Points de vue

Tribunes - 2 mars 2023

Les conventions de l’Assurance maladie avec les professions de santé : un outil à consolider et à mieux situer dans la panoplie de transformation du système de santé (Analyse)

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Focus initialement publié sur le site du Laboratoire d’idées Santé Autonomie (LISA), dont nous sommes partenaires.

Refonder les conventions de l’Assurance maladie… le LISA, dont nous sommes partenaires, livre ses propositions !

 

I.Esquisse de diagnostic

1.La vocation originelle des conventions

La préoccupation politique à l’origine (début des années 1970) était simple : concilier les caractéristiques de la médecine libérale avec les conditions d’un financement socialisé, dans un contexte de développement exponentiel de l’offre de soins et des dépenses afférentes… et dans un climat de suspicion quant à une socialisation-étatisation de la médecine ;

La tarification est naturellement un sujet fondateur et il est légitime que toutes les professions y passent ; la question de l’articulation avec les politiques de revenus est posée ;

L’accès aux soins est un autre sujet originel, mais le sens a quelque peu changé, évidemment : à l’origine, il s’agissait d’amener le développement de l’offre de soins sur le territoire, il importe désormais de pallier des difficultés d’accès aux soins massives mais disparates, selon les territoires et selon les professions ;

Les préoccupations conventionnelles se sont rapidement étendues à des dimensions techniques, connexes, de gestion de la relation au sein du triangle assuré-professionnel-caisse[1] : informatisation, tiers payant.

Fidèles à cette vocation originelle, les conventions sont un système légitime a priori pour assurer à la fois la couverture du territoire et une certaine équité.

 

2.Les préoccupations contemporaines

Personne ne conteste la nécessité de porter de vraies réorganisations sur certaines populations / pathologies / problématiques, pour tenir compte, en particulier, du développement des pathologies chroniques et du vieillissement de la population : d’où l’intérêt de raisonner en termes de filières de soin et de parcours ;

La notion de « responsabilité populationnelle » a émergé au fil du temps. Elle est aux professions de santé ce que la responsabilité sociale est aux entreprises, avec une préoccupation à consolider quant à la dimension collective de la pratique et aux externalités – positives et négatives – de celle-ci[2]. Les externalités rendent notamment compte de l’interdépendance entre les professions et de leur impact sur le territoire : la présence vs l’absence des soignants est aujourd’hui mesurée en termes d’atout vs handicap pour les territoires ; elle retentit sur l’attractivité globale de ceux-ci ;

A défaut de régulation par le marché, la tarification – administrée – porte différentes dimensions : l’attractivité relative des métiers, la politique de revenus cible, implicite ou explicite, le soutien à l’innovation (technique ou organisationnelle), l’évaluation des coûts et des besoins d’investissement, la reconnaissance des externalités évoquées supra, le souci de rééquilibrer l’offre ;

Les préoccupations de démographie professionnelle : c’est évidemment un sujet de plus en plus pressant, que les conventions de l’assurance maladie se trouvent porter, comme les autres outils à disposition des pouvoirs publics, d’où un certain nombre d’ambiguïtés quant aux rôles ou aux responsabilités des conventions et l’émergence, parfois de sujets parasites (exemple des débordements sur les questions de formation, comme récemment dans la négociation avec les masseurs-kinésithérapeutes) ;

Et puis, il y a des sujets très contemporains, des résurgences du passé : la nécessité aujourd’hui de prendre en compte une forte inflation, qui percute la temporalité pluriannuelle des conventions, l’analyse des coûts et l’approche comparée des revenus entre les professions.

 

3.Un lieu unique / un lieu par défaut

Des syndicats rompus à la négociation : la force d’engagement de la convention et son caractère régulier pallient bien des difficultés de la représentation syndicale, que les professions de santé connaissent comme d’autres professions. Il y a là un lieu de négociation-confrontation-synthèse quasi permanent. Quels que soient ses travers ou ses limites, c’est une chance pour la négociation sociale dans notre pays ;

C’est aussi un lieu ritualisé : derrière le théâtre des négociations, les portes qui claquent… C’est un lieu accepté par les parties, un lieu concret, un lieu de production de normes, d’où l’impression de force de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) versus la faiblesse des ministères, parfois. Il y a, à tout le moins, dyarchie, d’où un questionnement : quels outils juridiques pour organiser la ville ? A la main de qui ? Sur la base de quelle délibération ?

