Points de vue

Les Contrepoints de la Santé - 29 mars 2022

Comment créer un environnement favorable à l’innovation en santé ? (Débat)

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Qu’il s’agisse du numérique, des technologies, des biothérapies, des vaccins… comment créer un environnement favorable à l’innovation en santé ? Philippe Berta, Député Modem du Gard, universitaire, chercheur et généticien, Antoine Tesnière, Directeur général de PariSanté Campus, et Franck Mouthon, Président de France Biotech, étaient invités à débattre sur ce thème on ne peut plus crucial pour les cinq années à venir, à l’occasion des Contrepoints de la Santé du 29 mars dernier.

 

La France consacre moins d’argent que ses concurrents à la recherche : 2,22% du PIB, loin de l’objectif de 3%. La recherche est cloisonnée, dispersée entre structures publiques (CEA, CNRS, INSERM…) et privées, peu attractive. Des failles accentuée par la pandémie…

 

 

« La crise Covid a mis en lumière un certain nombre de réalités que l’on ne voyait pas forcément. Tout le système s’est retrouvé en tension et on en a vu à la fois les forces mais aussi les limites qui, parfois, découlaient de décisions prises depuis plusieurs années… », évoque Antoine Tesnière. Le Premier ministre, lors de l’inauguration de PariSanté Campus, avait d’ailleurs dressé « un constat très clair, très dur » sur l’état de la recherche en France et « les difficultés de la recherche à collaborer, à se coordonner, à produire de façon efficace » des résultats, se souvient-il.

 

Loi de programmation de la recherche

Pour tenter d’y remédier, des financements massifs ont été mis sur la table, dans le cadre du Ségur de la santé (10 milliards d’euros pour les professionnels de santé) et du Ségur sur le numérique (2 milliards d’euros). La Loi de programmation de la recherche (LPR) pour les années 2021 à 2030 fournit quant à elle « une base de travail » et, ainsi, « une visibilité » à long terme, ajoute Philippe Berta. Elle prévoit en outre « 25 milliards d’euros sur 10 ans ».

Une nécessité, même « ce ne sera pas suffisant », admet l’élu : il faudrait « le double », sachant qu’il y a 5 ans, déjà, le budget de la recherche sur la décennie précédente avait « baissé de 30 % ». Sans compter que « la recherche en santé a beaucoup évolué ces dernières décennies » : elle requiert du matériel de pointe et « nous avons relativement mal accompagné cette transformation ».

 

Secteur public-privé

Conséquence : « nous nous sommes laissés distancer », déplore le député. Dans le domaine de la santé et de la médecine, la France est ainsi classée 16e en 2019 comme en 2020. Pour autant, aujourd’hui, « il y a une volonté très clairement affichée de rattraper ce retard » et de « reprendre notre 3e place qui a été la nôtre il y a fort longtemps », assure-t-il.

Et puis, il n’y a pas que le secteur public… « Selon le panorama 2021 de la HealthTech que nous avons publié récemment, 2,3 milliards de fonds privés ont été injectés sur le territoire français, précise Franck Mouthon. Nous sommes juste derrière la Grande-Bretagne. » Il s’agit là « d’investissements dans les entreprises en France par le capital-risque et par le privé ». Les levées de fonds de certaines entreprises en France sont ainsi « comparables à d’autres écosystèmes qui sont extrêmement efficaces de l’autre côté de la Manche et de l’autre côté de l’Atlantique » ; « nous avons aujourd’hui une transformation, une maturité de la filière qui nous permet d’atteindre ces montants-là ».

 

Plan Innovation Santé 2030

Le plan Innovation Santé 2030 est également source de promesses, évoque-t-il, avec un soutien accru aux filières « Biothérapie et bioproduction des thérapies innovantes » (un peu plus de 800 millions d’euros) mais aussi « Santé numérique » et « Maladies infectieuses et émergentes »  (un peu plus de 600 millions d’euros chacune). Et « cela a déjà eu des effets », poursuit le Président de France Biotech, avec, notamment, la réforme de l’accès précoce des innovations (médicaments mais également dispositifs médicaux innovants) au marché, en 2021, ce qui « était très attendu par les industriels ».

Le passage de la télésurveillance dans le droit commun, en 2022, est également à saluer, pointe-t-il. La stratégie d’accélération de la santé numérique qui, « dans des logiques de cofinancement public-privé, va aussi accompagner l’innovation », se déploie par ailleurs.

