Points de vue

L’oeil de la rédaction - 14 novembre 2023

« L’intervention non médicamenteuse est une corde supplémentaire à l’arc des professionnels de santé » (Interview)

La Veille Acteurs Santé_Grégory Ninot_Intervention non-médicamenteuse_INM_Site

Thérapie nutritionnelle, programme d’activité physique adaptée, éducation thérapeutique… Les interventions non-médicamenteuses (INM) connaissent un essor certain. Quid de leur évaluation ? Début octobre, une conférence de consensus sur le cadre scientifique et éthique standardisé d’évaluation des INM développé par la Non-Pharmacological Intervention Society (NPIS) était accueillie au Sénat par Philippe Mouiller, Président de la commission des affaires sociales du Sénat. L’occasion de faire le point avec le Professeur Grégory Ninot, président de cette société savante internationale consacrée au développement de la recherche et de l’innovation dans les INM.

 

Tout d’abord, dites-nous précisément ce qu’est une intervention non-médicamenteuse, une « INM » ?

Veille Acteurs Santé_Gregory Ninot_Président NPISGrégory Ninot : Le concept de l’INM a été lancé en 2011 dans un rapport de la Haute Autorité de Santé dédié au développement de la prescription des thérapeutiques non médicamenteuses validées. La NPIS définit l’INM comme un protocole normalisé de prévention ou de soin fondé sur des données probantes, et encadré par un professionnel de santé qualifié.

 

Quel était le but de cette conférence de consensus scientifique ?

G.N. : Il y a 60 ans, l’ensemble des acteurs du médicament ont établi un modèle unique de validation. Ce consensus scientifique a généré une réglementation adéquate, de la recherche jusqu’à l’utilisateur final.

Or, dans les INM, on totalisait 46 modèles d’évaluation en 2019. Cette hétérogénéité freinait leur développement. Après 12 ans de travaux de recherche collaborative, nous avons élaboré un modèle standardisé d’évaluation des INM, avec ses 77 recommandations éthiques et méthodologiques. Il se nomme le NPI Model. Un site internet lui est dédié. Notre démarche s’est appuyée sur Equator, un réseau international guidant les méthodes de la recherche dans le domaine de la santé. Elle s’est déroulée en cinq phases impliquant 1 000 personnes en France.

 

A quels enjeux et objectifs répond ce cadre scientifique et éthique d’évaluation des INM ?

G.N. : Les INM font l’objet d’amalgames. Certains les pensent comme des anti-médicaments, d’autres comme des médecines alternatives, d’autres enfin comme des remèdes traditionnels ou naturels. Or, des pratiques comme les régimes ciblés, des programmes de rééducation kinésithérapique ou encore des psychothérapies se fondent sur une démarche scientifique. Elles pourront désormais être passées au tamis d’un unique modèle d’évaluation. Des pratiques seront à terme être intégrées dans un référentiel national, labellisées et codifiées pour être potentiellement choisies par les professionnels de santé dans les parcours de santé.

  

Comment se situe la France dans le développement des INM ? 

G.N. : Si les praticiens sont d’ores et déjà dans l’exploration, la recherche est en retard. L’une des difficultés tient au fait que l’on n’évalue pas une psychothérapie comme on évalue un médicament. Il y avait donc un écueil majeur que le modèle d’évaluation a résolu. Aujourd’hui, 27 sociétés savantes et 3 autorités de santé cautionnent le NPI Model et estiment que nous devons poursuivre ce travail au niveau européen.

 

Y a-t-il encore des freins à la reconnaissance des INM ?

G.N. : Les freins sont de trois ordres. D’abord, la recherche n’a pas pu faire son travail, à savoir étudier des interventions décrites. Ce sont souvent des études observationnelles qui ne disent rien sur les modalités, les bénéfices et les risques de ces pratiques. Dans certains cas comme en oncologie, des INM peuvent potentialiser les effets des traitements biomédicaux. Ensuite, ces pratiques ont souvent été confondues avec les règles hygiéno-diététiques générales. Des messages de santé publique sont nécessaires mais insuffisants. Les praticiens ont un rôle à jouer pour modifier durablement la santé des patients.

Enfin, il y a un manque d’études médico-économiques sur les INM. Il faut mener des études pour vérifier l’impact des INM sur la réduction des soins et des hospitalisations évitables.

 

Quels impacts ces travaux peuvent-ils avoir sur la pratique des professionnels ? 

G.N. : Parce que les maladies d’aujourd’hui sont complexes, je pense notamment aux maladies chroniques, elles ont besoin de solutions multiples. Les INM donnent la possibilité aux professionnels de santé de mieux orienter les patients et de combiner les réponses de prévention et de soin. Ceux qui se rendent au domicile peuvent détecter des éléments, agir et prévenir en proposant une INM.

Les personnes issues du secteur social et de l’autonomie veulent eux aussi des contenus validés par la science ayant un impact. De nouveaux métiers de l’accompagnement entre le social et la prévention sans qu’il s’agisse de soin, vont émerger. Les INM créent une culture commune.

 

Quelles sont les prochaines étapes ? 

G.N. : Une réunion est organisée le 19 décembre 2023 à l’Inserm avec des confrères européens. Nous devons étendre ce modèle avec des recommandations valables à l’échelle européenne et mondiale. Nous avons sollicité l’OMS. Une réflexion est également menée sur la mise au point d’un référentiel des INM normalisé qui permettrait aux professionnels de santé de disposer d’une corde supplémentaire à leur arc.

Propos recueillis par Renaud Degas avec Géraldine Bouton.

 

Focus sur la Non-pharmacological intervention society

La NPIS est une société savante internationale qui a vu le jour en 2021. Elle succède à la Plateforme collaborative d’évaluation des programmes de prévention et de soins de support (CEPS), une structure universitaire interdisciplinaire, créée en 2011. Son but est de développer la recherche et l’innovation dans les INM, de faciliter leur identification et de partager les bonnes pratiques. Aujourd’hui, elle réunit 250 personnes de sept pays différents.

 

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