Un lieu qui repose sur la confiance entre les parties, laquelle suppose de « protéger « la négociation des interférences ou des pressions extérieures, de documenter les propositions et de les évaluer (cf. infra), de respecter les clauses de revoyure convenues…

Un lieu structuré par les questions de la représentativité et des financements, avec les difficultés inhérentes :

    • L’opacité des modes de financement tirés de la convention ;

    • La question des ressources d’expertise des organisations syndicales ;

    • La question de la présence des autres parties prenantes (usagers et patients, professionnels en formation, collectivités locales) ;

    • La question, enfin, de l’engagement réel des parties à l’issue de la négociation : comment les syndicats signataires « embarquent » leurs troupes et assurent le service après-vente ?

Un dispositif où même l’échec des négociations est pris en compte, à travers le « règlement arbitral »[3] : mécanisme certes asymétrique quant aux prérogatives de l’Etat/assurance maladie et des syndicats… Nous y sommes…

 

4.Tout cela ne va pas sans quelques autres inconvénients ou lacunes 

La rédaction des conventions bien souvent : des règles absconses, dans la pratique, pour les praticiens et a fortiori pour les usagers. Cette caractéristique est pour partie le résultat de la complexité de plus en plus grande du monde de la santé. Elaborer une convention qui permette de prendre en charge toute cette complexité est très difficile, d’autant que l’assurance-maladie n’est pas seule en cause, d’où l’importance de formes de décentralisation de la définition des règles (cf. infra) ;

Un manège permanent compte tenu du nombre de professions concernées : manège permanent mais rythme quinquennal (au mieux) vs une loi de financement de la sécurité sociale annuelle ;

Une extension de périmètre non maîtrisée : cette « tendance inflationniste » conduit à allonger (démesurément ?), de manière régulière, la liste des matières conventionnelles au point de mélanger négociations tarifaires (finalité première des conventions nationales, on l’a dit) et questions structurantes relatives à l’organisation des soins, et plus largement à l’ensemble du système de santé ;

Le défaut d’articulation entre les niveaux professionnel et interprofessionnel et l’asymétrie entre les conventions médicales / autres :

    • L’organisation des soins est un sujet global et interprofessionnel : il est dès lors peu pertinent d’en discuter les modalités en dehors de dispositifs réellement interprofessionnels ; certes, les ACI (accords conventionnels interprofessionnels) existent, portent des sujets d’organisation importants (comme le financement des maisons de santé, en 2017) mais ils ne mobilisent pas tant que les conventions par profession et font rarement la une ;

    • Les négociations conventionnelles par profession sont le lieu où discuter des rétributions en lien avec un changement négocié dans le cadre interprofessionnel ; on peut aussi y discuter de sujet professionnels, comme les évolutions des pratiques, qu’elles soient internes à une spécialité donnée, à tous les médecins (notamment les avantages sociaux du type retraite supplémentaire), ou à tout un secteur (secteur 1 / secteur 2) ;

La reproduction du cloisonnement ville/hôpital : celui-ci est certes le reflet de sous-objectifs distincts de l’ONDAM (objectif national des dépenses d’assurance maladie) et de la dichotomie des statuts des professionnels (libéral versus salarié) mais paraît de plus en plus artificiel et difficile à justifier dans une logique de parcours et au moment où se développent les formes mixtes d’exercice (ville et autres formes d’exercice, hospitalière ou non).

En outre, les revalorisations consenties dans un segment relancent les revendications dans l’autre : après la convention médicale, on peut ainsi s’attendre à de nouvelles revendications « hospitalières » en faveur d’une augmentation post-Ségur pour combler l’écart de nouveau creusé (réel ou ressenti, justifié ou pas) avec les rémunérations en ville ;

D’autres aspects de la tarification (celle des dispositifs médicaux par exemple), qui ne relèvent pas des discussions conventionnelles, sont comme subordonnés à celles-ci ;

Une articulation défaillante avec les autres initiatives des pouvoirs publics (propositions de loi[4], fixation de l’ONDAM, Conseil national de la refondation – CNR santé, prospective stratégique…) ;

