Points de vue

Les Contrepoints de la Santé - 17 décembre 2018

Ma Santé 2022 : Agnès Buzyn se veut rassurante et offensive

Synthèse par Alexandre Terrini – En pleine tourmente sociale activée par les Gilets jaunes, au lendemain de l’intervention du Président de la République et sur fond de révolution copernicienne du système de santé, la ministre des Solidarités et de la Santé était l’invitée des Contrepoints de la santé, organisés le 11 décembre à Paris. Fidèle à elle-même, la main de fer dans un gant de velours, Agnès Buzyn a, tour à tour, flatté, menacé et fait œuvre de pédagogie. Tour d’horizon.

 


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Fine politicienne

Agnès Buzyn creuse son sillon de professionnelle de santé reconvertie ministre, tout en renforçant son savoir-faire de fine politicienne. Il faut dire que nécessité faisait loi puisqu’il s’agissait de défendre la politique du Gouvernement et du Chef de l’État en pleine rébellion des Gilets jaunes. Et d’asséner d’emblée que « l’augmentation du pouvoir d’achat était complètement dans la campagne du Président de la République. Il avait en tête l’impatience des Français et comme priorité de redonner du pouvoir d’achat. Il a totalement en lui cette fibre sociale. »

En somme, Emmanuel Macron n’a, contrairement à certaines récriminations, pas fait les choses à l’envers : « On a beaucoup reproché au Gouvernement d’avoir commencé par des mesures économiques et d’arriver un peu tard avec des mesures dites sociales. Mais ce qui nous était demandé, c’était avant tout de réduire le chômage de longue durée. Il fallait donc commencer par relancer l’économie. »

Concertation et coconstruction ne font pas le buzz

Quitte, en attendant, à travailler dans l’ombre mais surtout dans « la concertation et la coconstruction », en particulier à l’élaboration du Plan pauvreté, lequel « prend en compte toutes les demandes des associations » et comporte « énormément de mesures techniques et pragmatiques qui répondent aux enjeux ». Son seul tendon d’Achille  : « Comme tout ce qui est consensuel, il a du mal à exister dans les médias » car « pour créer le buzz, il faut des mesures disruptives qui créent de la polémique ».

Pas de coercition à l’installation

Sachant que des solidarités à la santé, il n’y a qu’un – petit – pas. La preuve, toujours au regard du mouvement des Gilets jaunes : « Les élus et les syndicats n’ont pas arrêté de citer les médecins et la santé. Aujourd’hui, dans le sentiment des Français concernant l’abandon des territoires, il y a l’idée que si l’État n’est pas au rendez-vous, c’est parce qu’il n’y a plus de médecin. Ils considèrent que c’est là un service public. »

Quand bien même, les revendications des Gilets jaunes sont en partie liées aux territoires qui sont des déserts médicaux, pour Madame le ministre, la coercition n’est pas la solution : «  Ce serait les jeunes médecins qui paieraient pour les autres en n’ayant pas de liberté d’installation. Je ne trouve pas ça juste. Et je suis persuadée que certains renonceraient à exercer. »


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Les hôpitaux de proximité, une partie de la solution 

En revanche, les hôpitaux de proximité sont, selon elle, une partie de la solution : « J’ai pris l’engagement de ne fermer aucun hôpital de proximité. Face aux déserts médicaux, il n’est pas possible que les territoires sous-dotés en médecins libéraux voient leurs hôpitaux de proximité fermer parce qu’il ne sont pas actifs et/ou perdent de l’argent. »

Ce qui implique de les repenser et de les recentrer sur leur cœur de métier, en clair, sur des missions de proximité. « Il faut arrêter de laisser penser aux Français qu’il y aura des plateaux techniques de haute technicité partout, avertit Agnès Buzyn. En revanche, on a besoin de services de proximité partout pour répondre aux enjeux de la gériatrie, des soins de suite etc. avec un plateau technique minimal. » En clair, sans chirurgie mais avec de l’imagerie (radiologie et scanner).

« Nous allons créer une forme de label qui va s’adresser à cinq ou six-cents hôpitaux qui sont aujourd’hui en très grande difficulté et en train de périr, complète Agnès Buzyn. Nous réorganisons les territoires pour que ces hôpitaux soient réinvestis financièrement et attractifs en permettant à la médecine libérale de pouvoir rentrer à l’hôpital et, inversement, aux médecins hospitaliers de pouvoir avoir une activité libérale. »

Finie la T2A partout et pour tout

Cela impose de repenser les modes de tarification et de sortir de la T2A, faute de quoi « ces hôpitaux ne seront jamais viables ». En effet, si certains établissements ont besoin de la T2A, ceux qui rendent des services de proximité dans des bassins de population particuliers doivent voir leurs activités être valorisées autrement.

Deuxième exigence : établir scientifiquement, sous les auspices de la Haute Autorité de santé (HAS), des seuils d’activités qui soient impératifs, sachant que « qualité et proximité ne vont pas toujours de pair ». Et hors de question de chercher à se faufiler entre les mailles du filet : « Les chirurgiens qui continueront d’avoir des activités qui sont soumises à de seuils se verront dans l’obligation de rembourser l’Assurance maladie et ne pourront plus tirer un bénéfice de leur activité. »

Vive les indicateurs de qualité !

D’autant qu’à terme, tout le monde sera susceptible d’être évalué, voire, disons-le, noté. Non pas empiriquement sur les réseaux sociaux comme c’est déjà le cas actuellement mais sur la base « d’indicateurs de qualité robustes et scientifiques » arrêtés par la HAS dont le rôle est aussi de définir ce que doivent être des parcours de soins de qualité. La transparence est indispensable. C’est pourquoi l’idée est d’activer un site Internet commun à la santé de tous les Français pour qu’ils puissent accéder à des informations fiables. Un outil qui fait, à ce jour, défaut.


