L’employeur est-il légitime à accéder à tous les documents ou données de santé du salarié ayant conduit à la reconnaissance de la maladie professionnelle ? Jusqu’où le secret médical peut-il être levé en cas de contestation par l’employeur d’une maladie professionnelle ? Quatre affaires récentes permettent à Alexandre Fievée, avocat associé, et à Alice Robert, avocat counsel du cabinet Derriennic Associés de faire un point précis sur l’état du droit en France aujourd’hui pour les lecteurs de La Veille Acteurs de Santé.
A l’occasion de quatre affaires similaires concernant un même employeur1, la Cour de cassation a été saisie de cette problématique et a tranché en faveur de la protection du secret médical.
Les éléments de l’affaire
Comme dans tout contentieux portant sur la contestation par l’employeur de la reconnaissance d’une maladie professionnelle, ces affaires opposaient un employeur à la caisse primaire d’assurance maladie (la « caisse »).
Dans ces affaires, la caisse a reconnu la qualification de « maladie professionnelle » car la maladie, objet du litige, figurait dans le tableau n°42 des maladies professionnelles intitulé « atteinte auditive provoquée par les bruits lésionnels »2.
Pour parvenir à une telle conclusion, la caisse avait préalablement procédé à une enquête et constitué un dossier, conformément à la procédure de reconnaissance de maladie professionnelle3.
Pour mémoire, ce dossier comprend la déclaration de maladie professionnelle et les divers certificats médicaux détenus par la caisse, les constats faits par la caisse, les informations échangées par le salarié et par l’employeur, ainsi que les éléments communiqués par la caisse régionale4. Ce dossier peut être consulté par l’employeur à l’issue l’instruction5.
Le secret médical au cœur de la controverse
L’employeur, qui a eu accès au dossier, a reproché à la caisse de ne pas y avoir joint l’examen audiométrique ayant fondé la reconnaissance de la maladie professionnelle. A noter qu’une évaluation audiométrique, répondant à des conditions strictes, est exigée par le tableau n°42. Du fait de cette carence, l’employeur considérait que la décision de la caisse de prise en charge de la maladie professionnelle lui était inopposable.
La caisse estimait, quant à elle, que ces examens d’audiométrie étaient couverts par le secret médical et n’avaient donc pas à figurer au dossier. Aussi, la caisse avait précisé que ses services administratifs n’avaient pas eu accès à cet examen détenu par le service médical, ce dernier ne pouvant lui transmettre en raison de ses obligations légales et déontologiques, sauf en cas d’expertise.
Comment alors articuler le respect des droits de la défense de l’employeur et la protection du secret médical ?
La Cour de cassation et son revirement de jurisprudence
La Cour de cassation a, au cours de ces dernières années, adopté différentes positions sur cette problématique.
Elle avait eu l’occasion de faire primer le secret médical en considérant que des examens médicaux n’avaient pas à figurer dans le dossier de la caisse6. Mais, concernant plus spécifiquement l’examen audiométrique prévu au tableau n°42 des maladies professionnelles, la Cour de cassation avait, en revanche, estimé que cet examen « échappe au secret médical » en considérant qu’il s’agit d’un « élément nécessaire à la réunion des conditions du tableau n°42 ».
Dans notre affaire, la Cour de cassation n’a pas suivi sa dernière jurisprudence en estimant que « l’audiogramme mentionné au tableau n°42 des maladies professionnelles constitue un élément du diagnostic couvert par le secret médical, de sorte qu’il n’a pas à figurer dans les pièces du dossier constitué par les services administratifs de la caisse ».
La Cour de cassation a notamment justifié son « revirement de jurisprudence » comme suit :
- Sa jurisprudence passée [faisant échapper l’examen audiométrique au secret médical] pose des difficultés « au regard des obligations déontologiques auxquelles sont soumis les professionnels de santé» ;
- L’équilibre entre le droit de la victime – le salarié – au respect du secret médical et le droit de l’employeur à une procédure contradictoire est « préservé par la possibilité pour l’employeur contestant le caractère professionnel de la maladie de solliciter du juge la désignation d’un expert à qui seront remises les pièces composant le dossier médical de la victime»7.
Ce que l’on peut retenir de cette décision.
Les éléments de diagnostics (examens médicaux), y compris ceux visés dans les tableaux de maladie professionnelle, n’ont pas à figurer dans le dossier de la caisse d’assurance maladie et, ainsi, n’ont pas à être communiqués à l’employeur.
Cette décision confirme la portée large du secret médical. En effet, l’employeur, qui ne peut accéder directement aux examens médicaux justificatifs, devra, en cas de difficulté/contestation s’en remettre à une expertise médicale (l’expert désigné pourra, quant à lui, être destinataire des examens médicaux).
Notes :
1 Cass. Civ. 3ème, 13 juin 2024, n°22-15.721.
2 Pour mémoire, une maladie professionnelle est considérée comme telle, soit parce qu’elle figure dans le tableau des maladies professionnelles (ces maladies étant présumées avoir été contractées dans le cadre professionnel si elles répondent aux conditions figurant audit tableau), soit parce qu’elles répondent à des conditions strictes (maladies essentiellement et directement causées par le travail habituel et entraînant le décès ou une incapacité permanente d’au moins 25%).
3 Article R.461-9 du Code de la sécurité sociale.
4 Article R.441-14 du Code de la sécurité sociale.
5 Article R.441-14 du Code de la sécurité sociale.
6 Exemples : Cass. Civ. 2ème, 17 janvier 2008, n°07-13.356 ; Cass. Civ. 2ème, 5 avril 2012, 10-28.484 ; Cass. Civ. 2ème, 30 mars 2017, 16-14.674 ; Cass. Civ. 2ème, 29 mai 2019, n° 18-14.811.
7 Dans ce sens : CEDH, décision du 27 mars 2012, Eternit c. France, n° 20041/10.
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