Enjeux & décryptages

Les Contrepoints de la Santé - 15 mai 2025

La lutte contre les déserts médicaux : un défi brûlant pour la France

Le 30 avril 2024, les Contrepoints de la Santé ont réuni des acteurs clés pour débattre d’un enjeu majeur : les déserts médicaux et la répartition des médecins sur le territoire. L’émission a rassemblé Guillaume Garot (député de la Mayenne, ancien ministre), le Pr Isabelle Laffont (présidente de la Conférence des doyens de médecine), le Dr Anna Boctor (présidente de Jeunes Médecins) et le Dr Killian L’Helgouarch (président de l’Intersyndicale Nationale des Internes, ISNI). Dans un contexte de tensions vives, marqué par une manifestation de 8 000 à 10 000 personnes la veille à Paris, ils ont confronté leurs visions sur l’accès aux soins, notamment la proposition de loi visant notamment à encadrer l’installation des médecins.

 

 

 

Une proposition de loi transpartisane sous tension

Guillaume Garot a défendu sa Proposition de loi (PPL), cosignée par 255 parlementaires, visant à réguler l’installation des médecins dans les zones surdotées. « Nous encadrons la liberté d’installation pour répondre à l’intérêt général, pas pour forcer les médecins », a-t-il insisté. La PPL propose également de supprimer la majoration tarifaire pour les patients sans médecin traitant et d’instaurer une première année d’études médicales par département.

Néanmoins, cette régulation suscite de multiples oppositions. Le Dr Boctor dénonce une « coercition » injuste : « 66 % des internes sont en burnout, 21 % en dépression, et on nous impose encore plus de contraintes. » Le Dr L’Helgouarch appelle au retrait pur et simple de la PPL, plaidant pour des solutions coconstruites.

 

« Il faut mettre un coup d’arrêt à ce creusement des inégalités et c’est là où intervient la régulation. Sinon, on va se retrouver avec des territoires qui n’auront plus du tout de médecins, et d’autres pour qui tout ira de mieux en mieux. » – Guillaume Garot

 

Un constat partagé, des analyses divergentes

Tous s’accordent sur la crise : 6 millions de Français sans médecin traitant, 8 millions en déserts médicaux. Guillaume Garot a pointé des disparités territoriales criantes, citant l’Atlas de la démographie médicale : « +27,9 % de densité médicale dans les Hautes-Alpes, mais -15,7 % dans la Creuse entre 2010 et 2023 ». Il propose un indicateur territorial (ITOS) pour mieux mesurer ces inégalités.

Pourtant, le Dr Boctor conteste l’idée de zones bien dotées : « À Cagnes-sur-Mer [zone dite « bien dotée »], mes patients attendent six mois pour un pneumologue pédiatrique. La pénurie est partout. » Pour elle, l’indicateur clé n’est pas seulement le nombre de médecins mais leur saturation et leur accessibilité.

 

Régulation ou incitations : un clivage marqué

Le député défend une régulation inspirée des pharmaciens, arguant qu’elle garantit une répartition homogène : « Pourquoi ça poserait problème pour les médecins alors que ça fonctionne ailleurs ? » Cependant, pour le Dr Boctor, la régulation des infirmiers n’a pas résolu les disparités. Selon elle, « le vrai problème, c’est le désamour pour l’exercice libéral » : seuls 30 % des généralistes formés s’installent en libéral.

Le Dr L’Helgouarch prône d’ailleurs des incitations, comme des stages en zones sous-dotées et une « universitarisation des territoires », pour ancrer les médecins localement sans les contraindre. La régularisation des 4 000 PADHUE (praticiens à diplôme hors Union européenne) pourrait également renforcer les effectifs.

 

La formation, un levier à moyen terme

Le Pr Laffont salue l’augmentation de 30 % des étudiants en médecine sur dix ans (de 8 000 à 11 700) mais alerte sur les limites : « Le nombre d’enseignants hospitalo-universitaires stagne depuis 1996, malgré un triplement des étudiants. » Elle propose des antennes universitaires en zones rurales plutôt que de multiplier les facultés et un « assistanat territorial » pour attirer les jeunes médecins.

« La territorialisation de la formation est clé mais il faut des moyens », a-t-elle souligné, notant que 75 % des départements offrent déjà une première année d’études médicales.

 

Solidarité territoriale : un compromis possible ?

La suggestion du Premier ministre François Bayrou de « jours de solidarité territoriale » (envoi 1 à 2 jours par mois de médecins en zones sous-dotées) est jugée insuffisante par le député Garot, qui y voit un simple complément à sa PPL. Le Dr L’Helgouarch soutient ainsi les initiatives volontaires comme Médecins Solidaires, rappelant que « 97 % du territoire est couvert par la permanence des soins sans obligation », mais rejette « le caractère obligatoire ».

Le Dr Anna Boctor a conclu en insistant sur le poids des freins structurels : « Sans attractivité économique et services publics, forcer les médecins ne résout rien. »

 


Chiffres clés et perspectives

  • 8 000 à 10 000 manifestants contre la PPL à Paris.
  • 6 millions de Français sans médecin traitant ; 8 millions en déserts médicaux.
  • 30 % des généralistes formés choisissent le libéral.
  • 66 % des internes en burnout ; 21 % en dépression.
  • 75 % des départements couverts par une première année d’études médicales.

Ajouter un commentaire