Points de vue

Tribunes - 10 septembre 2020

Dépistage Covid-19 : « L’enjeu n’est pas aujourd’hui celui des chiffres, mais plutôt celui des cibles »

Le Gouvernement a fixé l’objectif d’un million de tests de dépistage de la Covid-19 par semaine. Pour François Blanchecotte, Président du Syndicat des biologistes (SDB), les biologistes médicaux ont encore besoin d’un certain nombre de réponses et d’actions de la part des tutelles pour sécuriser la réalisation de la stratégie de dépistage massif décidée par l’État, la situation actuelle n’étant pas soutenable. Elle doit, selon lui, être repensée et mieux organisée. Interview.

 

Le Gouvernement a fait des annonces fin août en termes de dépistage de la population. Vous surprennent-elles ? 

François Blanchecotte : Non, pas du tout. Nous avons bien entendu eu une réunion au ministère quelques jours avant ces annonces. Il y a clairement une commande gouvernementale pour que la France atteigne un million de tests par semaine rapidement. Ce n’est pas une nouveauté puisque cet objectif avait déjà été annoncé en sortie de confinement et devait être atteint en juin. Mais une montée en puissance aussi rapide n’était pas prévisible.


Cet objectif vous semble-t-il pertinent ?

F.B. : Je le comprends et je soutiens la stratégie globale de dépistage. J’estime toutefois que l’enjeu n’est pas aujourd’hui une question de chiffres, mais plutôt de cibles et d’organisation. Dépister à tout va, n’importe qui, n’importe quand, cela n’a pas de sens et ne servira pas à maîtriser l’épidémie.

Il nous semble extrêmement important d’avoir une stratégie et une organisation centrées sur des objectifs clairs. Tout doit partir de la compréhension de la naissance des premiers cas positifs, et du mode de contamination de chaque cluster afin d’adopter une stratégie de dépistage pertinente pour chaque foyer.

Quand les enquêteurs des CPAM font une analyse des cas contacts autour d’un patient positif, ils les cataloguent par type de situation : retour de vacances, milieu collectif, évènement familial, etc. Cette classification devrait être nationale. Elle devrait alimenter une analyse cohérente et homogène de la progression des cas positifs afin de déterminer les causes principales de la circulation du virus et d’adapter en conséquence la stratégie de dépistage.

Aujourd’hui, on fait les choses en sens inverse : on détermine un nombre de tests à faire par semaine sans avoir une idée précise du besoin territoire par territoire. Est-ce 800 000 ? Est-ce 1 million, est-ce plus ? Est-ce moins ?


De quoi les laboratoires de biologie médicale ont-ils besoin pour pouvoir répondre à la demande sur le terrain ? On voit que cela n’est pas toujours évident.

F.B. : Pour que les laboratoires de biologie médicale privés, qui supportent actuellement plus de 80% de la charge du dépistage en France, puissent travailler correctement, il nous est nécessaire de connaître les besoins réels et les stratégies par territoire. À partir du moment où on disposera de ces éléments cibles, nous pourrons alors nous adapter et répondre finement. Pour cela, il faut que les ARS travaillent au niveau départemental, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui partout en France. Le niveau régional n’apporte pas la précision dont nous avons besoin.


À quoi devrait ressembler ce pilotage départemental ?

F.B. :  Il faut des réunions hebdomadaires avec le ou les préfets du département, les acteurs de la biologie privée et publique, mais aussi tous les acteurs qui peuvent venir en renfort pour les prélèvements. Cela concerne de nombreux acteurs de terrain : outre les professionnels de santé (médecins et infirmiers), les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), il faut également avoir autour de la table les acteurs médico-sociaux, les pompiers, la sécurité civile, la Croix-Rouge, etc. sans compter, bien entendu les collectivités territoriales.

Cela permet à la fois d’identifier les flux de population réels et prévisibles sur le département (période avec des saisonniers par exemple, les retours de vacances, etc.), et d’organiser la réponse avec toutes les parties prenantes.


Pour vous, quels sont les enjeux d’organisation de la stratégie de dépistage aujourd’hui ?

F.B. : Nous devons gérer avec les autorités et l’ensemble des personnes compétentes la recherche d’un équilibre délicat entre identification et estimation de la population cible à dépister, compréhension de l’évolution du virus et donc de l’intérêt réel à dépister, mobilisation des ressources humaines et techniques pour assurer les volumes de dépistages à réaliser, et, pour finir, sécurisation des investissements financiers fait par les laboratoires pour répondre à la demande.

