Points de vue

L’oeil de la rédaction - 2 octobre 2024

« Si rien ne bouge, les laboratoires pourraient rester portes closes de mi-décembre au 1er janvier »

Veille Acteurs Santé_François Blanchecotte_Grève des laboratoires de biologie médicale_Site

Les laboratoires de biologie médicale ont baissé le rideau, du 20 au 23 septembre derniers. Quatre jours de grève à l’appel de sept syndicats* pour protester contre la baisse continue de la tarification de leurs actes. Le point avec le Dr François Blanchecotte, président du Syndicat des biologistes (SDBIO).

Propos recueillis par Géraldine Bouton

 

Comment le mouvement a-t-il été suivi ? 

Dr François Blanchecotte : Massivement ! Plus de 96 % des laboratoires de biologie médicale ont fermé leurs portes durant ces quatre jours de grève, soit 4100 sites sur 4300. C’est la première fois que nous avons une fermeture quasi-totale des sites. Les réquisitions demandées par quelques ARS ont été contestées et n’ont pas abouti pour la plupart.

 

Quelles sont vos revendications ?

Dr F.B. : Au cours de l’été, l’Assurance-maladie a décidé, sans concertation, de réduire le tarif de nos actes de 9 %. Une mesure qui a pris effet mi-septembre et fait suite à une série de baisses de 11 % au total, au cours des deux dernières années. L’accord qui fixe nos tarifs repose sur un mécanisme de régulation prix/volume. Le prix des actes baisse lorsque la dépense dépasse l’enveloppe financière définie par l’accord, signé en 2023. Ce dernier est basé sur le chiffre d’affaires de référence auquel on ajoute 0,4 % par an pendant trois ans.

Depuis le début de l’année, nous connaissons une hausse importante des prescriptions d’examens de biologie. La Caisse nationale de l’Assurance-maladie a donc, de manière unilatérale, proposé de réduire nos tarifs.

Nous sommes les seuls à reverser de l’argent lorsque le volume d’actes, prescrits par d’autres que nous, dépasse la limite fixée. La biologie médicale ne peut pas financer ainsi la demande croissante de soins des Français des examens biologiques prescrits. Aujourd’hui, par exemple, nous payons une partie des tests de dépistage avec notre chiffre d’affaires. L’accroissement de ces examens indispensables à la santé publique alourdit en effet nos volumes d’examens et nous amène, de fait, à rendre de l’argent. Le dépistage devrait être un examen hors enveloppe. La situation des laboratoires se dégrade. Il faut revoir cet accord.

 

Vous contestez donc l’accord triennal qui encadre l’évolution de vos tarifs, signé il y a un an. Pourquoi le remettez-vous en cause aujourd’hui ?

Dr F.B. :  L’accord repose sur des estimations non partagées de la CNAM. Lorsque nous l’avons signé, nous n’avions pas connaissance de l’accroissement hors-norme du volume des actes. Si nous l’avions su, nous ne l’aurions pas signé. Nous avons donc décidé d’attaquer en référé cet accord, sa publication au Journal officiel et les modalités de vote en commissions. Depuis le mois d’août, nous ne participons plus aux réunions des commissions.

 

Avez-vous eu un retour de l’Assurance-maladie depuis cet épisode de grève ? 

Dr F.B. :  Aucun. J’ai eu un échange rapide avec le directeur général de la CNAM, le 20 septembre, en marge de la 30e université de la Confédération des syndicats médicaux français. Il reste sur ses positions, estimant que nous avons signé l’accord et que nous devons nous y tenir. Notre recours aujourd’hui sont les instances judiciaires, politiques, le Parlement et, bien entendu, notre nouvelle ministre de la Santé.

 

Que va-t-il se passer désormais ?

Dr F.B. :  Nous entrons dans la deuxième phase du mouvement. Nous allons rencontrer élus, parlementaires, conseillers ministériels… L’enjeu est de montrer très concrètement dans les territoires, de quelle manière les choses vont changer si nous restons sur cet accord.

Tous les laboratoires vont en effet être affectés par une baisse de leur chiffre d’affaires. Nous leur demandons donc d’afficher sur site les conséquences de ces baisses successives sur l’amplitude horaire d’ouverture au public, le recrutement du personnel…

Enfin, si rien ne bouge, les laboratoires resteront portes closes dès que nous estimerons que cela aurait comme conséquence de subir des baisses tarifaires dès janvier 2025. Ce « shut down » semble être le seul moyen de faire comprendre aux autorités que nous jouons un rôle auprès des 500 000 patients accueillis chaque jour dans nos laboratoires.

 

Si vous n’êtes pas entendus, craignez-vous vraiment une dégradation de l’offre de biologie médicale sur le territoire ? 

Dr F.B. :  La situation en zone rurale nous inquiète. Avec un faible taux de prescripteurs, les laboratoires de campagne ne bénéficient pas de l’augmentation de la prescription et endurent les baisses des tarifs. Ils vont fermer l’après-midi, si ce n’est déjà le cas, le samedi, voir définitivement.

Les inégalités vont se creuser entre zone urbaine et zone rurale pour l’accès aux soins, au compte-rendu rapide…

Qui va assurer l’alerte et mettre en place une prise en charge un vendredi soir en découvrant une anémie ou pire chez un enfant si les laboratoires ferment ? Le retard dans le diagnostic est une vraie perte de chance. Les décisions de la CNAM nous conduisent vers une biologie préindustrielle alors qu’on la souhaite praticienne, médicale et proche des gens.

 

Les laboratoires indépendants seront-ils plus touchés que les groupes ?

Dr F.B. :  Plusieurs études ont été publiées ces derniers jours. L’une montre que certaines sociétés d’exercice libéral seraient dans le rouge dès cette année. Même si l’on peut croire que les sociétés regroupées pourraient mieux résister, elles devront prendre des décisions de réduction de leurs coûts pour leur permettre de garder des marges pour investir et faire face à leurs engagements. Mais, quoi qu’il en soit, il y aura des répercussions pour les patients.

*SNMB, Biomed, FNSPBHU, SNBH, SDBIO, SLBC, SNMB-CHU.

Pour aller plus loin, lire leur dernier communiqué, en date du 1er octobre 2024 : « Préserver l’excellence de la biologie médicale face aux coups de rabot de l’Assurance maladie : une équation impossible pour le mouvement intersyndical des biologistes médicaux ».

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