend l’ouverture de négociations conventionnelles très prochainement.

 

Comment pousser l’Exécutif à se mettre en mouvement ?

D.G. Nous avons décidé d’interpeller le Président de la République dans le cadre d’une d’une lettre ouverte publiée dans la presse régionale et d’une campagne digitale pour promouvoir nos revendications. Nous n’avons pas été dans la rue car nous voulons conserver une forme de crédibilité. Nous préférons défendre nos positions qui sont plus viables que celles contenues dans le manifeste signé par le Sniil. Je ne veux pas qu’il y ait un amalgame entre ce que nous demandons et ce que demandent les autres syndicats et le collectif car je pense qu’ils se trompent fortement en étant aussi décalés en s’affranchissant du contexte économique.

 

« Ce qu’il se passe aujourd’hui fragilise le dialogue conventionnel »

 

Est-on à un tournant de la vie syndicale en ce qui concerne les infirmiers libéraux ?

D.G. L’entrée dans la danse du Sniil, qui a signé un manifeste commun avec le collectif, marque, à l’évidence, une rupture. Ce qu’il se passe aujourd’hui laissera forcément des traces. Cela fragilise le dialogue conventionnel. Le risque est de voir les tutelles expliquer qu’il devient impossible de discuter avec la profession et que dès lors, elles légifèreront davantage par voie réglementaire sans guère de dialogue préalable avec les représentants des infirmiers libéraux. En outre, on est dans la queue de comète de ce qu’il se passe avec les médecins dont la totalité des syndicats représentatifs se sont inscrits dans les pas des collectifs de médecins.

La FNI, elle, n’a pas choisi cette option et ne cèdera pas à ces peurs. Nous restons un syndicat conventionnaliste, lucide et réaliste… ce qui ne nous empêche pas d’être exigeants.

 

Alors que l’on tend vers un certain poujadisme…

D.G. C’est ce qui traverse la société depuis le mouvement des Gilets jaunes. Nombre de professions n’échappent pas à cela. En ce qui concerne la Fédération, nous souhaitons nous inscrire dans la vision des ordonnances de 1945 et d’un système de Sécurité sociale qu’il convient de défendre comme un trésor.

Mais, encore une fois, cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas avoir des revendications légitimes et réalistes, à condition de respecter les procédures conventionnelles. Il ne suffit pas de bloquer les routes et les ronds-points pour générer de l’espoir au sein de la profession, faire bouger les choses et se dire que l’argent va couler à flot. Et, contrairement à ce que certains aiment à dire, ce discours est tout à fait audible par nos consœurs et confrères. L’augmentation régulière du nombre de nos adhérents en atteste.

 

Ajouter un commentaire