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L’oeil de la rédaction - 8 novembre 2021

Huit recommandations pour une généralisation réussie de la télésurveillance médicale (Interview)

Huit recommandations pour une généralisation réussie de la télésurveillance médicale_Itw Lucile Blaise_Resmed

Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2022 prévoit la généralisation de la télésurveillance médicale, après sept années d’expérimentation. Dans ce contexte, les membres du think tank « Numérique, DM et Santé » ont présenté une série de recommandations, fruit d’un large consensus entre patients, praticiens, établissements de santé et entreprises du dispositif médical, comme le rappelle Lucile Blaise, vice-présidente Europe de l’Ouest chez Resmed.

 

Vous avez ainsi élaboré une liste de huit recommandations pour « une généralisation réussie de la télésurveillance médicale », dévoilées en septembre dernier…

L.B. : En effet. Cette publication intervient alors que la télésurveillance, après sept années d’expérimentation dans le cadre du programme Étapes (Expérimentations de télémédecine pour l’amélioration des parcours en santé), s’apprête à passer dans le droit commun (1) dans le cadre du PLFSS pour 2022. Après de nombreux échanges, nous, les membres du think tank « Numérique, DM et Santé »sommes parvenus à un consensus sur les « prérequis » qui, à nos yeux, sont indispensables à cette généralisation.

Lucile Blaise, vice-présidente Europe de l’Ouest chez Resmed, membre du think tank Numérique, DM et Santé
Lucile Blaise, vice-présidente Europe de l’Ouest chez Resmed et membre du think tank « Numérique, DM et Santé »

Ils sont au nombre de huit : garder l’objectif au cœur du projet, à savoir renforcer l’accès à la santé sur tout le territoire ; ne pas créer de période de vide entre la fin d’Étapes et la généralisation en droit commun ; ne pas se limiter aux cinq pathologies chroniques d’Étapes ; ne pas repartir de zéro et s’appuyer sur les apports des expérimentations menées depuis sept ans ; faire impérativement l’effort de la fluidité et de la simplicité de mise en œuvre ; accompagner la généralisation de la télésurveillance médicale d’une communication de haut niveau…

…et, bien sûr, vouloir réellement le succès du dispositif, en sachant que son coût ne doit pas être vu isolément, mais bien en termes de complications et d’hospitalisations évitées. La démarche doit être tournée vers l’efficacité thérapeutique et fondée sur un modèle économique soutenable pour les entreprises et les professionnels de santé.

La dernière recommandation, majeure, est celle d’embarquer tous les acteurs concernés (patients, professionnels de santé, entreprises, financeurs) en partant d’une logique d’usage.

 

Quel est l’impact prévisible de la généralisation de la télésurveillance médicale ?

L.B. : La généralisation réussie de la télésurveillance médicale, comme de toute pratique numérique, va bien au-delà de la seule adoption d’une innovation technologique : structurante, elle modifie le parcours de soins et implique l’ensemble des acteurs de la prise en charge de la pathologie, à commencer par le patient. Elle doit avant tout prendre en compte les utilisateurs et partir de la réalité du parcours de soins et du suivi de la pathologie. Les enjeux à relever touchent à l’organisation, à la culture professionnelle, à la formation et aux compétences.

 

L’article 24 du PLFSS pour 2022, qui fait passer la télésurveillance médicale dans le droit commun, répond-il aux attentes des membres du think tank ?

L.B. : Il s’agit d’une avancée tout à fait positive dans son principe, en particulier dans le contexte actuel de vieillissement de la population, d’essor des pathologies chroniques ou encore, de difficultés croissantes d’accès aux soins dans certaines zones. Nous restons toutefois prudents : un certain nombre de points du projet de loi, en l’état actuel, restent à clarifier, tels que la possibilité de mettre progressivement un terme à la prise en charge d’une solution digitale, dès lors qu’une nouvelle solution représentant un progrès au regard des référentiels existants arrive sur le marché. Cela pourrait priver des patients et professionnels de santé de dispositifs qui, malgré l’apparition de produits innovants, continuent d’apporter un bénéfice organisationnel et/ou clinique.

