Amandine Rey alias Celo Fane et Aline Vaichère, 40 ans, sont artistes plasticiennes, professeures et amies. L’une est installée dans l’Ain, l’autre dans la Drôme. Ensemble, elles se sont lancées dans le projet « Quand c’est rose », qui fait intervenir différents médiums comme la photographie, le dessin et la broderie. Né de la maladie, il reflète aussi bien le combat contre le cancer du sein dont l’une a été victime, que l’amitié qui les lie toutes deux depuis leur première année de faculté à Saint-Etienne.
Leur travail a été présenté au corps médical pour la première fois en 2013 à Lyon et continue, depuis, d’être proposé dans différentes galeries ou lieux éphémères d’exposition. L’occasion de déplacer le secteur de la santé dans des espaces parfois inédits et de s’interroger sur la place de l’artiste dans l’univers médical. L’occasion, également, de rendre hommage aux femmes qui se sont battues ou se battent encore contre la maladie pendant ce mois d’Octobre rose… Interviews.
Comment est née votre collaboration sur le projet « Quand c’est rose », projet on ne peut plus intime et personnel ?
Aline Vaichère : Lorsque nous nous sommes rencontrées à la faculté d’arts plastiques, nous avons tout de suite accroché l’une avec l’autre. Nous avons très vite collaboré sur des projets d’études comme des projets personnels et pris l’habitude de solliciter l’aide de l’autre dans nos projets créatifs, soit comme assistante soit comme modèle. Nos travaux se faisaient écho. L’idée d’une collaboration s’est imposée comme une évidence et s’est effectuée très naturellement, même si chacune d’entre nous use de techniques et de médium qui lui sont propres.
Quand, à 26 ans, le diagnostic d’un cancer du sein est tombé pour Amandine, nous avons eu besoin de sortir, de quitter le cocon de la maison pour se réfugier chez l’autre. Il nous a alors semblé évident de garder une trace de cet état fascinatoire et transitoire du corps par des mises en scène. L’acte de création est devenu thérapie, une manière de se jouer du sort, de le conjurer, un pied de nez à la destinée. La collaboration d’antan a refait surface, l’une en immortalisant l’instant, l’autre en suturant les plaies.
Un jeu somme toute pas très sérieux, au départ voué à rester dans nos tiroirs. Mais l’inconscience de l’âge facilitant un regard à la fois non traumatique et distancié, cela nous a donné envie de retravailler cette matière expiatoire et de lui donner vie au-delà de nous-même.
Amandine Rey : C’est avec une fascination partagée, presque amusée, par laquelle chacune pouvait se voir dans l’autre, tels des miroirs, que nous avons ré-abordé tout ce travail de création. Les photographies, les contenus du carnet de bord ou encore les broderies sur papier, ont donc prit un nouveau sens, ont démarré une nouvelle vie.
Qu’est-ce que ce projet commun vous a apporté d’un point de vue artistique comme personnel ?
Amandine Rey : Quand ce qui n’était, au départ, qu’un exutoire, qu’un jeu entre nous, est devenu un projet à part entière. Quand il est sorti de nos tiroirs sous la forme d’œuvres, d’exposition. Ce sont les premiers retours du public qui nous ont confortées dans notre volonté de travailler ensemble. C’est notamment lorsque nous avons reçu le prix du public du festival de Chabeuil que nous nous sommes rendu compte que nous voulions revivre le frisson créatif à deux.
Cet évènement a généré une vive émulation alors que cela faisait quelques temps que nous n’avions plus travaillé ensemble, pour des raisons assez basiques : les aléas de la vie…
Aline Vaichère : Depuis, la question de l’amitié comme sujet créatif est centrale. Le partage et la mutualisation des besoins sont devenus des éléments pivots de notre pratique artistique. Aujourd’hui notre travail continu de s’articuler naturellement autour de la question de l’intime, du lien qui nous unit, des accidents de la vie.
Avez-vous une idée de ce que ce projet au long cours a pu apporter au corps médical que vous avez côtoyé pendant vos périodes de soins ?
Amandine Rey : Malgré nos efforts, les sollicitations auprès du corps médical ont été peu fructueuses. Ni art thérapie, ni documentation scientifique… Notre travail semblait, à l’époque se situer dans un no mans land, dont ni le domaine artistique, ni le corps médical ne semblaient vouloir s’enquérir. Notre proposition, il est vrai, n’est ni légère ni misérabiliste, mais plutôt frontale et décalée, sans filtre et assurément subjective. L’apport d’un regard trop intime a-t-il alors été vu avec frilosité ? Ce regard porté sur la maladie était-il difficile à voir en face ?
