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Paroles de partenaires - 10 mars 2023

« Le pilotage à coup de tableaux Excel est un pilotage à très courte vue et dangereux » (Daniel Guillerm, FNI)

Daniel Guillerm_Président FNI_BSI_Site

Daniel Guillerm, Président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI), principal syndicat d’infirmiers libéraux, a rendu publique la lettre qu’il a adressé le 2 mars à Thomas Fatôme, Directeur général de l’Assurance maladie, à propos du gel de la mise en œuvre du troisième volet du bilan de soins infirmiers (BSI) qui devait intervenir initialement en avril. L’occasion de revenir, pour La Veille Acteurs de santé, sur les enjeux de santé publique et d’organisation des soins liés à la mise en œuvre de cette mesure conventionnelle.

 

En quelques mots, qu’est-ce que le BSI ?

Daniel Guillerm – Le bilan de soins infirmiers, BSI, est un dispositif intégré dans l’avenant 6 à la Convention signé en 2019 entre les représentants des infirmiers libéraux et l’Assurance maladie. Ce dispositif consiste à forfaitiser à peu près 35% de l’enveloppe des dépenses des infirmiers libéraux consacrée aux actes relatifs à la prise en charge de la dépendance.

Jusque-là, nous étions au paiement à l’acte sur ces prises en charge. L’idée était de passer en forfait journalier avec une classification des patients en 3 catégories : patients légers, patients intermédiaires et patients lourds. Les niveaux de valorisation des forfaits diffèrent logiquement selon la classification.

Le dispositif devait s’appliquer en trois étapes :

  • La première, pour les patients âgés de 90 ans et plus, est intervenue en janvier 2020.
  • La seconde, pour les patients de 85 à 89 ans, après un bras de fer avec l’Assurance maladie, est entrée en application en septembre 2022.
  • Et la troisième, pour les patients de moins de 85 ans, devait s’appliquer en avril 2023. Or l’Assurance maladie ne semble pas décidée à s’inscrire dans ce calendrier.

 

Dès 2019, vous étiez donc favorable à l’introduction d’une dose de forfait dans le mode de financement de votre activité ?

D.G. – Nous étions plutôt en phase avec Jean-Marc Aubert qui réfléchissait à l’époque sur la réforme du financement de la Sécurité sociale. Nous avions, et nous l’avons encore, l’intuition forte que le tout paiement à l’acte ou le tout paiement forfait n’est pas la solution. Pour nous, la mixité des financements est incontournable.

Nous avons donc préféré négocier ce passage au forfait d’une partie de notre activité plutôt que d’avoir à la subir à la hussarde. Nous avons été et nous sommes encore proactifs sur le sujet. Non pas pour faire plaisir aux tutelles, mais parce que nous avons cette conscience aiguë qu’il faut faire bouger les lignes en termes de modalités de financement. Il en va de l’intérêt de tous.

 

Alors comment expliquez-vous que l’Assurance maladie mette aujourd’hui le pied sur le frein ?

D.G. – L’Assurance maladie a sous-estimé les besoins de la population. Elle constate, à date, un dépassement de l’enveloppe prévue pour le BSI pour les deux premières étapes de 11M€ euros et ne veut donc pas enclencher la troisième étape.

Or nous n’avons pas la même analyse de ce dépassement. Aujourd’hui, la CNAM se demande s’il n’y a pas de surestimation des niveaux de dépendance donc de facturation, conséquence d’un effet d’aubaine.

Pour nous, il s’agit simplement de la réalité du terrain, une réalité que l’Assurance maladie a sous-estimé depuis le début : une décorrélation des ressources allouées par rapport aux besoins. Il y a certes quelques abus et il faut les sanctionner. L’Assurance maladie a les moyens d’identifier ceux qui jouent avec la règle. Mais il est plus facile de pénaliser toute une profession et les Français plutôt que de faire de la gestion du risque ciblée et traiter le problème de ceux qui dérapent.

 

Quels sont les conséquences prévisibles de ce gel de l’étape 3 de l’application du BSI ?

D.G. – Tout d’abord, cela pénalise nos patients. Ils vont être confrontés à des problèmes d’accès aux soins. Le BSI permet en effet aux infirmiers libéraux de mieux prendre en charge les patients. A part quelques cas, le BSI est financièrement plus favorable que le paiement à l’acte. Cela nous incite donc à plus nous investir dans ce type de prise en charge.

Cela ne devrait pas faire peur aux tutelles. Plutôt que de voir les dépassements d’enveloppes prévues, elles devraient être contentes que les personnes âgées dépendantes soient bien prises en charge à domicile par des infirmiers libéraux. Cette solution est de loin la plus efficiente par rapport aux autres solutions – hospitalisation, Ephad, bien sûr, mais aussi services de soins infirmiers à domicile (SSIAD). Il a été calculé que si les infirmières libérales devaient être remplacées par les SSIAD, il faudrait trois fois plus de personnel.

En outre, le message envoyé aux professionnels de santé libéraux par l’Assurance maladie est délétère. Elle sabote toute velléité de changement au moment où le Président de la République lui-même demande une évolution des modes de rémunération vers plus de mixité – paiement à l’acte/paiement au forfait. Les résistances sont fortes chez les professionnels de santé de ville dont beaucoup sont attachés au paiement à l’acte. Alors si en plus, on fait tout pour braquer une profession qui est efficiente et volontariste sur le sujet, les pouvoirs publics se tirent une balle dans le pied et savonne la planche des syndicats professionnels progressistes.

En agissant ainsi, tout est fait pour que la cocotte-minute explose chez les professionnels de santé comme chez les citoyens. Le pilotage à coup de tableaux Excel est un pilotage à très courte vue et dangereux. Du point de vue de la bonne santé de notre système de santé et même sur le plan financier !

Propos recueillis par Lucien Sague

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