Points de vue

Les Contrepoints de la Santé - 14 janvier 2023

Un « hôpital à l’échelle humaine ». Oui mais comment ? (Vidéo)

Le Président de la République a présenté, le 6 janvier dernier, un nouveau plan de réforme du système de santé. L’enjeu ? Réorganiser, décloisonner et faciliter les coopérations, a-t-il évoqué. Un plan essentiellement centré sur l’hôpital, qu’il souhaite « à échelle humaine ». Quelles sont les chances de succès de ce nouveau plan ? Comment sortir des tensions actuelles ? Comment réformer en associant toutes les parties prenantes ?

Telles sont les questions abordées le 24 janvier 2023 dans les Contrepoints de la Santé, dont nous sommes partenaires, en présence de Charles Guépratte, nouveau directeur général de la FEHAP, Vincent Roques, directeur à la FHF, Christine Schibler, déléguée générale de la FHP et, enfin, Rémi Salomon, pédiatre, président de la CME de l’APHP et, depuis un an, Président de la Conférence des Présidents de CHU.

 

Pour Charles Guépratte, difficile de dire que le plan présenté par Emmanuel Macron en début d’année soit « une révolution complète ». Ceci étant, les « constats ont été à nouveau bien posés, avec beaucoup de lucidité, y compris sur des mesures qui n’ont pas été jusqu’au bout en 2018 », donc « oui, on a le sentiment qu’une dynamique forte  est impulsée, que des sujets importants sont pris en compte », estime-t-il. Parmi eux : le financement de l’hôpital et la fin de la T2A, très attendue. Il salue également un budget et un calendrier « plus qu’ambitieux » avec la réallocation de 80 milliards d’euros d’ici le 1er juin.

Christine Schibler se félicite quant à elle la volonté de « voir perdurer » la logique de coopérations agiles née durant la crise Covid ainsi que la « prise en compte », « enfin »,  de « la pénurie de personnel » dans le secteur.

 

L’espoir d’une impulsion pour les 6 prochains mois

« Ce qu’on peut espérer », relève Vincent Roques, « c’est que ce discours mette un cap, une impulsion pour que les six prochains mois soient ceux enfin des transformations que nous attendons ». Et de rappeler qu’on « parle aujourd’hui de la crise de l’hôpital » mais que « l’enjeu, c’est bien la crise du système de santé » : « on ne peut pas penser la crise de l’hôpital sans penser également la crise du premier recours… » Ce qui suppose, entre autres de renforcer l’exercice coordonné.

L’articulation des ambitions du Président de la République avec le CNR santé reste encore à préciser, de même que la méthode de leur mise en œuvre. « On espère une concertation avec l’ensemble des acteurs et notamment les fédérations » d’établissements, glisse Charles Guépratte, ce qui serait dans la logique des choses, appuie Christine Schibler.

Les acteurs de terrain sont donc dans l’expectative. « J’avais vu, avec quelques pédiatres le 23 décembre, le Président de la République et je lui avais dit que les soignants se sentaient abandonnés. Je lui avais dit, Monsieur le Président, il faut que vous preniez la parole rapidement et que vous annonciez des mesures concrètes. Il a pris la parole rapidement. Les mesures concrètes, on attend. Ce n’est pas un plan qui est annoncé pour le moment, ce sont des intentions, pleins de bonnes intentions, c’est vrai. Mais quand je discute avec les soignants depuis le discours du Président de la République, je n’ai pas le sentiment qu’ils soient pour le moment rassurés », détaille Remi Salomon.

 

L’urgence est absolue

Dans l’attente, « les soignants », comme les médecins, « continuent de partir », même si, « dans les CHU pour le moment, on est relativement préservé », détaille le Président de la Conférence des Présidents de CHU. Et de nuancer très vite : « je dis pour le moment, mais il y a quand même une chute de l’attractivité » vis-à-vis des « carrières hospitalières et hospitalo-universitaires ».

Il n’a d’ailleurs, dans le discours présidentiel, « pas beaucoup entendu parler des CHU et au moment où on dit que la formation est un enjeu majeur, c’est un peu regrettable ». Il n’a pas non plus « entendu parler de l’Ondam » « on a parlé du mode de financement, mais pas de l’enveloppe globale ». Et d’enfoncer le clou : si « beaucoup d’argent a été mis sur la table avec le Ségur, c’est vrai », « ça ne suffit pas pour le moment », « on sait qu’aujourd’hui le compte n’y est pas ».