L’absence d’évaluation : la Cour des comptes n’a pas manqué de pointer cette lacune dans le chapitre consacré aux conventions de l’assurance maladie de son dernier rapport sur la Sécurité sociale[5] :

    • Cette lacune est en soi malheureuse… mais assez commune en matière de pilotage des politiques publiques ;

    • De surcroît, elle place les syndicats signataires des conventions dans une position délicate au moment de rendre des comptes… et de défendre leur position par rapport aux non-signataires ; ceux-ci ont beau jeu de s’abstenir ou de dénoncer, quand ils ne versent pas tout bonnement dans le poujadisme ;

    • Il y a cependant des contre-exemples favorables en matière d’évaluation : le dispositif de suivi de la nouvelle convention pharmaceutique, organisant l’évolution des rémunérations des officines (baisse des rémunérations basées sur le volume de boîtes de médicaments et mise en place d’honoraires) a été assez robuste et consensuel (avec confrontation des chiffres de la CNAM et de la profession en termes d’impact) ;

Il nous faut donc objectiver les résultats concrets de la politique conventionnelle en matière de santé publique et d’efficacité des soins, en déployant une évaluation médico-économique des résultats sur la base d’objectifs (spécifiques, mesurables, atteignables, réalistes et temporels), impliquant les professions et les professionnels de santé (notamment « Peer review » et indicateurs de terrain que les professionnels puissent s’approprier).

Résumons l’affaire : la convention est un outil puissant, un atout de la négociation sociale dans notre pays ; elle peut accompagner le changement des organisations mais ne saurait à l’évidence se substituer à un plan, un dessein global.

 

II.Principes pour une refondation

Résumons la préoccupation qui nous semble devoir prévaloir pour consolider les dispositifs conventionnels de l’assurance maladie : mieux articuler les échelles temporelle, administrative, professionnelle et géographique.

Insérer les conventions dans une stratégie pluriannuelle : construire le changement et le porter

Raisonner sur le triptyque stratégie (en particulier, vision de la santé, organisation cible, rôles des professions) / objectifs / moyens ;

Considérer l’intérêt d’une programmation législative à cinq ans (loi de programmation sanitaire) pour ne pas laisser à la seule convention le poids d’organiser le changement dans la durée, alors même qu’elle ne porte qu’une partie des outils et se trouve bridée par la contrainte d’une loi de financement de la sécurité sociale annuelle ;

Il faut en effet investir – au sens plein du terme –  dans la transformation des organisations, en particulier pour traiter la question centrale aujourd’hui de l’accessibilité des soins. Le temps long, c’est à la fois la profondeur nécessaire pour envisager le changement des organisations mais aussi pour tenir compte des investissements que doivent faire les professionnels libéraux ;

Il convient, bien entendu, de ne pas négliger les enjeux de court terme (inflation notamment) pour lever les freins et embarquer les acteurs ;

Plus facile à dire qu’à faire : il faut donc concilier agilité et portabilité dans le temps ;

 

1.Clarifier la répartition des responsabilités Assurance maladie / Etat :

A l’Etat de fixer le cap, à l’Assurance maladie, aidée des OCAM, d’organiser les choses en termes de financement ;

Au préalable, il faut un partage sur le diagnostic, la vision, les objectifs de moyen terme (équité, travail en équipe, développement de la coopération, etc.), la question cruciale des frontières des métiers : sans cela la négociation est viciée à l’origine et les crispations nombreuses ; ce débat ne doit pas se tenir en catimini ;

Sans laisser de côté les questions qui fâchent :

    • Travailler sur une politique des revenus des différentes professions ne doit pas être tabou, ne serait-ce que pour permettre les stratégies d’investissement nécessaires au changement des organisations ;

    • Réfléchir à l’attractivité relative des différentes spécialités, en ville et à l’hôpital ;

    • Se donner des outils cohérents avec les objectifs de qualité… Souvenons-nous de la « maîtrise médicalisée » : l’arbitrage prix-volumes ne doit pas être tabou ;

Autrement dit, le bon réglage est de définir une ligne stratégique (accessibilité – nouvelle organisation – boîte à outils) à l’issue d’un travail de diagnostic partagé ; après, vient le moment de l’opérationnel dans le temps court de la négociation (modalités de rémunération, efforts contractualisés avec des engagements, d’où la nécessité de s’entendre sur des indicateurs… et d’en disposer) ;