En fait, plus nous avançons, plus il apparaît que nous devons être très précis dans le pilotage de la stratégie de dépistage. Ainsi, dans la version 6 de la fiche SIDEP qui sera déployée en octobre, la commune où a été réalisé le dépistage est précisée en plus de la commune du lieu d’habitation. Cela permet d’être plus fin sur la connaissance du déplacement réel des populations porteuses du virus. Toutes ces indications ont bien entendu un impact sur le travail des biologistes médicaux et de leurs équipes puisqu’ils doivent renseigner les fiches de chaque patient. Mais ce suivi précis est indispensable si l’on veut faire face à la situation et absorber le nombre de patients toujours plus importants à dépister.


En quoi ce suivi précis peut-il aider à la stratégie de dépistage ?

F.B. : Cela permet d’adapter les stratégies sur le terrain et de décider, par exemple, de créer des centres ambulatoires partout où cela est nécessaire. Mais attention, il faut peut-être arrêter les tentes montées sur les parkings, cela ne sera pas tenable cet automne et cet hiver. Il faut donc travailler main dans la main avec les maires pour mettre en place des lieux fixes, protégés, dans lesquels on peut positionner des équipes ambulatoires simples, constituées de binômes aux profils complémentaires pouvant assurer à la fois les prélèvements et les tâches administratives.

Ces équipes peuvent être de provenance très diverse, bien au-delà des équipes des laboratoires de biologie médicale. Car, on l’a bien tous compris, l’enjeu n’est pas celui de la phase technique d’analyse du test -tant qu’il n’y a pas de problèmes d’approvisionnement en réactifs-, mais bien celui du prélèvement. Pour animer ces centres ambulatoires, soit le laboratoire décide d’embaucher, soit il passe des conventions avec les professionnels (infirmiers libéraux…) et/ou les structures présentes sur le territoire (sécurité civile, Croix-Rouge, etc.). Il est indispensable de diversifier et d’organiser les points de prélèvements afin de contenir les flux de patients à dépister.


Concernant justement ce volume de patients venant se faire dépister, faut-il revoir les règles d’accès aux tests ? Quel rôle pourraient jouer les médecins ?

F.B. : L’enjeu est de remettre de l’ordre entre les types de patients, car cela permettrait aux laboratoires de biologie médicale de garantir de nouveau aux patients prioritaires un résultat dans les 24 heures, ce qui n’est plus possible en ce moment. Pour nous, il est nécessaire de réfléchir en niveaux de priorité. C’est ce que nous défendons auprès du ministère et nous avons bon espoir d’aboutir rapidement. Et dans ce cadre, nous estimons que les médecins sont indispensables pour nous adresser les patients prioritaires, en particulier ceux qui présentent des symptômes, afin qu’ils soient pris en compte comme tels.

On doit absolument être en mesure de réserver une file prioritaire aux patients zéro et aux cas contacts pour réagir vite face à un nouveau foyer. Sans cela, la stratégie de dépistage massive ne sert à rien. Les médecins, en coordination avec les équipes des CPAM pour les cas contacts, sont les mieux placés pour les faire entrer dans cette file prioritaire.

Nous travaillons donc pour que le Gouvernement accepte d’affiner les règles du jeu pour remettre du bon sens dans l’organisation des dépistages. C’est indispensable si l’on veut que la mobilisation des biologistes médicaux et leurs équipes soit efficace à la fois pour maîtriser les clusters tout en continuant à répondre à la demande de dépistage massif. L’arrivée des tests salivaires devrait d’ailleurs être une nouvelle arme pour le dépistage de masse.


Les biologistes médicaux pourront-ils rapidement utiliser ces nouveaux tests PCR par prélèvement salivaire ?

F.B. : Leur arrivée est en bonne voie. Nous attendons la liste des tests validés par les agences sanitaires nationales. Nous avons d’ores et déjà travaillé avec les tutelles sur leur intégration à la nomenclature pour qu’ils puissent rapidement être intégrés à la panoplie des tests utilisables par les biologistes médicaux.


Et concernant les tests antigéniques, quelle est votre position ?

F.B. : Tout ce qui permet d’accélérer et de fluidifier le processus de dépistage de masse est le bienvenu. Les tests antigéniques sont prometteurs sur le papier. Mais il reste de nombreuses questions quant à leur qualité, mais aussi leur déploiement dans les laboratoires de biologie médicale, car il nous faudra disposer des personnels techniques formés et suffisants. Nous suivons en tout cas le dossier de près.


Quels sont les autres points à améliorer ou à surveiller pour que les besoins de dépistage puissent être satisfaits dans de bonnes conditions ?

