Enjeux & décryptages

L’oeil de la rédaction - 25 mars 2025

« Il faut mettre en place un plan massif de formation initiale et continue à la RSE »

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A l’heure où le réchauffement climatique et l’appauvrissement des ressources naturelles sont devenus des préoccupations de premier plan, la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) et des organisations (RSO) vis-à-vis des effets qu’elles exercent sur la société est une priorité. Y compris dans la santé, responsable de plus de 8 % de l’empreinte carbone de la France. Le point sur les enjeux du secteur en matière de RSE avec Olivier Toma, fondateur de Primum Non Nocere et associé chez Grant Thornton France – Développement durable.

 

Quel enracinement des enjeux RSE constatez-vous dans le secteur de la santé ?

Olivier Toma : Étant donné la pluralité et le cloisonnement du secteur de la santé, il n’est pas possible de répondre à cette question en ces termes. On pourrait tout au plus donner une photographie de l’engagement et de l’implication de tel ou tel acteur à un instant T.

Pour autant, les acteurs de terrain ont pleinement conscience de l’urgence à mettre en place une stratégie RSE et de santé environnementale puisqu’ils y sont confrontés dans leur exercice quotidien. Les dirigeants (d’organismes, établissements, etc.), en revanche, ne sont pas formés sur ces enjeux RSE : leur prise de conscience dépend donc de leur appétence personnelle. Par ailleurs, beaucoup résument encore la RSE à l’écologie – laquelle serait, de surcroît, punitive et coûteuse. C’est, de toute évidence, une vision biaisée : non seulement la RSE est beaucoup plus large mais, plus qu’une dépense, c’est un investissement qui permet d’accroître son attractivité et sa rentabilité.

 

Quels sont les grands enjeux dans ce domaine pour les cinq années à venir ?

O.T. : Il y en a trois principaux, tous aussi importants et qui concernent l’ensemble des acteurs : agir pour le climat, améliorer les conditions humaines (santé, bien-être au travail, respect des droits humains, santé environnementale) et préserver les ressources naturelles. Le défi est d’intégrer ces trois enjeux dans ses décisions quotidiennes, dans sa stratégie, dans son métier, à tous les niveaux. Et cela passe par la définition d’objectifs, de mesures et des plans d’action pour ces trois enjeux.

 

Dans le détail, quelles sont les priorités d’action pour le secteur de la santé sur cette période 2025-2030 ?

O.T. : Il y a, bien sûr, la réduction de l’impact carbone qui passe nécessairement par le calcul de son empreinte et la mise en place d’un plan de transition pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) directes et indirectes.

Vient ensuite tout ce qui concerne la politique d’achats responsables, qui doit être à la fois très structurée et de plus en plus professionnalisée. Autre point important : l’empreinte hydrique, c’est-à-dire la consommation d’eau directe et indirecte. C’est un sujet à plusieurs niveaux dont la quantité d’eau potable, mais également sa qualité et la question des rejets. Plus globalement, la réduction de l’impact des organisations sur la biodiversité fait partie des grands défis de demain. L’éco-conception des soins et des parcours de santé est également une priorité tout comme le bien-être et la santé au travail des professions de santé.

 

Le cadre réglementaire de la RSE est-il un levier ou, au contraire, un frein pour son déploiement ?

O.T. : À ce jour, la difficulté est que les règles existantes ont été pensées en fonction de la taille de l’entreprise ou de l’organisation, de sa localisation, de son secteur, de son statut etc. et tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Par exemple, un établissement public de plus de 250 salariés doit effectuer, dans le cadre de son bilan carbone, la mesure de ses émissions de gaz à effet de serre mais pas un établissement privé. Cela n’a aucun sens.

A cela s’ajoute que ce sont des lois non contraignantes, sans contrôle, ni sanctions, ni reconnaissance pour les acteurs qui agissent pour améliorer leur score de bien-être au travail, de diminution de l’empreinte carbone ou de lutte contre gaspillage par exemple. Ce n’est donc pas la réglementation qui donne envie d’agir mais bien de comprendre les enjeux et pourquoi il faut agir.

 

Par quoi cela doit-il passer ?

O.T. : un mot : l’andragogie, c’est-à-dire la pédagogie des adultes. On reçoit énormément d’information au quotidien mais, en réalité, comment sait-on ce qu’il faut faire concrètement ?