Il faut donc des lieux de partage sur les diagnostics et la construction possible du changement : le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM) pourrait être ce lieu, dans la tradition historique du Commissariat au Plan, à condition de retrouver une forme de centralité, c’est-à-dire d’être le lieu où l’ensemble des parties (pouvoirs publics, organisations professionnelles, usagers, collectivités locales intéressées, opérateurs économiques, etc.) se retrouvent, en amont des discussions conventionnelles ou d’une loi de programmation à bâtir, pour débattre, confronter et élaborer les lignes de force d’un cadre stratégique[6] ;

La force de la convention est ensuite d’« embarquer » l’ensemble des acteurs, en se donnant du temps pour la transformation (cinq ans), quitte à ce qu’il y ait des clauses de revoyure ou à ce qu’on se projette dans une convention future pour parachever la transformation.

 

2.Mieux articuler les niveaux professionnel et interprofessionnel

Un peu à l’instar de ce qu’on voit dans le milieu conventionnel des salariés du privé, le niveau interprofessionnel doit porter sur l’organisation des soins entre professionnels de santé (en fait, tous les sujets communs aux soignants de ville) ; le niveau professionnel doit se concentrer sur les modalités propres à chaque profession et sur son financement ;

Tout ce qui est interprofessionnel doit être posé, cadré, négocié et signé à titre préalable avant qu’on discute des modalités pratiques avec chaque profession. Il faut donc assujettir les négociations par profession aux négociations interprofessionnelles, en sorte que tant que l’interprofessionnel n’est pas négocié, on ne peut que proroger les accords par profession, sans revalorisations des tarifs. La pression tarifaire est le seul moyen d’aligner tout le monde. Et ne pas parler de tarif au moment de négocier l’organisation est aussi une condition clé du succès ;

On pourrait aussi imaginer d’assujettir aux négociations conventionnelles les revalorisations des bases de remboursement quelle que soit la profession en sorte que la pression tarifaire soit bien appliquée à l’ensemble des soignants et pas seulement aux médecins ;

Il y aura toujours du grain à moudre par profession dans les négociations conventionnelles. La difficulté viendra de ce qu’au moment de négocier sur des changements d’organisation des soins en accord interprofessionnel, chaque profession voudra avoir des gages pour sa prochaine négociation conventionnelle. Cet « entre-deux » doit donc être verrouillé pour que les syndicats ne craignent pas de rétropédalage quand ils négocieront avec la CNAM.

De son côté, la CNAM devra disposer des moyens d’honorer ses promesses en termes budgétaires, sans veto ministériel a posteriori, qui anéantirait sa crédibilité ;

 

3.Décentraliser en partie la négociation au plus près des usages

Redisons-le : il y a ce qui relève de l’échelon national, dans un partage raisonné Etat-assurance maladie :

  • Un débat préalable, un diagnostic et une vision partagés, dans une enceinte appropriée : un HCAAM rénové par exemple ;

  • La définition d’une ligne stratégique sur l’organisation cible et des dimensions clés (dont la politique des revenus) : cela relève de la lettre de cadrage ministérielle ;

Il faut bâtir une déclinaison opérationnelle sous forme de principes clés et de boîte à outils dans le cadre de la négociation conventionnelle : cela appartient à la CNAM et aux parties à la négociation. Innover dans les organisations, les outiller (notamment en termes de systèmes d’information), faire évoluer les modes de paiement : il faut travailler sur l’articulation de ces trois dimensions, compte tenu de modes d’exercice diversifiés et qui ont vocation à rester tels ;

Il faut promouvoir une vision réaliste (vs dogmatique) compte tenu des priorités du moment (accessibilité) : quelles sont les ressources disponibles sur le terrain ? Quelles sont les propositions concrètes sur la table en matière d’accès aux soins ? Il y a donc aussi à distinguer ce qui relève de l’échelon régional ou infra-régional :