F.B. : Il y a urgence à informatiser correctement la partie administrative dans tous les points de dépistage ambulatoire. L’enjeu est celui de l’efficacité du circuit d’information et donc du rendu des résultats. Mais l’enjeu est aussi celui de l’emploi optimum des ressources disponibles, car il nous faut absolument préserver des forces pour assurer la biologie du quotidien. Hors période Covid, les biologistes médicaux et leurs équipes accueillent quotidiennement 500 000 personnes dans les laboratoires de biologie médicale. Il faut continuer à pouvoir les recevoir dans de bonnes conditions pour que les prises en charge courantes puissent avoir lieu.

Je pense également très important de prendre en compte les enjeux salariaux. Depuis mars, les équipes des laboratoires de biologie médicale sont sous très forte tension. Chaque laboratoire, chaque groupe, gère sa politique de ressources humaines, ce qui est bien normal. Mais au-delà de ce sujet qui concerne la relation employeur-employé, nous estimons important que le gouvernement prenne acte de l’engagement et de la mobilisation des personnels des laboratoires de biologie médicale, au premier chef des techniciens de laboratoires et des secrétaires médicales. Nous avons demandé au ministre de la Santé de réfléchir à la mise en place du même mécanisme de primes que celles dont ont bénéficié les personnels des laboratoire des hôpitaux.


Vous évoquez la biologie du quotidien. Nous savons que la grippe saisonnière sera bientôt de retour et que cela pose un problème de coexistence avec la Covid-19. Qu’est-il prévu au niveau du dépistage ?

F.B. : Il nous faut être prêts à dépister les deux en même temps, quand cela est nécessaire, afin de déterminer de quoi est atteint précisément le patient, les symptômes cliniques pouvant être quasiment les mêmes. Pour cela, nous travaillons avec l’Assurance maladie sur la possibilité, pour les biologistes médicaux de faire, pour des indications ciblées, un test PCR-grippe remboursé conjointement avec celui de la Covid.


Les tutelles ont-elles pris la mesure des défis à relever pour que la politique de dépistage soit un succès ? Ont-elles compris que la situation ne pouvait pas rester en l’état ?

F.B. : Je l’espère. Ce que je peux dire, c’est que nous ne ménageons pas notre peine pour leur faire comprendre la réalité de la situation. Des premiers pas importants ont été faits puisque nous avons dorénavant une doctrine nationale sur la priorisation des tests RT-PCR à laquelle nous avons activement participé. Nous travaillons également très bien avec les équipes du SIDEP et de Santé publique France, et le ministre de la Santé a félicité les biologistes médicaux lors de notre dernière réunion.

Mais, cela ne suffit pas et, je le répète, il est urgent de mettre en place différents niveaux de dépistage selon les priorités, d’analyser les besoins réels et d’organiser les dépistages au niveau des départements. Sinon, le système va être totalement noyé en cas de réelle deuxième vague et nous ne pourrons pas éviter un reconfinement, ce qui serait dramatique pour tout le monde.


Sur le plan technique, avez-vous des inquiétudes sur la capacité des laboratoires français à assurer les volumes de tests demandés ?

F.B. : Avec l’augmentation importante du nombre de tests à réaliser par semaine, nous devons gérer le défi des ressources et de l’organisation de nos plateaux techniques de dépistage si nous voulons répondre à l’objectif de rendre les résultats en 24 heures. Nous avons deux problématiques principales à régler : gérer la masse des prélèvements tout en gardant la capacité à répondre à l’urgence. Il faut donc que les biologistes médicaux disposent de suffisamment de machines, de réactifs et des matériels nécessaires.

Or aujourd’hui, le Gouvernement français ne semble pas en mesure de peser suffisamment dans la compétition mondiale qui se joue entre pays sur ces sujets d’approvisionnement. Nous ne sommes pas sereins sur la sécurisation de nos filières. Hormis quelques groupes ou laboratoires qui ont réussi et pu constituer des stocks suffisamment importants de réactifs, les autres sont mis sous tension par l’allongement des délais de livraison. Nous en sommes aujourd’hui à près de quatre semaines.

En outre, pour que tous les laboratoires puissent prendre sereinement les risques financiers pour constituer des stocks permettant de tenir à long terme, nous avons besoin d’une visibilité à moyen terme sur les besoins de dépistages réels et la stratégie de l’État. Et pour cela, nous en revenons à la nécessité d’établir des cibles clairement identifiées des cas à dépister afin d’en prévoir plus finement l’évolution au niveau de chaque département.

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