Pour y répondre et accompagner les citoyens, nous venons de lancer l’opération « Ambassadeurs 2030 – 10 puissance 10 », un mouvement collectif dédié à la responsabilité sociétale individuelle (RSI). Il s’agit de convertir les grands enjeux de la RSE en éco-attitudes individuelles via des indicateurs. Le principe : 10 personnes s’engagent en adoptant 10 éco-attitudes simples autour des trois enjeux principaux que nous avons évoqués. Chacun convainc ensuite 10 autres personnes de faire de même, l’idée étant qu’en fin d’année cela donne un indicateur qui traduit l’engagement (consommation d’énergie, usage unique…).

Avec cette méthode, ce sont quelque 8 milliards d’individus qui pourraient « statistiquement » être mobilisés d’ici 2030 avec, en prime, l’installation d’un cercle vertueux à grande échelle puisqu’on aura tendance à dupliquer dans sa vie professionnelle ce que l’on fait dans sa vie personnelle (et vice-versa). C’est pourquoi il faut vraiment générer un mouvement collectif à travers les citoyens professionnels et par les directions qui doivent se former sur ces sujets-là.

 

Est-ce à dire qu’aujourd’hui les questions de RSE ne sont pas appréhendées de la bonne manière pour les faire pleinement adopter ?

O.T. : Le problème vient de ce que ces enjeux ne sont pas – ou quasiment pas – abordés en formation initiale et continue. À titre d’exemple, dans les Instituts de formation aux soins infirmiers (IFSI) et les Instituts de formation d’aides-soignants (IFAS) où j’interviens comme formateur, on nous demande de le faire bénévolement car la question de la RSE n’est pas au programme et qu’il n’y a donc pas de budget ! Et c’est le cas dans toutes les formations de santé. Il faut donc mettre en place un plan massif en formation initiale et continue notamment en développent l’e-learning et la métaformation pour pallier le manque de formateurs sur le sujet.

 

Il reste donc beaucoup à faire dans le secteur de la santé. Faut-il donc le considérer comme un mauvais élève de la RSE ?

O.T. : Au risque de surprendre après tout ce que nous venons d’évoquer, la réponse est non. Et c’est même tout le contraire ! De fait, nous avons décliné la démarche dite THQSE (très haute qualité sanitaire et environnementale) à d’autres domaines (culture, administrations, collectivités territoriales, audiovisuel, hôtellerie…) pour pouvoir dresser une comparaison. Et le fait est que la santé a pris plusieurs années d’avance !

En échangeant avec des dirigeants d’autres secteurs, on constate qu’ils sont moins avancés que le monde de la santé. Et même, le secteur de la santé français est le plus avancé au monde sur la RSE. À titre d’exemple, lorsque nous avons créé le Comité pour le développement durable en santé (C2DS) en 2003, nous étions 25 dirigeants. Vingt ans après, le réseau compte plus de 900 structures adhérentes. Le partage des bonnes pratiques est tel qu’il y a eu une montée en compétences naturelles de l’ensemble des acteurs. C’est bien mais il faut aller plus loin et cela passe par une formation initiale et continue de pointe qui fasse de nous les leaders éclairés capables d’entraîner le reste du monde à notre suite.

Propos recueillis par Camille Grelle

 

À savoir

Le devoir de vigilance

La loi sur le devoir de vigilance de 2017 impose aux grandes entreprises françaises de veiller et prévenir les risques RSE (atteintes aux droits humains, aux libertés fondamentales, à la santé et à la sécurité des personnes et à l’environnement) sur l’entièreté de leur chaîne d’approvisionnement (filiales, fournisseurs, sous-traitants…).

Les réglementations européennes CSRD et CS3D vont plus loin, incluant les entreprises de plus de 500 salariés et, à compter de 2026, celle de plus de 250 salariés. « Bien qu’elles n’entrent pas dans le cadre réglementaire à proprement parler, les petites entreprises sont également concernées, notamment dans le cadre d’appel d’offres, alerte Olivier Toma. C’est pourquoi tous les chefs d’entreprise doivent se former : ces formations doivent devenir des leviers sociétaux et de management dans les entreprises. »

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