Nous appelons par ailleurs, comme évoqué, à ce que cette généralisation de la télésurveillance médicale aille, à terme, au-delà de l’insuffisance cardiaque, l’insuffisance rénale, l’insuffisance respiratoire, le diabète et la prise en charge des patients porteurs de prothèses cardiaques implantables. Le champ des possibles est vaste, même si cela nécessitera, bien entendu, spécialité par spécialité, l’élaboration de cahiers des charges par la Haute Autorité de santé, conjointement avec les sociétés savantes, les patients et les industriels, en tenant compte des progrès et efficiences générés par les technologies médicales numériques.

 

En quoi la généralisation de la télésurveillance médicale est-elle un enjeu clé pour les années à venir ?

L.B. : Durant la crise sanitaire, la télésurveillance a clairement démontré son intérêt : elle a permis de maintenir la continuité du suivi de milliers de patients atteints de pathologies chroniques à leur domicile. Elle a également permis de développer de nombreux usages, lesquels sont une clé de voûte essentielle pour le déploiement de nouvelles solutions et de nouvelles organisations.

À terme, sa généralisation constitue une étape déterminante pour renforcer les liens ville-hôpital et, in fine, faciliter le partage et l’exploitation des données de santé recueillies, qui seront précieuses tant du point de vue de la recherche que de la démonstration de l’efficacité – ou non – de traitements, de solutions technologiques et de nouveaux modes organisationnels.

 

Enfin, pouvez-vous revenir, en quelques mots, sur la genèse du think tank « Numérique, DM et Santé », dont vous êtes membre ?

Lucile Blaise : Le think tank, créé en 2018 à l’initiative du Syndicat national des industries de technologies médicales (Snitem), réunit des représentants de l’ensemble des acteurs (patients, professionnels de santé, entreprises de santé, experts du système de santé et du numérique) concernés par l’utilisation et l’apport du dispositif médical dans la transformation numérique de notre système de santé. Véritable espace de réflexion et d’échange, il a pour mission d’enrichir les débats précédant les décisions des autorités compétentes dans ce domaine.

Il a ainsi, par exemple, travaillé pendant 18 mois sur des solutions novatrices expérimentées dans d’autres pays et pouvant inspirer la France : des indicateurs de type PREMs et PROMs pour évaluer la qualité des soins perçue par les patients (2), des applications en santé pour faciliter le suivi des patients atteints de maladie chronique ou encore, des plateformes de partage numérique en santé. Composé de différents sous-groupes de travail, le think tank s’est également emparé de la question de la télésurveillance médicale.

Consulter les huit recommandations du Think Tank Numérique, DM & Santé pour une généralisation réussie de la télésurveillance médicale

 

(1) Initiées dans le cadre de la LFSS pour 2014, les Expérimentations de télémédecine pour l’amélioration des parcours en santé (Étapes) concernaient, à l’origine, la téléconsultation et la télé-expertise, avant d’être étendues à la télésurveillance, puis reconduites pour quatre ans dans la LFSS pour 2018. Et ce, dans cinq domaines : l’insuffisance cardiaque, l’insuffisance rénale, l’insuffisance respiratoire, le diabète et la prise en charge des patients porteurs de prothèses cardiaques implantables (défibrillateurs et pacemakers).

(2) Patient-Reported Outcome Measures, PROMs (avis que peut donner chaque patient quand on lui offre la possibilité de s’exprimer sur les résultats d’une démarche ou d’un traitement qu’il vient de suivre) et Patient-Reported Experience Measures, PREMs (lorsque le patient exprime son ressenti au cours de cette démarche/ce traitement).

 


Les membres du think tank

Lucile Blaise, vice-présidente Europe de l’Ouest, Resmed
Alain-Michel Ceretti, président de l’association de patients Le Lien et premier président de France Assos Santé
Antoine Groheux, responsable Innovation, Medtronic France
Jacqueline Hubert, consultante indépendante, Hubert33 Consulting
Carlos Jaime, Directeur Général Ascom France & Spain
Christophe Lala, consultant
Dr Grégory Perrard, cardiologue et cofondateur de Newcard
Dr Jean-Pierre Thierry, conseiller médical de France Assos Santé

Animateurs/coordonnateurs : Vincent Olivier (Recto Verso) et François-Régis Moulines (Snitem)

À noter : Les recommandations sur la télésurveillance ont été élaborées par un sous-groupe de travail composé de Lucile Blaise, du Dr Grégory Perrard, du Dr Jean-Pierre Thierry et de François-Régis Moulines (coordonnateur).

 

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