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Paroles de partenaires - 13 mai 2025

« Les biologistes disposent des données pour avancer vers une médecine préventive et personnalisée »

Alors que les données de santé des patients sont au cœur de toutes les conversations, comme ce sera le cas lors du prochain SantExpo (les 20, 21 et 22 mai prochains, Porte de Versailles à Paris), pour Bruno Gauthier, biologiste et président de la Société française d’informatique de laboratoire (SFIL), les biologistes médicaux(1) disposent de tous les leviers pour devenir des acteurs centraux de la santé numérique. À condition de structurer et de mieux valoriser les données de biologie et de repenser leurs usages, ils peuvent contribuer à fluidifier le parcours de soins et à tendre vers une médecine plus préventive et personnalisée. C’est l’une des principales conclusions du dernier congrès de la SFIL 2025. Un congrès qui a également mis en lumière deux enjeux qui restent à relever par l’ensemble des acteurs de la santé numérique : achever l’interopérabilité dont on parle tant et lutter contre l’infobésité dont on ne parle pas assez.

Propos recueillis par Renaud Degas avec Maellie Vezien

 

En conclusion du congrès de la SFIL, vous avez identifié deux principaux enjeux qui conditionnent, selon vous, l’intégration du numérique en santé dans le quotidien des professionnels de santé. Quels sont-ils ?

Bruno Gauthier : Les acteurs de la santé numérique ont développé de nombreuses solutions innovantes pour améliorer la prise en charge et simplifier les parcours de soins. Entre outils d’aide au diagnostic, d’aide à l’interprétation, applications de télésanté, l’objectif est clair : permettre aux professionnels de santé d’être plus efficaces. Pourtant, malgré des années de discours sur l’interopérabilité, ces systèmes peinent à communiquer entre eux.

Résultat : les professionnels se retrouvent avec une myriade d’applications et autant de logins et de mots de passe à retenir, ce qui devient rapidement fastidieux et décourageant. Beaucoup se limitent à l’utilisation d’une application, laissant de côté tout le potentiel offert par ces outils. La priorité aujourd’hui est de simplifier cette gestion, en proposant des solutions techniques accessibles, tout en accompagnant les professionnels dans la prise en main de leur système d’information. C’est ce que propose le programme Ségur, avec Pro Santé Connect, une plateforme qui permet de se connecter à tous les outils en un seul clic, pour éviter les multiples accès et rendre leur utilisation plus fluide.

L’autre défi est celui de « l’infobésité ». Ces applications génèrent en effet une quantité croissante d’informations qui surcharge les professionnels et rend parfois difficile la détection de l’information pertinente. Cette masse de données peut entraîner des errances diagnostiques ou des défauts de prise en charge. Pour faire face à ce problème, il est essentiel de disposer d’outils capables de trier, synthétiser et mettre en avant l’information essentielle, au bon moment. L’intelligence artificielle générative apparaît aujourd’hui comme une solution prometteuse, capable d’aider les médecins en filtrant efficacement la masse d’informations, pour leur fournir ce qui est vraiment important et améliorer ainsi la qualité des soins.

 

Qui doit se saisir de ces problématiques ?

BG : Dans le secteur de la biologie médicale, la SFIL se concentre sur l’interopérabilité et la structuration des données. En revanche, la question de « l’infobésité » doit être prise en charge par la Délégation du numérique en santé (DNS). En particulier, l’exploitation du Dossier médical partagé (DMP) intégré dans Mon espace santé de chaque patient.

À l’heure actuelle, la DNS est centrée sur un objectif quantitatif, à savoir atteindre un niveau important d’alimentation de Mon espace santé, avec environ 500 millions de documents de santé produits et déversés par an. Néanmoins, il est crucial de penser à l’exploitation de ces données et à l’évolution cohérente de l’ensemble de l’écosystème pour exploiter pleinement ce volume de données.

 

Où en sommes-nous de la structuration et de l’exploitation de la donnée de biologie, votre spécialité ?