  • Contrairement au niveau national (logiquement professions centré, jusqu’à présent), le niveau de proximité est plus naturellement le lieu de la confrontation au réel et de la nécessité de la coopération (même si celle-ci peut avoir du mal à émerger ou avoir longtemps été asymétrique). C’est bien l’organisation territoriale pluri-professionnelle, permettant de mieux répondre aux besoins de soins, qui devrait constituer le fil conducteur de la négociation conventionnelle. De fait, les professionnels « embarqués » dans des CPTS (communautés professionnelles territoriales de santé) n’ont pas le même discours que les mêmes professionnels considérés isolément ou organisés en mono-profession ;

  • Les situations territoriales étant objectivement diversifiées, il est légitime de reprendre les éléments de diagnostic à une échelle appropriée, pour bâtir là aussi une approche partagée, concrète, documentée par les expériences des acteurs (à partir des nouvelles organisations déployées en particulier).  Si les concepts de « coordination » et « d’approche populationnelle » sont communément présentés aujourd’hui comme le Graal de la transformation de notre système de santé, ils recouvrent des approches, des réalités et des ambitions extrêmement variées. Un préalable à toute transformation est donc de partager à la fois les définitions de ces concepts, les variantes/déclinaisons possibles notamment en regardant la situation dans d’autres pays/régions d’Europe plus avancés sur ces questions et les objectifs à court/moyen et long terme ;

Il y a urgence à bâtir des solutions adaptées au terrain, compte tenu des problèmes massifs d’accès aux soins : n’occultons pas le risque non négligeable aujourd’hui de contournement des dispositions conventionnelles si les solutions n’apparaissent pas pertinentes… sans parler des propositions de loi qui peuvent (re)surgir à tout instant ;

Il y a d’ailleurs déjà des formes de déclinaison régionale : le zonage a déjà des effets importants en termes de financement pour les médecins (aides à l’installation, etc.) ; les collectivités locales sont, de leur côté, de plus en plus actives sur le déploiement de dispositifs destinés à consolider l’attractivité de leur territoire pour les professionnels de santé ; les initiatives de l’ensemble des acteurs doivent être concertées, pour ne pas virer à la cacophonie ou à la compétition entre les territoires. Les adaptations territorialisées, indispensables encore une fois, doivent donc s’inscrire dans un dessein d’ensemble ;

Il y a des exemples dont on peut s’inspirer : la confusion a longtemps régné en matière de santé numérique : Etat / CNAM, Etat central / services déconcentrés, avec un sentiment de gabegie ; la répartition des rôles apparaît aujourd’hui mieux réglée ;

Il y a nécessité de recréer des marges de discussion au plan territorial, au plus près des besoins et de la capacité de coordonner les acteurs… ce qui pose d’ailleurs la question de l’articulation des échelles régionale et départementale. Autrement dit, il faut travailler à une échelle pertinente, qui peut être le département :

    • A ce niveau, on a un petit nombre de CPTS, demain d’équipes de soins spécialisés ; il est donc possible d’identifier collectivement, en interprofessionnel et avec les patients, les problématiques du territoire ;

    • Face à ces problématiques, on dispose dans bien des cas de protocoles (élaborés notamment par la Haute autorité de santé – HAS), qu’il s’agisse de la prise en charge d’épisodes ponctuels ou du suivi de patients chroniques. Il est important de conduire un travail assez systématique sur la protocolisation des prises en charge et de voir, sur le terrain, les professionnels susceptibles d’être mobilisés, dans un cadre de responsabilité bien réglé ;

    • Ce qu’on attend de la convention consolidée aux niveaux professionnel et interprofessionnel, c’est la boîte à outils qui permette de fabriquer sur le territoire une organisation adaptée et soutenable économiquement pour les acteurs du soin ;

  • Quelles structures de rémunération[7] ? Quelle part populationnelle dans la rémunération ? Construite comment ? Comment bâtir la rémunération à l’épisode de soin ? Quelle organisation financière pour les professionnels rendus solidaires ? Quelle mesure de la performance ? Les expérimentations article 51[8] sont là avant tout pour bâtir des références en la matière et permettre de réfléchir à des organisations économiquement viables.

La négociation conventionnelle par profession a besoin d’être éclairée par des discussions et un cadrage au niveau interprofessionnel sur le travail en équipe et le partage des responsabilités entre professionnels, qui permettrait de partir des protocoles validés par la HAS ou expérimentés dans le cadre de l’article 51 pour établir des bases de rémunération, à partir du temps de travail mis en œuvre par chacun, en laissant au niveau territorial une capacité d’adaptation pour créer les incitations nécessaires au développement du travail en équipe (par exemple sous forme de majorations décidées au niveau local ou de primes aux résultats).