Vincent Roques confirme : « le budget des établissements de santé est voté chaque année par le Parlement, sur proposition du gouvernement », or « il y a un écart considérable » entre « les taux d’évolution de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie, le fameux Ondam«  et « l’évolution dite naturelle des dépenses », du fait de l’évolution des salaires, des innovations, etc. « Quand on regarde le différentiel entre les deux depuis 2005, il y a eu à peu près 10 milliards d’euros d’économies sur l’Ondam hospitalier, c’est à dire 10 % de l’Ondam. »

De plus, « au niveau des établissements, il faut bien faire avec ce budget qui est voté par le Parlement » or « le premier poste de dépenses, ce sont les ressources humaines » et, « entre 2013 et 2018, l’emploi dans les hôpitaux publics a augmenté de 0,1% », alors que « l’activité a augmenté de 10% », note-t-il, déplorant une « politique comptable trop restrictive » et « des efforts de productivité considérables » demandés aux équipes.

 

L’enjeu de l’attractivité

Et cela joue sur l’attractivité des postes, qui reste un problème majeur, insistent, à l’unanimité, les quatre invités. Bref, réussir à recruter et à garder les professionnels. « Pour recruter les professionnels, il faut qu’ils existent ce qui veut dire, en premier lieu, qu’il faut en former davantage », détaille Vincent Roques. « Nous considérons que dès lors qu’on regarde les besoins du système de santé à l’hôpital public, il y a à peu près 5% de postes d’infirmiers et 2,5% de postes d’aides-soignants vacants, ce qui fait 20 000 professionnels à peu près. » Il faut donc renforcer les capacités de formation des IFSI, des IFAS…

Aujourd’hui, « les lits sont fermés parce qu’on manque d’infirmiers », par exemple, confirme Rémi Salomon. De fait, 16% des lits sont fermés à l’APHP… « Il nous faut aussi recruter 100 000 personnes dans les Ehpad », renchérit Vincent Roques.

Mais « il ne s’agit pas juste de former » des soignants et de les « faire venir à l’hôpital » : il « faut les retenir », insiste Remi Salomon. Il rappelle qu’ « il y a 10 ans, 80% des diplômés allaient à l’hôpital aujourd’hui, c’est 40% seulement ». En outre, « 20 à 30% des étudiants abandonnent en cours d’études, donc y a un problème… » A l’IFSI de Nice, « on est monté à 50% », déplore Charles Guépratte, qui relève « des départs lors du premier stage et des départs tout au long du cursus ».

 

Le secteur public comme privé concerné

Les raisons sont multiples : conditions de travail difficiles, rémunérations insuffisantes bien qu’elles aient été  augmentées avec le Ségur… « on est juste dans la moyenne européenne donc ce n’est pas si mal mais ce n’est pas si bien », observe Remi Salomon. Sans compter, dans les grandes villes, la problématique du logement et du transport.

Et le secteur privé n’est pas mieux loti. Pour Christine Schibler, « il n’y a absolument pas matière à opposer les secteurs publics et privés entre eux » puisqu’ils souffrent tous deux des « mêmes pénuries, des mêmes difficultés ». C’est « une très bonne chose que le président souligne ce problème d’attractivité, de ressources humaines, » mais, maintenant, les actions concrètes se font attendre. « Ça fait de nombreuses années qu’on souligne le manque d’attractivité du secteur, de personnel formé, de personnes dans les écoles, de financement, de possibilité d’avoir des passerelles entre les métiers et rien ne se passe ».

Et de citer un exemple : « les fédérations, toutes ensemble, ont porté un certain nombre de propositions, il y a un an pile, au gouvernement » sur « la formation pluriannuelle des paramédicaux » ; « on n’a jamais reçu même un accusé de réception ». Par ailleurs, « les fédérations privées sanitaires et médico-sociales, plus la Croix-Rouge, ont porté, au sein de l’Opco Santé, des propositions communes pour revoir la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel de 2018 qui n’est pas adaptée à la santé et qui doit être revue. » Envoyées en septembre, elles sont, pour l’instant, restées lettre morte, regrette la déléguée générale de la FHP.

Retrouvez tous les débats des Contrepoints de la Santé (synthèses et vidéos) dans notre rubrique dédiée !

Ajouter un commentaire