 

Attractivité de la recherche

Reste qu’en France les chercheurs sont très mal rémunérés, contrairement à des pays comme les États-Unis, où les salaires sont multipliés par 4, voire 10. « L’âge moyen de recrutement d’un chercheur, en France, est de 34-35 ans, pour une rémunération d’un petit peu moins de 2 fois le SMIC », résume Philippe Berta. C’est donc « merveilleux que, dans ces conditions, des jeunes continuent à s’engager dans la recherche »… lance-t-il, appelant à « un correctif ».

 

Renaud Degas_Contrepoints de la Santé

 

La « fonctionnarisation de la profession dans les années 80 », demandée à l’époque par les syndicats, « a créé des contraintes » : la réforme de la grille des rémunérations de la fonction publique est complexe, d’où la mise en place en ce début d’année de « systèmes de primes » pour essayer « d’améliorer un petit peu les choses ». Un début, qui ne règlera pas toutes les difficultés, en convient-il. « Mais en tout cas, la prise de conscience est là ».

De l’aveu des invités, il faut aussi faciliter les carrières dans le public comme dans le privé, comme c’est le cas dans les pays anglo-saxons. Un point sur lequel la LPR entend agir, relève Philippe Berta. Le texte reste toutefois contesté par une partie de la communauté enseignante et scientifique, qui dénonce une « réforme en trompe l’œil », des financements concentrés sur une recherche « sélective », par « projets », et une « attaque » du statut de fonctionnaire en raison des nouvelles voies de recrutement de jeunes chercheurs.

 

Disséminer la culture de l’innovation

Autres enjeux : promouvoir les partenariats publics-privés, pour « faire en sorte que les chercheurs et les entrepreneurs puissent se rencontrer, être accompagnés pour créer ensemble et créer de la valeur, qu’elle soit scientifique ou économique », relève Antoine Tesnière ; clarifier et coordonner l’écosystème, à l’échelle française (à travers la future Agence de l’innovation santé, et pourquoi pas, un « grand ministère de la Recherche et de l’Innovation ») comme européenne ; renforcer, en France, notre acculturation scientifique, technologique et industrielle…

Pour Franck Mouthon, il faut également pallier « un gros problème de ressources humaines » sur le territoire, insiste. « Nous avons, dans le domaine des biotechs et des Healthtechs en général, une tension très forte sur l’emploi, avec de vraies difficultés à recruter certains profils, alors que nous sommes capables de les rémunérer : pharmaciens, médecins, ingénieurs, techniciens, data scientists… » Et ce, d’autant plus que l’essor de la bioproduction, des big data, du numérique… crée de nouveaux besoins associés à de nouvelles compétences. « Il y a une réelle nécessité, aujourd’hui, de former à ces nouvelles technologies. On a un tsunami d’innovation qui arrive… », martèle le Président de France Biotech.

« Je pense que ce qui est essentiel, c’est d’arriver à disséminer cette culture de l’innovation et faire en sorte que l’ensemble des acteurs de la chaîne comprennent que l’innovation n’est pas uniquement technologique, qu’elle ne réside pas uniquement dans une nouvelle molécule ou un nouvel ARN messager : elle peut être organisationnelle et on peut être soignant ou travailler en EHPAD et amener à un nouveau parcours de soins ou une nouvelle chaîne de valeur qui est absolument essentielle, renchérit Antoine Tesnière. C’est cette idée-là qu’il faut diffuser. »

Retrouvez ici les précédents débats des Contrepoints de la Santé

 


En chiffres

– 93 % des Français interrogés estiment que dans le cas de pandémie comme celle du Covid, l’innovation en santé doit être accessible à tous les pays

– 67 % des Français pensent que l’absence de vaccin français contre le Covid marque le déclin de la recherche de santé en France.

– 91 % des Français considèrent que la pluridisciplinarité est indispensable à la recherche médicale

– pour favoriser la recherche et l’innovation, ils mettent en avant la nécessité de favoriser les partenariats entre recherche publique et recherche privée et d’accroître la rémunération des chercheurs (42 % des Français), d’augmenter le financement de la recherche publique (37 %), d’améliorer la formation initiale (30 %), de créer des fonds d’investissement puissants pour financer la recherche (26 %) ou encore, de faciliter les initiatives privées en simplifiant les procédures (22 %).

– enfin, pour une majorité de Français (72 %), la recherche en santé doit se faire en coopérant avec d’autres pays de l’Union européenne.

 

 

 

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