BG : Au niveau de la structuration, cela fait bientôt dix ans que les biologistes(1) doivent transmettre leurs comptes rendus au format CDR 2 niveau 3, c’est un fichier XML avec des balises particulières. Ce format est mondial et il permet aux machines de communiquer entre elles, quel que soit le pays de provenance du compte rendu.

Pour la codification des examens de biologie médicale et le rendu des résultats, on utilise la codification LOINC maintenue par le Regenstrief Institute et dont chaque pays fait sa traduction. Il y a environ 500.000 codes dont 50.000 ont été traduits en France pour couvrir l’ensemble de l’activité de biologie médicale. Dans le cadre de l’interopérabilité et du développement des usages, on travaille les 3.500 codes qui correspondent à 95% de l’activité de biologie médicale.

Pour favoriser les usages et notamment la comparabilité, dans le cadre de la vague 2 du Ségur, nous allons proposer une codification LOINC unique pour les 200 examens les plus prescrits dans le secteur de la biologie. Une nomenclature des techniques et une grammaire des unités y sera associée de façon à ce que le biologiste puisse répondre à ses obligations réglementaires de description de la méthode utilisée pour le rendu du résultat et faciliter la consommation de ces données.

Pour ces 200 examens, un indice de comparabilité a été ajouté. Ainsi, quelle que soit la technique utilisée, les valeurs sont comparables si cet indice a une valeur de 1 et si la technique est discriminante, l’indice aura une valeur de 2. Cela va permettre d’alerter le praticien sur la comparabilité des résultats et de faciliter la prise en charge des patients.

 

Pourquoi est-ce important que ces données de biologie soient interopérables et comparables ?

BG : Pour que les logiciels d’aide à l’interprétation et à la décision exploitent au mieux les données biologiques, et pour permettre leur réutilisation secondaire, une qualification et un redressement adéquats des données sont indispensables. Si aujourd’hui ces données représentent une véritable mine d’or, moins de 1% d’entre elles sont ré-exploitées. L’exploitation optimale des données existantes pourrait révolutionner la prévention et le dépistage opportuniste, notamment dans les maladies chroniques, en anticipant les risques d’acutisation et les comorbidités.

Ce processus se ferait à coût marginal pour la Sécurité sociale, car nous exploitons les données provenant des examens de biologie standard déjà prescrits par les médecins. En revanche, sa mise en œuvre nécessite des investissements lourds pour les biologistes. Une valorisation de cette réexploitation doit être mise en place si on souhaite un déploiement rapide.

Des avancées significatives pourraient être faites en épidémiologie : le croisement des données vétérinaires, de l’environnement et des données biologiques permettrait, en cas d’infection, de choisir une antibiothérapie ciblée. Une stratégie essentielle dans la lutte contre l’antibiorésistance, un des grands enjeux sanitaires actuels.

En somme, avec l’appui des pouvoirs publics, les biologistes pourraient exploiter pleinement les données patients, ouvrant la voie à une médecine plus préventive et personnalisée. Le pas à faire n’est en définitive pas très important, les données nécessaires pour le faire étant déjà à disposition des biologistes.

 

 

1 – Pour rappel, les biologistes médicaux forment une profession reconnue officiellement depuis une loi de 2013 (LOI n° 2013-442 du 30 mai 2013 portant réforme de la biologie médicale – https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000027478077/). Cette profession est constituée de médecins et de pharmaciens spécialisés (titulaires d’une DES de biologie médicale).

 

 

 

Société française d’informatique de laboratoire (SFIL) en bref

Créée en 1985, la Société française d’Informatique de Laboratoire (SFIL) est une association loi 1901, à caractère scientifique, qui regroupe des biologistes privés et hospitaliers, industriels, responsables informatiques, DSI et consultants. Ses objectifs sont de promouvoir le développement et l’évolution des logiciels de laboratoires de biologie médicale, ainsi que de favoriser les échanges d’idées entre tous les partenaires.

Voir les replays du congrès 2025 de la Sfil

 

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