La définition de modèles de rémunération pluriels, adaptés à la diversité des organisations de soins et aux réponses qu’elles apportent, est désormais incontournable, à charge pour les professionnels de santé et les structures de soins de retenir l’option la plus en phase avec leurs pratiques et leur patientèle.

Au moment de conclure, il est intéressant de revenir à l’ambition de la réforme du financement que portait « Ma santé 2022 » et qu’exprimait le rapport de Jean-Marc Aubert[9] à travers un modèle global (et non limité aux établissements de santé). Certes, il ne s’agissait pas de remettre en cause le principe de paiement à l’acte, du moins pour les médecins spécialistes, mais le rapport dessinait un schéma cible à travers un modèle de paiements combinés, pour articuler les financements en ville et en établissement.

Où l’on retrouve l’importance de la vision d’ensemble, pour éviter l’impression que les avancées se font de manière désordonnée et au coup par coup : « business as usual » dans le cadre des négociations conventionnelles, sortie de la tarification à l’activité (T2A), annoncée par le Président de la République, sans que l’on sache par quoi la remplacer et sans d’ailleurs que personne n’imagine sérieusement l’absence totale de compartiment de financement tenant compte de l’activité en court séjour, mise en place progressive de réformes inspirées du rapport Aubert (urgences, psychiatrie, enfin peut-être SSR/SMR…).

Consulter toutes les analyses de Lisa sur www.lisa-lab.org

 

 


[1] Triangle auquel il faut aussi ajouter les organismes complémentaires d’assurance maladie (OCAM) même si le moins que l’on puisse dire est qu’on n’a guère entendu leur voix ou leurs propositions dans les négociations qui s’achèvent.

[2] Les économistes désignent par « externalité » ou « effet externe » le fait que l’activité de production ou de consommation d’un agent affecte le bien-être d’un autre sans qu’aucun des deux reçoive ou paye une compensation pour cet effet.

[3] Article L162-14-2 du Code de la sécurité sociale : « En cas de rupture des négociations préalables à l’élaboration d’une convention ou d’un accord conventionnel interprofessionnel mentionnés aux articles L. 162-14-1 ou L. 162-16-1 ou d’opposition à la nouvelle convention ou à l’accord dans les conditions prévues à l’article L. 162-15, un arbitre arrête un projet de convention ou d’accord dans le respect du cadre financier pluriannuel des dépenses de santé. Le projet est soumis aux ministres pour approbation et publication, selon les règles prévues à l’article L. 162-15, sous la forme d’un règlement arbitral. Les dispositions conventionnelles antérieures continuent de produire leurs effets jusqu’à la date d’entrée en vigueur du règlement. Le règlement arbitral est arrêté pour une durée de cinq ans. Toutefois, les partenaires conventionnels engagent des négociations en vue d’élaborer une nouvelle convention ou un nouvel accord au plus tard dans les deux ans qui suivent l’entrée en vigueur du règlement arbitral. Celui-ci cesse d’être applicable à compter de l’entrée en vigueur d’une nouvelle convention ou d’un nouvel accord. »

[4] Lisa a eu l’occasion de traiter de la question des propositions de loi dans un papier récent

[5] Consulter le rapport sur le site www.ccomptes.fr

[6] Produire des rapports, aussi intéressants soient-ils, n’épuise pas la vocation d’une telle instance.

[7] Rappelons que la convention concerne non seulement la nomenclature générale des actes professionnels (NGAP), dont on parle, comme à l’ordinaire, beaucoup, mais aussi la classification commune des actes médicaux (CCAM) dont on parle généralement beaucoup moins…

[8] La loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 a introduit, en son article 51, un dispositif permettant d’expérimenter de nouvelles organisations en santé reposant sur des modes de financement inédits. Voir à ce sujet les travaux de l’observatoire mis en place par la société Proxicare

[9] Task Force « Réforme du Financement du système de santé », Vers un modèle de paiement combiné, Réformes des modes de financement et de régulation, à lire ici.

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