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Les CPTS en urgence absolue

Autre piste conduisant à la refonte de l’ensemble : les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Là aussi, le temps presse : « On ne peut pas se permettre de ne pas avancer sur les CPTS. C’est une urgence dans la mesure où notre système dysfonctionne. Il faut que tout le monde se sente engagé dans cette nécessité de le transformer pour rendre un service de meilleure qualité dans les territoires. L’idée est que ça aille très vite pour que cela puisse figurer dans la Loi santé », affirme Agnès Buzyn qui assure « faire, pour l’instant, confiance à la négociation conventionnelle » pour aboutir, sachant que des incitations financières sont prévues pour les professionnels de bonne volonté.

Toujours les mêmes qui paient

On l’aura compris, il y a une obligation absolue de réformer notre système de santé, lequel « n’est plus au rendez-vous du service qu’il doit rendre aux Français ni de ce que les Français attendent ». Avec quel argent à l’heure où l’Exécutif est soupçonné de puiser dans l’excédent de la Sécu pour renflouer le déficit de l’État ? Un mélange des genres que récuse la ministre de la Santé : « Nous devons être vigilants pour que le budget de la Sécu soit différent de celui de l’État car cela met les acteurs en charge de ce budget en responsabilité de tenir leurs engagements. » Quand bien même une affectation distincte n’interdit pas une source commune : « Considérer que ce ne sont pas les mêmes personnes qui paient est une erreur fondamentale. A la fin, le déficit du budget de l’État, c’est la poche des Français et c’est le budget des Français qui est en déficit. »

Le Rac 0, une question de méthode

Et pour qu’il ne le soit pas ou, en tout cas moins, le Reste à charge (Rac 0) est plus que jamais de rigueur. « C’est un milliard d’euros que l’on rend aux Français », martèle la ministre de la Santé. Et de préciser qu’en la matière, « la façon de faire a été non pas de commencer par les finances mais par la définition d’un panier de santé de qualité que l’on voulait offrir aux Français. Et une fois que cela a été fait, on a regardé ce que ça coûtait et qui pouvait faire des efforts. Nous avons fait basculé le surcoût entre l’Assurance maladie et les complémentaires. » Lesquelles ont été vertement sommées de ne pas faire marche arrière en douce : « Cela va être assez clair : soit les assureurs et les complémentaires tiennent leurs engagements, soit cela ne se passera pas bien. S’ils ne jouent pas le jeu et en profitent pour augmenter leurs prix alors qu’ils se sont engagés à ne pas le faire, cela s’appellera un sabotage politique. »

A fortiori parce que chacun a été associé en amont au processus de décision : « On s’est mis autour d’une table pendant six mois pour trouver d’arrache-pied un consensus. Nous savons que tout cela est absorbable par les mutuelles. Elles peuvent faire des efforts sur les frais de gestion. Tout a été pensé et réfléchi avec elles. Je rendrai compte de façon transparente de la façon dont les différentes filières augmentent ou pas leurs prix. » Seule majoration tarifaire autorisée, celle correspondant à la hausse du coût de la santé, soit peu ou prou 2,5 % par an. Même les fabricants n’ont pas été oubliés.

En clair, il y n’a pas de risque de voir le plafonnement des remboursements en matière d’optique, de soins dentaires et d’audioprothèse favoriser les filières de fabricants étrangères. « Tout cela a été réfléchi et vérifié afin que les producteurs français ne soient pas impactés », sourit Agnès Buzyn.


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Les infirmiers, pas la cinquième roue du carrosse

Car, qu’on se le dise, le ministère n’entend négliger personne. « Le Plan Ma Santé 2022 vise à répartir la tâche entre tous les professionnels », rassure Agnès Buzyn. Ainsi, les infirmiers ne sont ni ne seront la cinquième roue du carrosse : « Ils font un travail absolument remarquable et sont perçus comme tel par la population. Je compte beaucoup sur eux pour la mise en œuvre de Ma Santé 2022 dans la mesure où nous cherchons à créer des communautés de soignants autour des malades chroniques. Les infirmiers en font totalement partie au même titre que les pharmaciens, les kinésithérapeutes etc. »

Pas d’hégémonie des médecins

Et de refuser le procès d’intention qui verrait le Gouvernement avoir cédé une nouvelle fois au lobby des médecins en confortant l’hégémonie de ces derniers. C’est justement tout le contraire ou presque : « On a besoin qu’il y ait des délégations de tâches car un certain nombre de pathologies chroniques peuvent être suivies par des infirmiers. Cela faisait dix ans que l’on parlait des Infirmiers en pratiques avancées (IPA) et que l’on n’avançait pas. J’ai exigé que l’on se mette d’accord sur que ce que doit être la pratique avancée pour que cela soit effectif au 1er septembre 2018. Ca y est, les masters sont ouverts depuis la rentrée. Je souhaite que les infirmiers accèdent à des missions élargies. C’est une vraie reconnaissance. » Reste à les en convaincre.

 


Débat organisé et animé par Philippe Leduc (LDC Santé), Pascal Maurel (Ortus) et Renaud Degas (La Veille des acteurs de la Santé – Presse Infos +) au Restaurant Opéra.
En partenariat avec Le Groupe Pasteur Mutualité, Groupe Point Vision, MSD, Carte blanche, Qare, et BVA.


 

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