Aline Vaichère : Aujourd’hui, cela semble avoir évolué. On accorde plus de place à l’intimité. Mais ce n’était pas le cas à l’époque. Si bien que, hormis le fait d’avoir montré « Quand c’est rose » à l’oncologue d’Amandine, au moment de son départ en retraite, seul le colloque Quand le patient rencontre la recherche, organisé en 2013 à Lyon, a convié notre travail à un évènement lié à la santé.
Certainement parce que son objectif était justement de rendre accessible aux patients le monde de la médecine, en sollicitant la sphère émotionnelle. Le parti pris d’une mise en regard, avec des dessins de la personne qui vit la maladie, y a été d’ailleurs particulièrement bien accueilli.
Ne ressentez-vous pas un peu de frustration de n’avoir pu collaborer plus en profondeur avec le corps médical ? Pensez-vous que ce type de projets a sa place dans le parcours d’un patient, dans le milieu de la santé en général ?
Aline Vaichère : Chacun son job ! Ce n’est pas le rôle de la médecine que celui de solliciter les artistes. On ne peut pas accuser les médecins de n’avoir voulu se pencher sur notre travail.
En revanche, les médias, tels que certains magazines spécialisés artistiques ou médicaux, auraient dû prendre à bras le corps un travail de ce type. Ils auraient pu lui donner une certaine lisibilité. Mais ils ne se sont jamais fait le relais de cette proposition. Peut-être étaient-ils frileux face à sa dimension un peu crue ? On regrette que face à la multiplicité des profils de patients, un regard moins mièvre ou moins infantilisant ne soit pas offert et accessible facilement.

Comment avez-vous vécu cette période qui semble à la fois douloureuse mais enrichissante ?
Amandine Rey : En plus d’être enseignantes et plasticiennes, nous sommes également mères, ce qui demande de conjuguer notre pratique à la présence de nos enfants. C’est la raison pour laquelle, lors des shootings photos, pour ne citer que cela, nous organisons nos emplois du temps pour réduire la distance géographique qui nous sépare. Les enfants contribuent et participent à notre production. Cela explique parfois le côté familial et artisanal de nos travaux.
Aline Vaichère : Pour ceux d’entre eux nés après l’élaboration du projet, après le cancer d’Amandine, les lieux d’exposition ont été des terrains de jeux. Leur présence physique aux expositions « Quand c’est rose » allégeait grandement la gravité du sujet. Mais de manière paradoxale, la proximité que cela générait avec le public, lors de nos permanences, amenait certaines personnes du public à nous partager des confidences parfois difficiles à accueillir. L’exposition se transformait alors en un lieu de libération de la parole.
Lorsque nous sommes restées immergées pendant 15 jours à la maison du gardien du parc Jouvet, à Valence, pour une résidence, nous en sommes sorties avec une grosse charge mentale, comme si nous sortions d’un groupe d’échange des alcooliques anonymes. A plusieurs reprises, nous nous sommes dit que nous n’étions pas formées à ça !
Mais si nous ne devons évoquer qu’une anecdote marquante, nous pensons inévitablement au colloque de Lyon, pour lequel Amandine n’avait pu être présente. J’ai dû rassurer le public sur son absence et sa bonne santé. L’inquiétude était palpable, l’absence de la malade laissait planer le doute de la rechute ou de la mort. Heureusement, il n’en était rien.
Aujourd’hui, quel est votre rapport à cette thématique particulière qu’est la santé dans vos activités de plasticiennes ?
Amandine Rey : Disons que la vie est la source de notre créativité. On évoque et on se sert de ses accidents et de ses embûches comme une matière à traiter. Le cancer a été un sujet à un moment seulement.
Comment fonctionne votre duo artistique ?

Amandine Rey : Nous nous saisissons toujours des évènements de la vie pour nos nouvelles orientations. Nous poursuivons nos collaborations avec la même dynamique, en prenant d’autres directions, d’autres pistes.
Nous sommes en train de travailler de la matière sonore pour monter un podcast sur l’itinérance avec comme trame de fond la condition féminine. Nous avons recueilli la parole de bergères lors d’une marche vers Naples, organisée pour nos 40 ans.
Que peut apporter l’art au parcours d’un patient, au corps médical, au système de santé en général ?
Aline Vaichère : L’acte de création d’un artiste, de surcroît s’il est dans une position de malade, peut offrir une vision de l’intérieur dont tout le monde peut avoir besoin pour développer son empathie vis-à-vis des malades en général. Et, pour les médecins, c’est, peut-être, un moyen de mieux cerner l’état des patients.
Propos recueillis par Nadia Berg
- Leur compte Instagram commun : A2collectif
- Leur site : a2artsite.wordpress.com
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